Le ci-devant président de la Confédération africaine de football (Caf), Issa Hayatou, a sans doute fait sien un slogan qui a beaucoup circulé au Cameroun, sa patrie. Pour chercher à garder l’inamovible Paul Biya au pouvoir, les partisans du président de la République qui reste encore à la tête du pays depuis ont trouvé la belle formule : «Un bon père de famille, c’est pour la vie». Ainsi, le chef reste immuable ad vitam eternam. Il conduit son groupe grâce à une légitimité naturelle. On arrive même à se demander si le groupe ne s’estime pas heureux d’avoir un pareil patriarche à sa tête. L’ancien patron du football africain a été perdu par ses certitudes. Issa Hayatou, qui a dirigé l’organisation continentale à sa guise et à son gré pendant 29 ans sans discontinuité, ne se remettait plus en cause, dormait sur ses succès ou ses réussites et ne voyait pas le monde évoluer, d’autres diront se dérober sous ses pieds.
Issa Hayatou avait été réélu en 2013 pour un 7ème mandat à la tête de la Caf sans aucun adversaire. Il pouvait s’imaginer le même scénario à cette nouvelle élection du 16 mars 2017 à Addis-Abeba, estimant que les responsables du football africain n’auront pas cette fois encore le toupet de songer à le remplacer. Le candidat Ahmad Ahmad de Madagascar était perçu comme un fanfaron, un candidat pour faire illusion. Ils étaient nombreux à rire de cette candidature d’un illustre inconnu et provenant d’un pays où le football ne draine guère les foules. Dans l’imaginaire fertile des journalistes, Ahmad Ahmad aurait pu être un candidat suscité par Hayatou pour donner un semblant de crédit à sa réélection qui ne devrait faire l’ombre du moindre doute. Ainsi, Issa Hayatou s’épargnera la peine de battre campagne, de chercher des voix. Il n’a pas, de son point de vue, un concurrent à sa hauteur et il peut considérer qu’il a le soutien politique de nombreux chefs d’Etat africains qui ne lui reprocheraient guère sa longévité aux affaires. Issa Hayatou a aussi toujours pu compter sur la lâcheté des dirigeants du football du continent qui sont nombreux à lui être redevables de sinécures, de voyages ou d’autres avantages, grâce aux moyens considérables que génère le football. Aussi, largement aidé par son ami Joseph (Sepp) Blatter quand ce dernier était à la tête de la Fédération internationale de football amateur (Fifa), Issa Hayatou avait pu se garantir une large clientèle grâce à des projets financés à hauteur de millions de dollars.
Il s’y ajoute que le soutien de têtes couronnées arabes, notamment du Qatar, pouvait constituer une assurance pour se payer la tête de tout éventuel dissident. Jacques Anouma de la Côte d’Ivoire pouvait être un client sérieux. Son échec  aura été le précurseur de la manière par laquelle le Sénégalais Abdoulaye Bathily, quelques années plus tard, sera battu à l’élection à la présidence de la Commission de l’Union africaine pour n’avoir pas pu recueillir les voix des pays membres de la Cedeao. En effet, les dirigeants des fédérations nationales de football participeront à barrer la route à leur collègue ivoirien. Issa Hayatou avait fait voter en 2012 une modification des statuts de la Caf pour que les candidats à la présidence de la Caf soient d’abord membres de son Comité exécutif. Quand Me Augustin Senghor, président de la Fédération sénégalaise de Football par exemple, avait tenté de faire de la résistance contre une réforme dirigée manifestement contre la candidature de Jacques Anouma, il avait essuyé des attaques virulentes, jusque dans son propre pays. Seuls l’Angolais Amanda Machado (2000) et Ismaïl Bhamjee du Botswana (2004) ont pu se qualifier à un moment ou à un autre pour tenter de déboulonner Issa Hayatou.
