«Ce n’est pas moi, c’est mon frère.» Qui ne connaît pas cette parade qui consiste à rejeter sa propre faute sur quelqu’un d’autre ? Ce comportement, les psychologues l’associent aux enfants et aux ados qui sont jugés comme immatures. Ce­pen­dant, il semble que l’âge ne change rien à cette faille de maturité. Quand ce n’est jamais notre faute, c’est que l’on ne possède pas la confiance en nous nécessaire pour supporter une responsabilité. Pis, une telle attitude témoignerait d’une fragilité narcissique et dès lors, la structure psychologique apparaît trop peu solide.
Si je commence par dresser ce profil psychologique, c’est parce que dans le contexte perturbant que nous vivons aujourd’hui, le profil de Ousmane Sonko dans l’agitation qui le place sous les feux de la rampe me paraît être un sujet de psychanalyse pertinent. Pour les spécialistes, la posture de victimisation et le «confort» de se faire passer pour la victime d’une histoire sont une sorte de mécanisme de défense. «Ce n’est pas moi qui ai mal agi, mais les autres qui n’ont rien compris, ou qui m’ont piégé, persécuté…»
Les mots sont laches : «Mortal kombat, persécution, piège, liquidation, terrorisme d’Etat, oppression…», on bascule systématiquement dans la fameuse théorie du complot. C’est classique. Et qui plus est, c’est facile. Mais c’est intéressant.
C’est d’autant plus facile de verser dans la théorie du complot qu’en poussant l’analyse un peu plus loin dans la géopolitique, ne pourrait-on pas subodorer qu’il puisse y avoir une main étrangère derrière cette émulsion épidermique visant à renverser le régime en place ?… La question reste ouverte.

Osons les mots
En s’interrogeant sur la personnalité des adeptes des théories du complot, certains chercheurs en psychologie sociale relèvent une parenté entre les raisonnements des paranoïaques et ceux des conspirationnistes : même caractère obsessionnel, même achar­nement à trouver des preuves, même aveuglement aux failles de leur argumentaire.
Lorsque vous leur parlez de leur responsabilité, eux désignent un bouc émissaire et orientent tout leur propos sur lui, fuyant systématiquement le sujet. C’est le mécanisme de projection auquel Sigmund freud attribuait la paranoïa, mais dans le cas de figure, moi je l’assimile à la mauvaise foi. En se donnant le rôle de dénonciateur de complots, il se donne une vision flatteuse de lui-même.
Le fait majeur c’est que les conspirationnistes comme Sonko arrivent facilement à embarquer dans leurs délires bon nombre de sujets aisément manipulables, et pour cause : le terreau est fertile. Les périodes de crise sont des catalyseurs de fake news, car ce sont des mouvements d’instabilité. Or l’être humain a une tendance naturelle à un besoin de contrôle, de quête de sens et d’explications. En d’autres termes, la stratégie consiste à surfer sur le sentiment de désarroi des uns et des autres, combiné aux difficultés conjoncturelles pour faire prendre la sauce.
Prenons juste l’exemple du coronavirus dont l’envergure des dégâts paraît tellement inconcevable que, pour certaines personnes en quête de réponses, il y a forcément la main de quelqu’un derrière ! A l’échelle de Sonko, les faits à lui reprochés paraissent tellement incroyables par rapport à l’image de M. Propre qu’il s’évertue à projeter, que pour bon nombre des adhérents à sa théorie du complot : partisans, journalistes, société civile, ainsi que les potentiels sceptiques, ou autres frustrés de la vie, le coupable est forcément tout désigné, du côté… du Macky. Après tout, qui d’au­tre pourrait être sa tête de turc ?
Aussi sans état d’âme et pour galvaniser tous ses thuriféraires, n’hésite-t-il pas à leur projeter, entre autres, le souvenir du 23 juin 2011, date à laquelle une bonne partie des Sénégalais ont véritablement pris conscience que quand tout un peuple se lève, la force change de camp.
