Alioune Niang Mbaye, expert en décentralisation et développement territorial, porte un regard sur le débat autour du statut spécial de la ville de Dakar qui suggèrerait aussi la nomination et non l’élection du maire.

Que vous inspire ce débat sur un statut spécial ou la nomination du maire de Dakar ?
Il faut reconnaître que c’est un débat qui est fécond. D’abord, dans la mesure où il se positionne sur deux champs différents que sont la décentralisation et la déconcentration et qui sont deux mamelles indissociables. Pour rappel, la décentralisation est un processus politique qui cherche à promouvoir une démocratie à la base avec l’élection de représentants locaux appelés à exercer le développement social, économique, culturel et environnemental du territoire. Alors que la déconcentration est un système de représentation de l’Etat à travers des entités administratives. Cela veut dire que si le maire de Dakar est élu, comme c’est le cas actuellement, nous sommes dans le processus de la décentralisation. Mais quand il est nommé, nous allons retourner vers le processus de déconcentration. Et justement, dès qu’on parle de nomination, il serait important de ne plus utiliser le terme de maire de Dakar.

Quelle appellation proposeriez-vous ?
Dans le premier schéma comme c’est le cas actuel, d’abord nous avons un maire de ville et des maires de commune. Les communes sont des territoires autonomes bien matérialisés et qui sont appelés à incarner un certain nombre de prérogatives et de compétences qui leur sont dévolues par l’Etat. Alors dans ce cas, il faut d’abord accepter le fait que les communes ont un organe exécutif et un organe délibérant. Ce qui leur confère une certaine autonomie et des possibilités de pouvoir administrer librement leur collectivité territoriale. Par contre, le maire de ville va encore émaner de ces communes pour être une sorte de superstructure appelée à coordonner, à mettre en œuvre des processus destinés au niveau des communes. Justement, là il y a quelques difficultés parce qu’on constate qu’il y a un manque d’harmonie, une faiblesse dans la coordination et même surtout de contraintes dans la mutualisation des ressources et des compétences des communes. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui si on veut aller vers une nomination, on peut nommer ce que je pourrai appeler un «délégué territorial» qui n’est pas un élu local, mais qui sera nommé par le président de la République à travers un décret.

Et comment ce délégué territorial va-t-il travailler ?
Ce délégué territorial peut, par exemple, de manière très simple, être une sorte de technostructure, c’est-à-dire une administration souple qui a des experts et non des élus qui vont travailler à accompagner les communes dans le cadre de l’exercice d’un certain nombre de compétences qui ont une incidence sur des projets communs. Voilà pourquoi moi je propose, si on devait par exemple rompre avec le fait que le maire soit élu, qu’on ne parle pas de nomination d’un maire, mais plutôt que l’on essaye de désigner un délégué territorial. Lequel aura l’avantage, peut-être, d’accélérer le développement au niveau de la ville. Il aura aussi l’avantage de travailler en étroite collaboration avec les communes spécifiées autonomes pour pouvoir porter des projets de ville. Là, il serait important de faire une différence entre les projets de ville et les projets de territoires communaux. Si on pense qu’il est plus intéressant que Dakar soit administrée par l’ensemble des communes, il y a aussi qu’on peut avoir une structure déconcentrée, légère, c’est tout simplement un délégué territorial. Si on veut éviter les conflits de compétences ou ce que j’appelle «la compétition intelligente», il faudrait qu’il y ait une technostructure. Et justement, le délégué territorial ne va pas remplacer le sous-préfet, le préfet ou le gouverneur parce que ces derniers font de l’administration territoriale. Mais son rôle, c’est uniquement dans le champ d’une déconcentration orientée vers une harmonisation à l’intérieur des communes.