S’habiller à l’américaine, voir le monde comme le Chinois ou commercer comme un Russe, l’Africain a tellement d’influence qu’il oublie d’être lui-même. Il faut se promener à Dakar pour s’en rendre compte. Cette attitude n’est pas bénéfique pour le continent. C’est l’avis de Mike Sylla, un artiste pluridisciplinaire. Concepteur du Festival Afrosapiens qui s’est tenu à Dakar cette année, il a expliqué l’importance de se définir pour ensuite partir à l’assaut du monde. Loin de se revendiquer nationaliste, il invite à une ouverture contrôlée.

Mike Sylla, vous êtes styliste, designer, artiste et concepteur du Festival Afrosapiens. De quoi s’agit-il ?
Le Festival Afrosapiens est d’une grande importance. On entre dans l’ère de se définir, dire qui nous sommes et utiliser des outils modernes pour développer nos pensées. On veut trouver une voie toute nouvelle pour l’Afrique. Afrosapiens s’efforce à donner aux Africains, surtout les jeunes, les moyens de se connaître pour ensuite se développer. Il faut se doter des nouvelles sources pour s’orienter dans des voies nouvelles. En résumé, Afrosapiens veut donner les moyens de savoir qui nous sommes. Nous organisons Africa forum. Cette rencontre va être une table ronde où on veut donner aux créatifs des nouvelles qui vont les aider à s’identifier et à se développer. Il y a le Digital africa forum. Les «acoustikeurs» vont y apporter une touche festive. Il y a aussi un défilé et une exposition simultanément. Afrosapiens va servir de plateforme pour échanger et s’engager. Et il va réunir des universitaires, des stylistes, des musiciens et investisseurs, des éditeurs.

Il y a beaucoup de festivals qui s’inscrivent dans cette logique. Mais leur bilan semble négatif sur l’impact. Comment Afrosapiens va s’y atteler ?
Il est à nous ce musée. Il nous permet de savoir ce que nous avons fait et produit dans le passé. Il nous aide à faire évoluer notre vision. Nous avons besoin que ce lieu soit vivant. C’est en partie ce qui explique sa place dans le festival. Si nous réussissons à y amener la jeunesse pour lui montrer son histoire, nous avons gagné une bataille. C’est parce que nous ne nous méconnaissons pas que certaines font de la dépigmentation pendant que d’autres achètent des cheveux de personnes décédées. Et Afrosapiens va les aider à se définir pour aspirer au développement.

Avec un monde globalisé, il n’est pas facile de contrer l’influence culturelle étrangère. Que prônez-vous ? Une fermeture complète sur nous-mêmes ?
Il faut avoir une base solide avant de pouvoir s’ouvrir. Je pense qu’il faut s’ouvrir aux nouveaux outils tout en s’enracinant. Par contre, il faut miser sur la jeunesse, car on ne peut pas partir sur de l’ancien. Il faut nécessairement créer des passerelles. Il faut savoir utiliser les bonnes pratiques de l’étranger avec notre culture. Il ne faut pas nous pervertir, c’est l’essentiel. C’est pourquoi Afrosapiens accorde une importance capitale au volet éducatif.

Ce mélange dont vous parlez a été brillamment réussi au Nigeria avec ce genre musical nouveau appelé Afrobeat et que tous les musiciens font maintenant. Les Sénégalais doivent-ils surfer sur cette vague pour vendre notre musique à l’international ?
Le Sénégal regorge de rythmes et de talents. Le fait d’adopter les bonnes pratiques des autres ne doit pas nous pervertir ou nous désorienter. Le mbalax a des choses intéressantes. On peut le mélanger pour en faire du funk, du jazz etc. Pour dire que le mbalax est riche. D’un autre côté, quand on enlève les voix dans les morceaux, on entend les mêmes rythmes, je le concède. Pourtant, nous avons des rythmes manjak, bambara, sérère, soninké etc. Rien ne nous empêche de les mélanger. On a la possibilité non pas de concurrencer, mais d’amener le mbalax loin, hors de nos frontières. Dans ce contexte, j’ai créé un nouvel instrument. C’est la «koralire». C’est un mélange de la kora, la guitare et d’autres instruments. Il faut qu’on soit innovant. Notre xalam est beau. Rien ne nous empêche de le repenser. Nos compositeurs doivent sentir la nécessité d’ajouter nos différentes sonorités dans leur musique.