Issa Hayatou a donc pu se croire éternel. Grande a été sa surprise de mordre la poussière du fait d’un candidat sur qui presque personne ne misait un «aryari», la monnaie malgache dont la plus grosse coupure ne paierait pas un café dans un restaurant. Ahmad Ahmad aura ainsi bénéficié d’un vote de rejet contre Issa Hayatou. Sur les 54 votants, Hayatou n’a recueilli que 20 voix. Grosse humiliation !
Ahmad Ahmad a une réputation sulfureuse dans les instances sportives internationales. Il manque certainement d’expérience et peut-être ne fera pas bouger les lignes, mais il aura le mérite d’avoir eu l’audace de se présenter contre un dinosaure du football dont la seule présence dans les manifestations internationales choquait le monde.
Issa Hayatou a manqué de partir opportunément et a voulu rester éternel sur son trône de la Caf. Il a fini par être ridicule et s’est fait humilier. Il faut dire que c’est le sort qui continuera d’être celui de toute personne qui cherche à s’éterniser au pouvoir ou à demeurer sous les feux de la notoriété. L’ancien footballeur anglais, Kevin Keegan, un génie du ballon rond, avait eu la lucidité ou la sagesse de décrocher à l’âge de 35 ans. Interrogé par des journalistes ébahis devant l’annonce de la retraite sportive de ce monument, il lança : «Il faut savoir partir avant d’être ridicule.» Ces paroles sonnent encore comme une maxime.
Issa Hayatou peut alors se sentir vexé et même trahi. Il ne devrait s’en vouloir qu’à lui-même. Mauvais perdant, il accuse les dirigeants de la Fifa, notamment Gianni Infantino et sa secrétaire générale Fatma Samoura, de l’avoir perdu. L’accusation peut être vraie, mais tant pis Monsieur Hayatou ! C’est faire œuvre de salubrité publique que de faire partir un homme qui a usé et abusé de son influence pour tripatouiller à sa guise les textes de la Caf afin de rester à sa tête à vie. Il avait fait sauter en 2015, pour lui-même, la limitation d’âge pour diriger la Caf.
Issa Hayatou a été sourd et aveugle pour n’avoir pas su lire la fin de son parcours sur les signes qui se présentaient devant lui. Il n’a pas compris que la bourrasque qui avait emporté son ami Sepp Blatter et sa clique de magouilleurs de la Fifa n’épargnerait personne de ceux qui avaient eu les mains dans le cambouis de la Fifa pendant de longues années.
Issa Hayatou n’a pas compris qu’il avait fait son âge quand, devant les instances du football mondial, il ne se trouvait désormais entouré que par des quadras et des quinquagénaires qui lui servaient du «Tonton». Il n’avait pas non plus compris que sa santé le lâchait pour l’éloigner de ses bureaux du Caire, siège de la Caf. Il n’a pas non plus compris que sa fin s’annonçait honteuse dès qu’une enquête judiciaire avait été ouverte contre sa personne pour des supposées magouilles dans l’attribution des droits de retransmission télévisuelle des manifestations de la Caf. Cet important marché, d’un montant d’un milliard de dollars, a été donné à la société Lagardère Sports pour la période 2017-2028.
Issa Hayatou n’a pas su non plus lire le clin d’œil heureux du destin qui lui avait permis de siéger à la tête de la Fifa pour remplacer d’octobre 2015 à février 2016 un Sepp Blatter emporté par les magouilles. Issa Hayatou avait peut-être pu savourer une revanche de prendre la place de Sepp Blatter qui l’avait battu à plate couture lors de l’élection à la tête de la Fifa.
Les dictateurs et autres autocrates ne voient pas les choses changer, les lignes bouger, jusqu’au jour où ils sont subitement emportés par la furie de leur Peuple. Cela avait été les cas de Kadhafi, de Yahya Jammeh, de Mobutu, de Zine El Abidine Ben Ali, de Moubarak. Mais ils peuvent toujours croire que cela n’arrive qu’aux autres. Personne ne versera une larme pour Hayatou.