C’est avec beaucoup de peine qu’on ressasse encore nos misères causées par des années d’inondations au Sénégal. Le week-end a, en effet, été particulièrement douloureux pour des milliers de familles. Des maisons englouties dans les eaux, du matériel électroménager perdu, du mobilier endommagé, bref plusieurs biens sont partis dans les effluves pluviaux. De quoi nous rappeler encore et encore nos multiples échecs dans les ripostes nationales contre les inondations. Depuis les années 2000 en effet, des centaines et des centaines de milliards de francs Cfa ont été mobilisés par le Trésor public pour développer une réponse appropriée aux eaux de pluie enregistrées entre les mois d’août et de septembre de chaque année.
Hélas nos légèretés ne cessent de nous rattraper et surtout de nous convaincre de nos propres incompétences ! Dernièrement, le chef de l’Etat a demandé un rapport détaillant les 750 milliards de francs Cfa, mobilisés entre 2012 et maintenant dans le cadre de la lutte contre les inondations. Peut-être déjà qu’il est informé de plusieurs errements dans cette lutte au point de vouloir en savoir davantage sur la gestion de ce phénomène naturel au Sénégal.
En tant que reporter du journal Le Quotidien entre les années 2006 et 2009, nous avions vécu, pour ne pas dire assisté, à des tragédies multiformes en banlieue. Des centaines de maisons englouties dans les eaux entre Pikine, Guédiawaye, Yeumbeul et Diamaguène, des drames humains, avec la noyade d’enfants ou encore le décès de plusieurs autres personnes électrocutées par des fils de courant oubliés dans les eaux.
Ces moments extrêmement douloureux avaient poussé le chef de l’Etat d’alors à déclencher des «Plans Orsec» au point même de devoir repousser des échéances électorales. Des centaines de milliards de francs Cfa avaient été engagés durant cette période pour nous faire oublier les affres des eaux de pluie. On se rappelle encore amèrement le Plan Jaxaay, avec ses plus de 60 milliards de francs Cfa mobilisés. Mais sa détestable gestion avait amené la justice à mettre la main sur des caciques du parti de Abdoulaye Wade et dont certains qui flirtent aujourd’hui avec le régime de Macky Sall.

Le malheur des uns fait le bonheur des …voraces.
En fait, c’est à croire que les inondations au Sénégal constituent du pain béni pour certains. Si des milliers de familles en souffrent, une portion congrue de voraces en profite à travers les marchés octroyés dans le cadre du «Plan Orsec». C’est encore leur traite et on en voit déjà qui dansent dans leur bureau. Ils n’en auront jamais assez ! Tant qu’ils pourront toujours et en toute impunité louer des motopompes trois ou quatre fois le prix normal, tant qu’ils pourront se saouler sans retenue avec le carburant, ils prieront toujours pour qu’il y ait des «Plans Orsec» au Sénégal. Tant pis pour le Trésor public et au diable les sinistrés. On s’entendra toujours dire que c’est le système qui veut ça. Quel maudit système !
Les inondations de 2020 nous ouvrent encore les yeux : le Sénégal n’en a pas encore fini avec les eaux de pluie. Malgré les centaines de milliards jusque-là investis dans la gestion, les résultats sont très loin d’être satisfaisants. Les entreprises choisies pour effectuer les travaux sur les sites se partagent des milliards de francs Cfa, naturellement avec leurs parrains de l’Administration, sans que la qualité suive. C’est un éternel recommencement, tel Sisyphe !

Preuve de l’incompétence des maires
La clameur publique accable nos ingénieurs qui seraient soit nuls soit insouciants devant le calvaire des sinistrés. Nous estimons qu’ils sont à la fois incompétents et inconscients et ils s’en foutent pas mal du droit du citoyen de disposer d’un cadre bien assaini et aménagé. Il suffit de voir comment les Dakarois particulièrement se débattent dans les eaux nauséabondes des inondations pour s’en convaincre : nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge !
Mais ce à quoi nous assistons aujourd’hui interpelle également les maires de nos différentes communes. C’est à la limite s’ils ne méritent pas la guillotine, comme du reste tous ceux qui ont élaboré et exécuté jusque-là les plans nationaux de lutte contre les inondations depuis les indépendances. Nos maires, pour revenir à eux, ne sont même pas capables de mettre à la disposition de leurs administrés des motopompes pour les aider à évacuer les eaux de pluie qui ont assiégé leurs quartiers et maisons. Pour beaucoup, ils disparaissent pendant l’hivernage, pour ne pas subir la furie de leurs administrés. A quelques exceptions près, il y en a qui prennent la peine de se retrousser les pantalons pour faire le tour de leurs quartiers engloutis, histoire de témoigner de leur solidarité à leurs sinistrés. La grande majorité, elle, reste aphone et introuvable pendant que leurs concitoyens broient du noir.
Les «fonds de soutien à…» pullulent dans les budgets des mairies qui sont paradoxalement incapables de doter de moyens de riposte aux inondations leurs pauvres administrés. C’est triste. Ce, d’autant plus que des quartiers entiers ne sont pas éclairés la nuit, obligeant leurs habitants à vivre dans l’obscurité et les inondations pendant tout le temps que dure l’hivernage. Sans exagération aucune, plus de 90% des Sénégalais vivent le même calvaire depuis des décennies, sans fin. Mais qui pour changer les choses ?
La question est d’autant plus prégnante que les plans nationaux occultent souvent la réponse communautaire et l’implication des communautés dans le contrôle des travaux effectués dans le cadre des inondations. Plus que jamais, les communautés doivent se lever et se décider à exercer un contrôle citoyen de tout travail public sur leur terroir pour s’assurer de la qualité des ouvrages. Ce contrôle leur permettra également de sensibiliser les habitants des quartiers à participer à la préservation des ouvrages d’assainissement mis en place. Il ne sert à rien également de construire des ouvrages pour prévenir les inondations et que les plus inconscients parmi nous les sabotent ou les volent pour de maigres francs Cfa.
Aujourd’hui, rien que le désensablement nous coûte, en tant que contribuables, des milliards de francs Cfa par année, compte non tenu de l’entretien des égouts et autres édifices publics destinés à l’assainissement. Si en retour les communautés ne veillent pas à leur entretien, la spirale de dépenses avec les deniers publics ne s’estompera jamais. Et c’est justement le meilleur moyen de rendre service aux voraces qui vivent encore et encore des marchés publics, sans aucune once de scrupule.
Aly FALL
Journaliste et sinistré