Les petites vidéos de lui qui circulaient à sa consécration au Goncourt, le décrivaient comme quelqu’un de discret. Et c’est un coup d’œil discret qu’il a jeté avant de pénétrer la salle Amadou Aly Dieng de la maison d’édition Harmattan. L’écrivain n’aura pas de mal : la salle n’est pas pleine. Mais elle le sera, progressivement, et comme on pouvait l’espérer. La cérémonie de présentation du roman, qui trône en ce moment sur la littérature en langue française, a tenu ses promesses.
Ce sont Mbougar Sarr, Souleymane Gassama dit Elgas, la professeure Penda Mbow, Seneplus, entre autres, qui invitent : ça ne pouvait que drainer du monde. Et des demandes de photos et d’autographes. C’est «un travail sérieux» qui a suscité la réussite de La plus secrète mémoire des hommes, a annoncé Abdoulaye Diallo, directeur de Harmattan Sénégal. Les éloges n’ont pas manqué envers le Goncourt. Ce dernier, meilleur élève du Sénégal en 2009, est connu de tous. Et «il faut débarquer de la planète mars ou de plus loin, pour ne pas le connaître», a dit son ami Elgas qui n’a pas manqué de le défendre. Car, bien sûr, Mbougar, depuis peu, est un nom qui a «polémique» pour synonyme. Apologie de l’homosexualité, lui accole-t-on. Toute la furie après consécration sera balayée d’un revers de main par Souleymane Gassama : «Il a fallu qu’il y ait le Goncourt pour que toutes ces choses souterraines, ces frustrations accumulées ressortent, comme ça, en flots incendiaires, alors que justement sur ce sujet-là, il a eu un propos mesuré. Il a capté l’état de la société sénégalaise à laquelle il a pu tendre un miroir.» De purs hommes (ouvrage publié avant celui qui a remporté le Goncourt), somme toute, «a suscité des tensions irrationnelles».

Rétrécissement de l’espace du débat
Cette rencontre du 31 mars à la maison d’édition Harmattan de Dakar, selon la perspective de Elgas qui retraçait l’itinéraire littéraire de Mbougar, aide «à désamorcer les bombes» et à «ramener les choses à leur proportion». Parce qu’«un romancier n’est pas un dogmatique. Il n’est pas dans l’injonction, ce n’est pas un manipulateur». L’accusé lui-même ne manquera pas de dire un mot sur le livre pointé du doigt. Parlant d’engagement, de co-construction du sens d’un roman, entre lecteur et auteur, il dira que «ce n’est jamais un auteur que vous êtes en train de juger, c’est vous que vous dévoilez». Ce propos n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. L’assistance semblait guetter une telle phrase. Des applaudissements l’accompagnent alors. Par ailleurs, il soutiendra : «Tout ce que j’ai tenté de dire, de faire, se trouve dans les livres. C’est la raison pour laquelle j’évite de plus en plus de m’exprimer. J’évite de plus en plus de donner des explications. J’évite de plus en plus de me justifier, parce que je crois que je n’ai pas à le faire.»
Eloges, applaudissements, enthousiasme : à la salle Aly Dieng se sont rencontrés des hommes et des femmes, jeunes et autres d’âge plus avancé, pour célébrer un fils du pays. L’ambiance bienveillante a aussi mis en évidence une convergence d’idées entre les différents intervenants. Les professeurs Penda Mbow, Felwine Sarr et Abdoulaye Bathily se sont accordés à dire qu’il s’installe au Sénégal un rétrécissement de l’espace du débat. Felwine Sarr, co-éditeur de La plus secrète mémoire des hommes, a d’ailleurs fustigé l’émergence de «censeurs» qui s’arrogent le droit de s’opposer à la diffusion de telle ou telle œuvre artistique. «Obscuran­tisme» et «intolérance», décriera M. Bathily.
Par Moussa SECK