Dans un contexte national tendu, marqué par la sortie du Premier ministre Ousmane Sonko contre les écoles privées catholiques, suivie de la «Lettre ouverte à un jeune politicien nouvellement promu» de l’Abbé André Latyr Ndiaye, nous quittait sur la pointe des pieds, Pierre Babacar Sarr, un musulman très catholique, figure de la Jeunesse étudiante catholique du Sénégal (Jec/S) et du Réseau des anciens jécistes d’Afrique du Sénégal (Raja/S). Pour l’avoir connu depuis presque un demi-siècle et témoin de son engagement au sein de l’Eglise, il est de mon devoir de porter mon témoignage de jéciste et de frère sur ce musulman plus engagé que certains catholiques.

Le 6 août à 12h 34 heure de Paris, je reçois un message audio sur WhatsApp de mon aîné jéciste, Benoît Diogoye Sène. Message que j’écoute à 13h 02. Il me dit : «Je sais probablement que tu n’es pas au courant. C’est difficile à dire, mais regarde les messages dans le groupe WhatsApp du Raja/S (Réseau des anciens jécistes d’Afrique du Sénégal). Je n’ai pas le courage de te l’annoncer. Regarde les messages.» Ce message de Benoît a le mérite de me préparer à encaisser le choc. Alors, je m’assoie et ouvre le groupe WhatsApp du Raja/S. Je défile, et je tombe sur le terrible message de Pierre Malick Ngom (arbitre de lutte et premier président du Raja/S), annonçant le rappel à Dieu de Pierre Babacar Sarr. A ce moment, mon cœur arrête de battre. Une douleur immense m’envahit.

Parce que Pierre Babacar Sarr, Jérôme Papa Diouf et moi étions devenus au fil du temps, chacun, le côté d’un triangle. Les deux premiers étaient de Gossas et habitaient la même commune de Pataar Liar. Au début des années 2000, la Jeunesse étudiante catholique (Jec) nous réunit et fait de nous des frères. Pierre Babacar Sarr, «Imam» ou «PBS» pour les intimes, était le meilleur d’entre nous. Un homme hors du commun. Lui, jéciste de la section de Gossas, et moi, de la section de Pie XII à Kaolack, étions devenus le pont de la Fédération de Kaolack. Quand je deviens responsable de la Fédération de Kaolack en 2002, il en devient le Secrétaire général. Avec son «jumeau» Jérôme Papa Diouf, feu Alain Benoît Diémé de Ndoffane, Robert Mané de Guinguinéo, Mbagnick Diouf (musulman) de Sokone, Mamadou Ndour (musulman) de Kaolack aujourd’hui agent des Eaux et Forêts, nous avons tenu à bout de bras la Fédération de Kaolack dans des moments très difficiles, sous la houlette du défunt et immense tonton Alain Sène.

Un musulman plus catholique que les catholiques
La particularité de Pierre Babacar, c’est qu’il est musulman, et certains ne le savaient pas. Pas qu’il s’en cachait, au contraire. Mais il était tellement convaincu de la mission de la Jec qu’il a absorbé tout ce que la Jec incarnait comme valeurs, prescription et interdits écrits et non écrits. Quand Pierre assistait à la prière, tu ne peux savoir que c’est un musulman. Durant toutes les années où nous étions à Kaolack, que soit lors des réunions du bureau de la Fédération, lors des week-ends de lancement ou d’évaluation, ou pendant les rencontres nationales, il n’a jamais manqué une messe. Pourtant, rien ne l’obligeait à y aller. Pierre Babacar était l’exemple achevé du dialogue islamo-chrétien.

Quand je suis devenu Responsable national de la Jec en 2009, il y avait, entre autres dossiers sur la table, la création du Réseau des anciens jécistes d’Afrique, section Sénégal. Ce dossier, chaque bureau national l’a traité, mais n’a jamais réussi à le mener jusqu’au bout. A notre premier mandat, le dossier était piloté par l’Equipe nationale. A la fin du mandat, rien n’a bougé. Quand j’ai été réélu en 2011, j’ai mené une réflexion personnelle pour savoir pourquoi nous n’avons pas réussi à créer le Raja/S. Au terme de la réflexion, j’arrive à la conclusion selon laquelle que l’Equipe nationale ne pouvait pas, en plus de son travail de coordination, de représentation, de mise en œuvre et de coordination du plan d’actions national, mener à bien le chantier de la création du Raja/S. Pour moi, c’était clair. Il fallait que cette tâche soit confiée à des personnes extérieures au Bureau national.

