«Macky Sall se pavane sur la scène internationale… il devrait être considéré comme un paria», écrit Peter Doyle, ancien cadre du Fmi, dans une tribune reprise par Financial Afrik. A la lecture de ce texte, on est frappé moins par la rigueur économique que par le ton accusateur, presque moralisateur, d’un homme qui semble avoir oublié les responsabilités de l’institution qu’il a lui-même servie pendant des dé­cen­nies.

Comment un ancien haut fonctionnaire du Fonds monétaire international, pilier de la gouvernance économique mondiale, peut-il aujourd’hui s’éri­ger en juge des nations afri­caines sans reconnaître la part de responsabilité historique et structurelle du Fmi dans les crises financières successives que le continent a connues ?

Rappelons qu’au plus fort des années 1980 et 1990, sous la bannière des Programmes d’ajustement structurel (Pas), le Fmi et la Banque mondiale ont imposé à la plupart des pays africains dont le Sénégal, des politiques d’austérité brutales : réduction des dépenses publiques, privatisation massive, gel des salaires et coupes budgétaires dans les services essentiels. Le résultat est connu de tous : des Etats affaiblis, des systèmes éducatifs et sanitaires démantelés, et une dépendance accrue vis-à-vis des bailleurs de fonds étrangers.

Comme le notait l’économiste togolais Kako Nubukpo, ancien directeur à la Francophonie : «Le Fmi a souvent traité les Etats africains comme des élèves indisciplinés qu’il faut corriger, sans jamais reconnaître que ses propres prescriptions ont parfois aggravé les crises qu’il prétendait résoudre.»
Où était donc Peter Doyle à cette époque ? A-t-il, depuis son confortable bureau de Washington, dénoncé ces politiques draconiennes ? A-t-il remis en cause la mécanique des taux d’intérêt, la libéralisation précipitée ou les conditionnalités qui ont étranglé tant de nations ? Silence !

Aujourd’hui, Peter Doyle se découvre une conscience morale. Il parle de manque de contrôle, de falsification de données, et d’un Macky Sall qui se pavane. Mais au-delà du jugement de valeur, on sent poindre une vieille tentation, c’est à dire celle d’une tutelle morale sur les Etats africains. Doyle écrit : «Il faut mettre fin à l’absurdité qui consiste à voir l’ancien Président Sall se pavaner sur la scène internationale en tant qu’éminence grise après avoir présidé à ce désastre.»

Ce ton paternaliste traduit une ingérence et une condescendance qui n’ont plus leur place dans le monde d’aujourd’hui. Qu’un ancien cadre du Fmi se permette de traiter un ancien chef d’Etat africain, de plus sénégalais, de paria sans nuance, ni égard pour la souveraineté d’un Peuple, est profondément problématique.

On aurait aimé voir autant d’indignation lorsque le Fmi a couvert, ou du moins ignoré, les scandales d’endettement dans d’autres régions du monde. Pourquoi ce deux poids deux mesures ? Quand la Grèce ou l’Islande ont été frappées par des crises financières massives, jamais aucun ancien cadre du Fmi n’a qualifié leurs dirigeants de parias.

Si des erreurs ont été commises dans la gestion de la dette publique sénégalaise, elles doivent être assumées dans le cadre institutionnel du pays par la Cour des comptes, le Parlement et le Peuple souverain. Mais Doyle oublie de dire que ces programmes, souvent montés avec la validation du Fmi, reposaient sur des données co-construites avec ses propres experts.

Comme le rappelle Ndongo Samba Sylla, économiste et auteur de Le franc Cfa et l’euro contre l’Afrique : «Le Fmi ne peut pas se présenter comme un simple observateur innocent. Il est co-auteur des politiques qu’il encadre.»

Si le Fmi a effectivement validé des programmes dont les dettes réelles dépassaient de 40% du Pib, comme le soutient Doyle, alors le blâme doit être partagé. Car qui, sinon le Fmi, supervise la transparence et la cohérence des indicateurs macroéconomiques ?

Il est temps que certains analystes occidentaux comprennent que l’Afrique n’a plus besoin de donneurs de leçons, mais de partenaires respec­tueux. Le Sénégal est une démocratie solide, avec des institutions capables d’enquêter, d’auditer et de sanctionner, le cas échéant. Les citoyens sénégalais, pas les anciens technocrates étrangers, décideront du sort de leurs dirigeants et de la gestion de leurs finances publiques.

Kéba Mbaye, ancien juge à la Cour internationale de justice, disait déjà : «La dignité d’un Peuple commence quand il refuse que d’autres pensent à sa place.» Peter Doyle ferait bien de méditer cette phrase avant de distribuer ses verdicts depuis son piédestal d’expert repentant. Car la vraie transparence, c’est aussi celle des institutions financières internationales, celles qui dictent les taux, conditionnent les ré­formes et ferment les yeux quand leurs calculs erronés précipitent des économies entières dans la tourmente.

En définitive, la tribune de Peter Doyle illustre parfaitement ce que l’économiste sénégalais Felwine Sarr appelle «la parole surplombante» : celle d’un Occident qui s’érige toujours en arbitre des erreurs des autres. Mais le temps des leçons est révolu. L’Afrique a le droit de débattre de ses propres chiffres, de ses dettes et de ses dirigeants, sans subir la condescendance de ceux qui, hier encore, fixaient nos quotas et nos budgets.

Il ne s’agit pas de nier les difficultés, ni de blanchir quiconque. Il s’agit simplement de rappeler un principe fundamental : la souveraineté économique et politique n’est pas négociable.

Peter Doyle parle peut-être avec sa conscience. Mais qu’il ne parle pas à la place des Sénégalais.
Amadou MBENGUE
Secrétaire général de la coordination départementale de Rufisque
membre du Comité Central et du Bureau politique du Pit /Sénégal