Petite précision pour le Professeur Ndiaye à propos de la dette intérieure du Sénégal

Cher Professeur,
Merci pour votre contribution à ce débat essentiel sur le fonctionnement du marché Uemoa-Titres. Toutefois, permettez-moi de souligner que le véritable enjeu soulevé ici ne porte pas sur la structuration mutualisée du marché dont personne ne nie l’existence ni la pertinence, mais bien sur l’incapacité spécifique du Sénégal, ces derniers mois, à mobiliser sa propre épargne nationale pour financer ses besoins budgétaires.
Le cas ivoirien que vous citez, et que je complète ici, illustre précisément ce que le Sénégal ne parvient plus à faire. En effet, la Côte d’Ivoire, le 10 juin dernier, a levé 110 milliards de F Cfa dont 109 milliards ont été souscrits par ses propres banques et investisseurs nationaux, là où son partenaire mutualiste sénégalais ne lui a «prêté» que… 230 millions. Je dis bien millions. Plus récemment encore, ce 14 juin, elle a levé 33 milliards dont 28,3 milliards proviennent de son épargne nationale, avec 0 franc venant du «nouveau géant panafricain sénégalais». Voilà la réalité, ce sont des faits et ils sont têtus.
Historiquement, et jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Pastef, le Sénégal, à l’image de la Côte d’Ivoire, a pu couvrir jusqu’à plus de 50% de ses besoins de financement à partir de son épargne nationale.
Aujourd’hui, ce n’est plus le cas pour le Sénégal, qui dépend largement des souscriptions ivoiriennes pour couvrir ses émissions, comme en témoignent les dernières opérations sur le marché régional. Cette situation reflète une double défaillance : d’un côté, une économie sénégalaise asphyxiée ; de l’autre, un système bancaire local sous-liquide et frileux.
En vérité, les banques sénégalaises souscrivent aux titres d’Etat en mobilisant généralement leurs ressources longues et les dépôts de leurs clients : hommes d’affaires, commerçants, Pme, Pmi, entreprises et autres acteurs du tissu productif. Or ces derniers traversent aujourd’hui, au Sénégal, de graves difficultés économiques. La morosité ambiante, le matraquage fiscal, les vagues de licenciements, les persécutions administratives et politiques, l’absence de marché public, ainsi que la raréfaction des opportunités d’affaires, ont profondément affaibli leur capacité à épargner, à investir, et donc à alimenter le système bancaire. Dans un tel contexte, il est illusoire de penser que les banques locales et les particuliers souscripteurs peuvent continuer à soutenir l’Etat avec la même intensité. Leur capacité de souscription dépend directement de la vitalité économique, aujourd’hui gravement compromise.
Autrement dit, ce n’est pas la structure du marché qui est en cause, mais bien la réalité économique interne du Sénégal, qui empêche toute mobilisation significative de l’épargne nationale. Pendant que la Côte d’Ivoire continue de capitaliser sur la confiance et la solidité de son tissu économique, le Sénégal se retrouve sous perfusion, même dans un marché pourtant intégré et solidaire.
C’est là que se situe le vrai sujet. Et il mérite d’être posé avec lucidité, loin de toute diversion technique.
Le débat n’est donc pas de savoir si le marché est mutualisé, il l’est, mais de constater que la Côte d’Ivoire continue de mobiliser massivement sa propre épargne jusqu’à perfuser le Sénégal, pendant que le Sénégal peine à susciter la confiance de ses propres investisseurs.
C’est là, Professeur, que se situe le véritable problème.
Bien cordialement.
Pape Malick NDOUR
Ancien ministre