Fidèle à sa méthodologie, Dr. Dia présente un nouvel article au public sous la forme d’un questionnaire simple et facile à comprendre afin de mieux édifier la population sénégalaise en particulier et les Africains en général sur la polémique autour du vaccin d’AstraZeneca.
Pourquoi le vaccin d’AstraZeneca a été sus­pen­du dans certains pays majo­ritairement euro­péens ?
Tous ces pays ont privilégié le principe de précaution. Le but est d’arrêter temporairement l’admi­nis­tration du vaccin d’Astra­Zeneca, suspecté d’être néfaste pour certains patients. La suspension est temporaire, le temps de faire une investigation pour déterminer l’existence ou pas d’une relation de cause à effet entre le vaccin et les trou­bles de coagulation observés. Le principe de précaution, notam­ment, la suspension du vaccin par certains pays, était juste une mesure préventive, car à l’heure actuelle, il n’existe aucun lien de causalité entre le vaccin et les troubles de coagulation observés.
Tout a commencé en Autriche quand deux infirmières ont été hospitalisées dans un état grave après avoir reçu le vaccin d’AstraZeneca. L’une des patientes est décédée à cause de troubles graves de coagulation (thrombose). Ce qui a poussé l’Autriche à suspendre la vaccination avec le lot de vaccins concerné. D’autres pays européens (Lituanie, Estonie, Lettonie, Luxembourg) ont suivi l’exemple autrichien en suspendant le même lot de vaccins. Ensuite, c’est autour du Danemark de suspendre cette fois-ci totalement les vaccins d’AstraZeneca après avoir constaté les mêmes troubles graves de coagulation avec au moins un décès chez certains patients ayant pris le même vaccin. Beaucoup d’autres pays (Norvège, Islande, Bulgarie, Thaïlande) y compris un pays africain (Congo) ont suivi l’exemple danois. Dans un premier temps, l’Allemagne et la France ne voulaient pas adopter le principe de précaution, mais ils ont fini par le faire. L’Allemagne avait constaté sept cas de thrombose. Parmi les sept patients, trois sont décédés.
Pourquoi d’autres pays comme la Belgique, l’Angleterre, le Sénégal n’ont pas adopté le principe de précaution ?
Ces pays n’ont pas adopté le principe de précaution parce que scientifiquement parlant les données connues n’établis­saient pas une éventuelle relation de causalité entre le vaccin d’AstraZeneca et les cas de thrombose constatés. Le rapport des cas de coagulation sur le nombre de vaccinés est 30 pour 5 millions, soit 0,0006% ((30/5 millions) x100). D’après la Cdc américaine (Center for disease control and prevention), le taux annuel de thrombose est de 1 à 2 cas pour 1 000 adultes, soit 0,1 à 0,2%. D’après le National blood clot alliance américaine, il existe 2 à 5% de chances de développer une thrombose au cours de sa vie. Une étude américaine (Lifetime risk of venous throm­boem­bolism in two cohort studies), publiée en 2015, estime qu’au moins 1 adulte d’âge moyen sur 12 développera une thrombose au cours de sa vie restante, soit 8,8%. Il est aussi très important de savoir que 20 à 40% de ceux qui développent une thrombose ont des prédispositions génétiques favorables à la thrombose. Comme vous pouvez le constater, la chance de développer une thrombose à la suite d’un vaccin d’Astra­Zeneca (0,0006%) est presque nulle, comparée aux autres données statistiques. En d’autres termes, il est de loin plus probable de faire une thrombose non liée au vaccin d’AstraZeneca qu’une throm­bose liée au vaccin d’Astra­Zeneca. C’est pourquoi la décision d’adopter le principe de précaution a été vue par certains comme une décision plus politique que scientifique. Le 17 mars dernier, l’Organi­sation mondiale de la santé (Oms) s’était prononcée en faveur de la poursuite de la vaccination. Un jour plus tard, c’est autour de l’Agence européenne du médicament de réaffirmer que le vaccin d’AstraZeneca était sûr. La relation de cause à effet entre le vaccin et les coagulations (thrombose) graves n’est pas prouvée et les avantages du vaccin sont supérieurs aux risques. Beaucoup de pays comme la France et l’Allema­gne, qui avaient suspendu le vaccin, ont repris son utilisation, puisqu’il a été mis hors de cause. Cependant, le risque de coagulation sera inscrit sur la liste des effets secondaires possibles puisqu’on ne peut pas rejeter catégori­quement la possibilité que le vaccin puisse entraîner des thromboses, même dans des rares cas.
Alors, existe-t-il une quelconque pertinence dans l’adoption du principe de précaution alors qu’on connaissait toutes ces données ?
Je défends le principe de précaution parce que ce vaccin est nouveau et il a connu d’autres aléas, avant celui-ci, que les populations gardent en mémoire. Donc, le principe de précaution doit être de mise. Il y va non seulement de la sécurité des patients, mais surtout il permet de rassurer les populations sur la rigueur scientifique et la transparence appliquée à la gestion de cette crise. Il est très important de prendre en compte la peur et les inquiétudes des populations. Sans doute les gouvernements qui ont adopté le principe de précaution ont renforcé la confiance des populations envers la gestion de la pandémie. Cela montre qu’ils suivent de près la pharma­covi­gilance du vaccin. Ce qui est plus rassurant pour les populations.
Est-ce que cette crise d’AstraZeneca ne va pas renforcer la méfiance face à la campagne de vaccina­tion ?
