Umberto Eco utilise un synonyme d’ignorants à propos de la démocratisation des réseaux sociaux. Le mot est bien choisi puisqu’il pousse leurs utilisateurs à la vigilance. Plus qu’un rappel, cette vigilance sonne comme un impératif sur les choix qu’impose cette nouvelle alternance qui s’annonce à l’heure où le Sénégal intègre le club des pays pétroliers et gaziers.
Cette lunette à travers laquelle il nous faudra surveiller l’avènement de notre «troisième République», après la première d’inspiration socialiste et la deuxième d’obédience libérale, appelle quelques points d’attention dans cette œuvre commune d’édification d’une démocratie qui, bien qu’étant le sujet de périlleux tumultes, résiste encore.
Au-delà des principes souvent rappelés sur la nécessaire solidification des institutions, il me faudra préciser que mon propos n’est pas de remettre en cause le régime présidentiel, que j’estime plus adapté sous nos cieux, pour le régime parlementaire qui a montré (Israël, Italie…) à quel point il peut transformer les gouvernements en sursitaires à la merci des frondes de lobbys.
Cela étant dit, je souhaiterais, en tant que citoyen soucieux du devenir de son pays et auteur astreint au devoir de partage, soumettre, à l’attention de tous et sans aucune autre prétention, quelques propositions emblématiques visant l’amélioration du fonctionnement des pouvoirs (Exécutif, Législatif, Judiciaire et, pour moi, Société civile) dans cette démocratie en construction qui voit bien souvent le premier d’entre eux déborder les autres confinés à tenter de contenir ses envahissantes ardeurs.
A l’aune des changements qui s’imposent, l’Exécutif devrait être incarné par le président de la République, assisté d’un Premier ministre conduisant un gouvernement composé, idéalement, d’environ une quinzaine de membres choisis selon leurs compétences. Sous ce rapport, le chef de l’Etat et les ministres, eu égard à l’ampleur de la tâche qui les attend, devraient, selon une habitude à institutionnaliser, être préparés par des équipes coordonnées par le Bureau organisation et méthodes (Bom) à s’approprier les fondamentaux de l’Etat (organisation et fonctionnement de l’Administration, pouvoir hiérarchique, Protocole de l’Etat, niveau de classification et d’accès des documents…) afin qu’eux et leur entourage puissent faire preuve de la tenue et la retenue qu’exigent leurs éminentes fonctions.
D’ailleurs, dans le cadre du conseil stratégique visant l’amélioration des performances de l’action publique qu’il apporte au Président, le Bom pourrait, à chaque fois qu’un nouveau pouvoir s’installe, remettre au nouvel élu, un rapport portant sur les institutions de la République et présentant l’état du pays avec, entre autres éléments, une situation sur les acteurs de politique publique et les grands enjeux de société (interne et externe), ainsi que les grands dossiers de l’heure en termes de géopolitique.
Certains secteurs stratégiques (pétrole, énergie, mines, foncier…) ou domaines sensibles (politique, social, aspects communautaires, pratiques d’acteurs adverses du développement, bureaucratie…) requérant une prise en charge délicate devraient, également, faire l’objet d’une attention particulière de la part du Bom, qui s’adjoindrait l’expertise nécessaire, à l’effet d’apporter le meilleur conseil possible aux nouveaux décideurs qui disposeraient aussi de la latitude de consulter d’autres sources d’information.
Pour bien démarrer son magistère, le nouvel Exécutif devrait aussi porter un regard vigilant sur quelques secteurs mis en avant dans cette contribution non exhaustive.
En premier lieu, la politique sociale (solidarité, famille, femmes, adolescents, enfants) devrait trouver des passerelles avec l’Education (tous cycles et dimensions confondus) pour que la citoyenneté irrigue les comportements de nos jeunes compatriotes qui seraient imprégnés de l’idéal social (discipline et respect de ses traditions et des aînés) et valorisés à travers une politique intégrée qui les pousse à être innovants, conquérants, mais aussi pleins d’humilité.
Dans cette perspective, nos talents devraient être promus à travers une politique de détection déjà éprouvée (Uassu) étendue à toutes les localités qui seraient pourvues d’un système de veille et d’alerte aux autorités (par les citoyens, chefs de village, Société civile, élus…) qui servirait à identifier les futurs champions (sport, innovation technologique, bonnes pratiques…) en vue d’un accompagnement approprié, mais aussi à signaler les dommages ou malfaçons (dégâts sur travaux, nids de poule, bâtiments menaçant ruine, risques environnementaux…) constatés en tout endroit du pays.
Cet esprit guide aussi le sens des efforts à fournir pour rendre accessibles la santé et l’éducation avec une prise en charge gratuite et immédiate des soins d’urgence et d’autres soins lourds, puisque le développement doit être au service de l’homme et les décideurs se doivent d’être au chevet de l’humain, le seul capital viable.
En second lieu, l’Economie ne devrait pas être en reste puisque le bien-être du citoyen passe avant tout. A cet effet, le gouvernement devrait mettre en avant le patriotisme économique en encourageant des industries de substitution aux importations et œuvrer à réguler les prix (aliments, matériaux, loyers, logements) par l’instauration de mesures aussi bien incitatives que coercitives.