Les coulisses de la création du Raja/S
C’est ainsi que lors de la réunion du Bureau national du mardi 18 janvier 2011, je fis la proposition à l’Equipe nationale de confier la création du Raja/S à des personnes au Bureau national, conformément à l’article, alinéa 2 des Statuts qui stipule que «l’Equipe nationale eut en outre, pour un objet spécial, à se choisir un mandataire pris en dehors du mouvement». Proposition que le Bureau national valida.

Je porte alors mon choix, avec l’approbation de l’Equipe nationale, sur Pierre Malick Ngom et Pierre Babacar Sarr. Pourquoi ai-je choisi ces deux-là ? Le premier, ancien responsale de la Fédération du Sine, était devenu mon conseiller quand je dirigeais la Fédération de Kaolack ; et le second, pour avoir était mon Secrétaire général, je savais de quoi il était capable. Mais ce n’est pas tout. Parce qu’en 2008, Pierre Malick Ngom, conseiller de la Fédération de Kaolack, Eugène Thiaw (Equipe nationale), Christophe Diaga Sène, devenu prêtre, et Sidy Romain Sambou, de la Jec universitaire de Dakar, avaient représenté la Jec à une rencontre panafricaine au Mali.

L’une des conclusions de cette rencontre était que les mouvements nationaux fassent le recensement des anciens jécistes en vue de la création d’un mouvement des anciens jécistes dans chaque pays. Puis en 2009, Ginette Marguerite Badji (Equipe nationale), Pierre Babacar Sarr, feu Xavier Romaric Ndong, ancien responsable de la Jec/U de Dakar, et Pierre Malick Ngom représentèrent la Jec à une rencontre panafricaine à Niamey sur le dialogue interreligieux. L’occasion fut saisie, d’après leur compte-rendu, pour faire le point sur les engagements de Bamako. C’est pour toutes ces raisons que mon choix s’est porté sur les deux hommes. Alors, je prends attache avec eux pour leur notifier la proposition de l’Equipe nationale, leur expliquer les raisons de ce choix et leur mission. Ils acceptèrent. Le 1er février 2011, je fis une lettre circulaire à toutes les fédérations et sections pour officialiser la désignation de Pierre Malick Ngom et Pierre Babacar Sarr.

Un homme méthodique et méticuleux
Le 17 février 2011 à 16h 47, Pierre Babacar Sarr m’adresse ce mail : «Depuis notre discussion la fois passée sur le Raja, j’ai visité les sites de Jec Panaf et de la Jeci. Je me suis rendu compte qu’on est trop en retard sur ce qui se fait ailleurs. La Jeci prend ce réseau au sérieux et pense qu’il peut beaucoup apporter à la Jec.

Je pense qu’il faut convoquer une réunion restreinte, sans délai, entre le Bureau national et les mandataires du Raja pour peaufiner des stratégies de mise en œuvre. Cette réunion se chargera : de formaliser le mandat qui nous a été donné par l’En ;

d’identifier les zones cibles et les candidats potentiels au Raja ; de fixer les priorités à court terme par rapport aux candidats et zones ; enfin de mobiliser les moyens nécessaires.»

Voilà qui était Pierre Babacar Sarr. Un homme qui, quand il s’engage, il se donne corps et âme. Pour lui, il n’y a pas de place à l’improvisation.

Tout doit être réglé comme du papier à musique. Ainsi, l’année 2011 sera marquée par une série de rencontres et d’appels téléphoniques de Pierre Malick Ngom aux anciens. C’est le lieu, pour moi, de lui rendre hommage. Parce qu’à l’époque, WhatsApp ou autres applications de messagerie nous étaient presque inconnus et les réseaux sociaux n’étaient pas encore très entrés dans nos mœurs. Donc, Pierre Malick Ngom utilisait son argent pour appeler les anciens jécistes.

Les bases jetées au Conseil national 2011 à Ziguinchor
Sous l’impulsion des deux Pierre, le projet connut une avancée fulgurante. Un groupe d’envergure nationale se mit en place. De mémoire, je peux citer, entre autres, feu tonton Pierre Ngor Basse, tata Thérèse Ndour Diop, Marthe Ndiaye qui était à la Rts et ancienne de la Petite-Côte et des Martyrs de l’Ouganda, Marie-Claude Montanary, ancienne de la section de l’Immaculée, Henri-Pierre Koubaka, ancien du Collège Sacré-Cœur, Marie-Louise Diandy, ancienne de la Fédération de Ziguinchor, Benjamin Diouf, ancien de la Fédération du Sine, Martin Moussa Diouf, ancien de la Petite-Côte et ancien Responsable national, Benoît Diogoye Sène, ancien de Kaolack qui était le Point focal à Ziguinchor, Christian Marone, Point focal à Kaolack, Jean-Noël Diokel Ngom, Point focal à Fatick, Didier Antoine Waly Sagne de Bignona, Point focal à Kolda, et j’en passe. Plusieurs rencontres se sont tenues au domicile de tata Thérèse Ndour Diop qui n’a jamais fermé sa porte. Merci à sa famille pour la disponibilité et la générosité.