Ce qui est vrai, d’ailleurs, mais ça, c’est lorsque c’est pour une bonne raison. Or, la raison du plus fort n’est pas toujours la meilleure, surtout lorsqu’on ne sait pas… raison garder.
Au regard du profil ainsi dressé et en décryptant ses discours tendancieux, il apparaît clairement que nous avons affaire, là, à un sujet très dangereux qui menace la paix et la cohésion dans ce pays. En fait d’«erreurs» de communication relevées dans ses adresses par beaucoup d’observateurs, il s’agit ni plus ni moins d’appels à l’insurrection voire la guerre civile, la lutte armée, à travers des sujets martelés sciemment et relatifs à la régionalisation, à l’ethnicisation, bref, la stratégie du colon qui consiste à diviser pour régner, monter les uns contre les autres. Mais l’histoire ne retient des grands hommes que leur sens de la responsabilité, qui demande une bonne dose de courage. N’est-ce pas Madiba ?

Passer au-dessus de la ceinture
En effet, la capacité d’un individu à diriger un pays se jauge également à la solidité de sa structure psychologique qui induit ce courage qui est une composante essentielle du leadership et de la gouvernance. Une vertu cardinale qui intègre la notion de responsabilité. Or la responsabilité est le devoir de répondre de ses actes, en toutes circonstances et conséquences, c’est-à-dire d’en assumer l’énonciation, l’effectuation, et partant la réparation voire la sanction lorsque l’obtenu n’est pas l’attendu. En admettant la thèse du psy, refuser la responsabilité cache souvent un fantasme inconscient de perfection. Ce que Martin Luther King fustige en declarant : «La véritable grandeur d’un homme ne se mesure pas à des moments où il est à son aise, mais lorsqu’il traverse une période de controverses et de défis.»
Sous l’angle de cette assertion, on peut dire sans risque de se tromper que Ousmane Sonko qui aspire à diriger le Sénégal n’est pas imbu de cette valeur cardinale qu’est le courage. Celui-là qui permet, dans l’épreuve, de maîtriser les désirs et les émotions telles que la crainte ou la peur et de faire face, en se gardant de faire dans la mauvaise foi dont le principe est de frapper en dessous de la ceinture en utilisant des arguments fallacieux, ou de jouer sur les faiblesses de l’argumentation adverse, pour retourner les torts sur l’autre plutôt que sur soi.
Il s’agit de ce courage qui suscite en soi la nécessité avant tout de se laver volontairement et sans délai de souillures jugées calomnieuses nonobstant une couverture immunitaire qui, au demeurant, n’immunise nullement contre le virus du doute qui, lui, subsistera toujours au-delà de l’action.
Barthélemy Dias et bien d’autres l’avaient bien heu­reusement compris dans des circonstances bien plus graves. Seraient-ils plus courageux ?
Le plus grave lorsqu’on manque de courage, c’est d’utiliser, et à dessein, comme chair à canon le peuple qu’on aspire à diriger demain, pour rester dans le confort douillet du paravent immunitaire qu’il pourfend pourtant à suffisance, lui, l’«anti-système» qui s’abrite derrière le système. Obnubilé par un pseudo destin présidentiel, ses longs discours tranchants qui suintent la violence, le combat, la confrontation, le chaos n’ont de limite que son désir d’en découdre avec un homme qu’il a pris en grippe depuis que celui-ci lui a offert, en décrétant sa radiation de la fonction publique, l’opportunité de descendre au grand jour dans l’arène politique. Cependant, même en politique, la fin ne justifie pas forcément les moyens. Le droit à l’ambition recouverte sous les fallacieuses couleurs d’une pseudo-volonté de «restaurer» une quelconque souveraineté populaire ne donne pas le droit de sacrifier ses semblables sur l’autel de son moi.
Etre grand c’est assumer ses responsabilités. Quand on a le courage de se révolter, il en faut aussi pour en assumer les conséquences. On parle bien ici de la conception socratique, platonique, bref philoso­phique du courage qui se distingue de la notion communément admise.
Malick NDAW
Journaliste, Consultant