Celles-ci seraient en rapport, entre autres, avec l’investissement, l’aménagement du territoire avec des infrastructures, équipements et appareils de production, mais aussi des logements répartis de manière équilibrée sur le territoire national, les contrôles et sanctions sur les abus de prix, les structures de production et de commercialisation parapubliques dont la gestion est dépolitisée et dont les interventions en tant qu’acteur du marché participent d’une forme de régulation par la disponibilité des produits, par la qualité et par le prix.
Aussi des efforts devraient-ils être faits en direction de l’agriculture, un facteur d’autonomie et véritable levier pour l’artisanat (modernisé grâce à l’encadrement paysan par les techniciens et à la formation professionnelle) et pour l’industrie de transformation, un vivier d’emplois appelé à tirer parti de l’exploitation pétrolière et gazière pour devenir compétitive et évoluer vers d’autres dimensions (sidérurgie, industrie de pointe avec des joint-ventures orientées vers l’informatique, l’électronique…)
Grâce à de telles mesures, la vie chère ne serait plus qu’un lointain souvenir au Sénégal, avec une répartition plus juste des ressources optimisées à la faveur, notamment, de l’adoption de réformes à apporter à l’Administration, le troisième volet de ce point d’attention que constitue l’Exécutif. Sans trop nous attarder, soulignons l’urgence de réduire de manière drastique les agences et structures assimilées, et de se défaire des recrutements clientélistes.
Un coup de pied dans la fourmilière aidera à focaliser ce bras séculier de l’Etat, qu’il faudra dématérialiser, sur les résultats de qualité dans la célérité (délais de traitement des dossiers connus de tous et suivi électronique ouvert au public) et, entre autres, à épurer son fonctionnement de nombreuses aberrations institutionnelles subies par les citoyens (ligotés par d’aussi inutiles que multiples procédures comme, par exemple, l’authentification de signature d’une personne présente disposant de ses pièces…) et par les agents publics (écarts injustifiés de traitement, personnels d’agence, recrutés pour une mission bien précise, bénéficiaires de sortie temporaire…).
Concernant le pouvoir législatif, il importe de souligner que le contrôle de l’action gouvernementale requiert de l’Assemblée nationale, la compétence de ses membres, en plus des exigences de transparence qui doivent être rattachées au fonctionnement de cette institution. A ce sujet, le vote électronique, qui préserve l’anonymat, doit se substituer au système de vote à mains levées qui anesthésie les volontés individuelles dans une solidarité de groupe imposée.
Les parlementaires devraient, nantis de leurs immenses prérogatives, agir sur les politiques publiques en obligeant l’Exécutif à inscrire dans l’agenda des politiques publiques, les vrais problèmes de société, puisqu’ils sont censés être les représentants du Peuple.
S’agissant du pouvoir judiciaire, il est raisonnable de lui demander une seule chose : n’appliquer que le Droit, et rien que le Droit, au nom de cette Justice, rendue au nom de tous, qui doit protéger le citoyen.
Dans cette perspective, il y a lieu de rendre la Justice moins ésotérique puisque certaines procédures ne semblent surtout devoir léser que le citoyen. Autrement, comment comprendre qu’un agent public qui attaque l’Etat se retrouve débouté pour un vice de procédure uniquement dû à une défaillance d’un commis de la Justice désintéressé par son client sans pour autant déposer à temps le dossier ou alors quel sens donner aux tribulations d’une victime d’un accident de la route soumise à l’obligation de perdre son temps dans des procédures auxquelles l’auteur de l’infraction est dispensé ?
De même, comment expliquer le fait que certaines décisions du juge constitutionnel, insusceptibles de recours, soient entachées d’erreurs évidentes ?
Au sujet de la Société civile, que nous considérons, dans le cadre de cette réflexion, comme les organisations évoluant dans le développement matériel et immatériel (des esprits, local, institutionnel) et qui œuvrent à l’éveil des consciences, à l’implémentation d’attitudes et de pratiques conduisant au progrès économique et social, il y a juste un ou deux éléments à souligner.
Pour être utiles à leur pays en cette période charnière de changement de pouvoir, ces acteurs non étatiques (Secteur privé, ONG, associations, partis politiques, syndicats, journalistes, hommes de culture…) devraient toujours être dans la quête inlassable de la vérité. Cela passe par l’équilibre dans l’action et dans le jugement ? mais aussi par l’exemplarité qui leur confère l’autorité de rappeler la norme à tous.
Ces acteurs, censés être au plus près des préoccupations des populations dont ils constituent, en principe, le relais, devraient, dans leur rôle d’éclaireurs, agir avec toute l’objectivité requise et combattre les faits non documentés, les inélégances et les incivilités qui poussent à la violence, cette fossoyeuse des débats qui obscurcit l’esprit et le jugement des citoyens. En effet, comment appeler à la justice et à la bonne conscience des autres si l’on se montre intéressé ou partisan ?
Ce n’est qu’à ce prix que la Société civile pourra être une vigie pour le bateau Sénégal et obliger les différents pouvoirs en démocratie à se focaliser sur les services rendus aux citoyens sénégalais dont le bien-être doit constituer le moteur de toute action.
Oumar El Foutiyou BA
Ecrivain – elfba@yahoo.fr