Il faut aussi noter qu’il y avait un groupe d’anciens jécistes de la Fédération de Dakar qui avaient maintenu des liens et ont créé un groupe plus ou moins formel. En replongeant dans mes archives, je pus citer Marthe Ndiaye de la Rts, Marie-Claude Montanary, Henri-Pierre Koubaka, Marie-Louise Diandy. Il y avait aussi Aline Baker Geneviève Ndiaye Diouf, Emilienne Bampassy et Pierre Marie Ndour. Ces derniers, je n’ai pas eu la chance de les rencontrer. Les rencontres et échanges au courant de l’année 2011 préparaient le premier grand rassemblement des anciens jécistes du Sénégal qui s’est tenu à Ziguinchor, en marge du Conseil national 2011 à l’Université Assane Seck. C’est lors de cette rencontre qu’est actée la création du Raja/S avec la mise en place d’un Comité de pilotage élu, composé de Pierre Malick Ngom, Pierre Babacar Sarr et Thérèse Ndour Diop. Mais l’année charnière est 2012. L’histoire retiendra que c’est Pierre Babacar Sarr qui a reçu la première rencontre formelle du Raja/S à la Mairie de Hann Bel-Air Yarakh le 14 janvier 2012. Grégoire Sarr y représentait l’Equipe nationale. Cette journée de réflexion s’est penchée sur la date de l’Ag constitutive du Raja/S, déterminer une fréquence de réunions, le montant de cotisation et le mode de recouvrement, et la formation d’un comité provisoire élargi chargé de préparer l’Ag constitutive et d’administrer le Raja/S.

Pierre Malick Ngom, Pierre Babacar Sarr, Thérèse Diop Ndour : les pionniers
Par la suite, plusieurs autres rencontres auront lieu entre le domicile de tata Thérèse Diop Ndour et la Direction des œuvres pour préparer l’Assemblée générale de création du Raja/S. La dernière réunion de préparation a lieu le 15 septembre 2012 à la Direction des œuvres de Dakar. Etaient présents : Thérèse Ndour Diop, Pierre Malick Ngom, Martin Moussa Diouf et François Mendy, Responsable national. L’Ag d’installation du Raja se déroula le 23 septembre 2012 au Centre Abbé Jean-Baptiste de Thiès, en marge de la Session nationale.
Lors de cette Ag, Thérèse Ndour Diop a retracé le processus de mise en place du Raja/S au panafricain qui a démarré depuis 1997 à Bingerville en Côte d’Ivoire. L’Assemblée générale est sanctionnée par l’élection d’un bureau composé de cinq membres que sont Marie-Claude Montanary, Pierre Malick Ngom (président), Martin Moussa Diouf, Franck Carlos et Benjamin Diouf. Ce jour-là, je sentis une grande fierté en tant que Responsable national, d’avoir réussi quelque chose d’inatteignable. Je n’oublie pas cependant que cette œuvre est celle de trois personnes : Pierre Malick Ngom, Pierre Babacar Sarr et Thérèse Diop Ndour.

Je salue la mémoire de l’homme qu’il était, du jéciste qu’il était et de l’homme politique qu’il est devenu. Etudiant, j’ai été témoin de son engagement au mouvement Tekki de son mentor, l’honorable député Mamadou Lamine Diallo, vice-président de l’Assemblée nationale. Lors d’un rassemblement de l’opposition à la Place de la République à Paris auquel M. Diallo prenait part, le Rewmiste que j’étais à l’époque, échangea furtivement avec M. Diallo en lui disant la chance qu’il avait d’avoir quelqu’un comme Pierre Babacar Sarr dans son équipe. C’est ce jour-là qu’il me fit savoir la place et le rôle-clé que jouait «PBS» dans le dispositif du parti.

Je présente mes condoléances à sa famille biologique, ses épouses et enfants, à la Jec, au Raja/S, à l’Eglise pour laquelle lui le musulman a eu un engagement sans faille.

PBS, je n’ai aucun doute que vêtu de ton vêtement immaculé, le Prophète Mohamed (Psl) et Jésus Christ se sont donné la main pour t’accueillir les bras ouverts avec le sourire. Frère, repose-toi du repos éternel. Mais n’oublie pas de veiller sur tes enfants. Adieu le jéciste, le rajaciste, le musulman-catholique que tu étais.

François MENDY
Ancien Responsable Fédéral de la JEC de Kaolack (2002-2007)
Ancien Responsable National de la JEC (2009-2013)
Ancien Trésorier/Coordinateur des Programmes de la JEC internationale (2013-2015)