Enseignant-chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw explique l’effondrement de la Gauche sénégalaise. L’universitaire décline des pistes de sortie de crise à ces partis marxistes-léninistes confrontés au problème du renouvellement de son élite.

Qu’est-ce qui explique l’effondrement de la Gauche sénégalaise ?
Il faut dire que le phénomène est mondial. La Gauche est en crise. Même en France, le discours du Parti socialiste ne tient plus. Raison pour laquelle il a perdu le pouvoir. Il n’y a plus ces leaders qui tiennent des discours mobilisateurs parce que la Gauche française s’est disloquée. Le Gauche ne joue plus son rôle. Est-ce que c’est dû au fait que depuis la période de la guerre elle a du mal à mobiliser et à adapter son discours par rapport à l’évolution des sociétés ? C’est la grande question qu’il faut se poser. Au Sénégal, c’est la Gauche qui a mené tous les combats pour la démocratie et l’égalité sociale. C’est ce qu’on appelait à l’époque les idéaux marxistes. On peut citer feu Amath Dansokho, Pr Abdoulaye Bathily et d’autres dans leur parti qui ont joué un rôle d’avant-gardiste pour un changement social. Maintenant, le discours de la Gauche n’est plus audible parce que les leaders ont changé de stratégies et se sont conformés à l’évolution des pratiques politiques. Comme disait Amadou Ka (auteur d’un livre sur la Gauche sénégalaise), «on n’est plus dans la lutte des classes, mais dans la lutte des places». Les forces de Gauche cherchent aujourd’hui une position au sein du pouvoir afin de participer à la gestion et à la gouvernance des ressources. Aujourd’hui, on note pour le regretter que les gens ne se battent plus pour un changement social, une justice sociale et la meilleure répartition des ressources. On n’entend plus cette Gauche qui s’est conformée à ce discours néolibéral, aux injonctions du Fmi et de la Banque mondiale. Elle a complètement rompu les amarres avec ce qui faisait son socle sur le plan idéologique. C’est assez étonnant parce qu’au Sénégal, on voit une fracture sociale entre une poignée d’individus très riches et une majorité qui vit dans la misère.

Est-ce que les partis de Gauche ont un avenir ?
Cette Gauche n’a plus d’avenir à moins qu’elle ne modifie complètement sa vision politique. Il y a un décalage entre leur discours idéologique et ce que vivent les gens au quotidien. C’est la Gauche qui déclenchait les combats de masse. Nous avons aujourd’hui une Gauche qui se préoccupe plus du pouvoir que des luttes sociales. Leurs animateurs cherchent des positions de pouvoir en fonction des coalitions dans lesquelles ils se trouvent.

Que doivent faire les partis de Gauche pour sortir de cette crise et venir au pouvoir ?
Il faut qu’ils se cherchent des héritiers. Dans les partis de Gauche, il y a peu de jeunes. Je dirai que cette frange de la population y est quasi-inexistante. Ce sera très difficile parce que les préoccupations des jeunes d’aujourd’hui sont très différentes de celles il y a une quinzaine ou une trentaine d’années. Le discours doit changer. On est dans l’ère du numérique et il faut donc s’adapter à la jeunesse avec des nouveaux discours. Il va falloir modifier le discours et s’adapter aux réalités en changeant complètement de paradigme. Cette Gauche qui a mené des combats contre le régime socialiste et durant le régime libéral est vieillissante. Il se pose donc un problème de renouvellement de cette élite. Les partis de Gauche n’arrivent pas à recruter des jeunes parce que le discours n’est pas fait de telle sorte pour qu’ils puissent l’entendre.