Avant tout, il faut que tout le monde comprenne que le vaccin est à ce jour le seul moyen disponible pour juguler cette pandémie. La Covid-19 fait des ravages et montre des capacités d’adaption inquiétantes. Par ailleurs, il est important de savoir que cet incident est presque normal à cause de trois raisons principales. L’une est liée à la nouveauté du médicament et les deux autres à la vaccination de masse. Premièrement, quand un nouveau médicament est commercialisé, il est possible d’observer des effets secondaires qu’on n’avait pas observés pendant les phases expérimentales parce qu’une fois commercialisé, ce nouveau médicament est utilisé par un plus grand nombre que celui qui l’avait utilisé pendant les phases expérimentales. C’est pourquoi il existe le principe de précaution où l’on suspend l’utilisation du médicament s’il est soupçonné d’entraîner des effets secondaires imprévus, le temps de faire une investigation. Ce principe de précaution peut se terminer par une reprise de l’utilisation du médicament s’il est mis hors de cause comme c’est le cas avec le vaccin d’AstraZeneca. Mais il peut se terminer aussi par un rallongement de la liste des effets secondaires ou des contre-indications. Encore mieux, il peut conduire à un retrait tout simplement du marché du médicament si le rapport bénéfices/risques est jugé défavorable. Beaucoup de médicaments ont été retirés du marché après que l’accumu­lation des données (preuves) ait démontré que le rapport bénéfices/risques n’était pas favorable. Deuxièmement, tout médicament est susceptible de provoquer des effets secon­daires plus ou moins graves chez certaines personnes. C’est le cas aussi des aliments (viande, lait, arachide, poisson, etc.) qui engendrent des réactions allergiques chez certaines personnes. Alors, pendant une campagne de vaccination de masse où on ambitionne de vacciner des millions de personnes, la probabilité d’atteindre ces personnes augmentent naturellement. Troisièmement, tous les jours des personnes meurent pour différentes raisons. Alors, le hasard peut faire que la mort survienne après la prise d’un vaccin. Comme cela arrive pendant une campagne de vaccination de masse, on peut penser que ces morts sont liées aux vaccins alors que c’est tout simplement un hasard. Une corrélation ou association entre deux variables (prise de vaccin et mort d’un patient) n’implique pas forcément une causalité (le vaccin a causé la mort).
Est-ce qu’on peut recevoir une dose initiale avec AstraZeneca et la deuxième avec Sinopharm ou vice-versa ?
Non, il faut compléter les deux doses avec le même type de vaccin pour une raison très simple. Il n’existe pas pour le moment d’études sur la combinaison de deux différents vaccins. Dans les articles précédents, j’avais expliqué le mécanisme d’action des différents vaccins. Le vaccin Sino­pharm et celui d’Astra­ze­ne­ca n’ont pas les mêmes mécanismes. Alors, s’ils sont cumulés, ils ne peuvent pas donner les mêmes résultats. Par ailleurs, il faut savoir qu’après la dose initiale, le corps a déjà développé une certaine pro­tection contre une évolution sévère du Covid-19. La seconde dose est un «booster». Il amplifie la réponse immuni­taire initiale. Par exemple avec le vaccin américain de Pfizer-BioNTech, la dose initiale produit une protection de 52% et la seconde amplifie cette protection de 52% à 95%. Un nouveau vaccin à dose unique a été autorisé. Il est produit par Johnson & Johnson qui est une firme pharmaceutique américaine.
Quels sont les effets secondaires (indésirables) du vaccin d’AstraZeneca ?
D’après une source de l’Oms du 10 février dernier (AZD1222 vaccine against Covid-19 developed by Oxford University and AstraZeneca : Background paper), la majorité des effets indésirables reportés pendant les phases expérimentales étaient modérés et disparais­saient généralement au bout de quelques jours après la vaccination. Après l’adminis­tration de la seconde dose, les effets indésirables étaient plus légers et moins fréquents. Les effets indésirables les plus fréquents étaient : sensibilité du point d’injection, douleur au point d’injection, enflure du point d’injection, maux de tête, fatigue, douleur musculaire, malaise, fièvre, frissons, nausée et douleurs articulaires. La réactogénicité était généralement plus légère et moins fréquente chez les adultes de plus de 65 ans que chez ceux de moins de 64 ans.
Allaitement et vaccin :
D’après la Cdc, comme les vaccins non-répliquant ne présentent aucun risque pour les femmes qui allaitent ou leurs nourrissons, les vaccins de la Covid-19 sont également considérés comme ne présentant pas de risque pour le nourrisson allaité. Par conséquent, les femmes qui allaitent peuvent choisir de se faire vacciner même s’il n’existe pas d’études disponibles sur cette catégorie. Personnelle­ment, je vous recommande d’en parler avec votre médecin ou pharmacien qui prendra en considération d’autres facteurs qui vous sont spécifiques pour mieux vous conseiller.
Comment expliquer cette méfiance soudaine face à la vaccination ?
C’est un problème multifactoriel et complexe. Je pense que cette maladie a généré une incertitude jusque-là jamais observée. Il est vrai que la méfiance à l’égard des vaccins a toujours existé. Mais ce qu’il y a de nouveau, c’est la défaillance du savoir médical attisé par l’origine encore mystérieuse du virus. Et pis encore, pour les populations profanes, c’est la science qui contredit la science. Toutes les hypothèses, même scientifi­quement imperti­nentes, sont libérées au public. Une affirmation d’un scientifique le matin peut être remise en cause par un autre scientifique l’après-midi. Ce qui contribue à alimenter les théories du complot amplifiées par la nouvelle dimension des réseaux sociaux. La peur, mais aussi l’ignorance ou la paresse intellectuelle font que les gens croient à presque tout ce qu’ils voient ou entendent et le partagent systématiquement sans y jeter le moindre regard critique. Une publication (vidéo, audio, texte) est très vite reprise dans les quatre coins du monde, sans pour autant vérifier son authenticité ou la véracité du contenu. Est-ce qu’il ne faudrait pas réfléchir à une nouvelle charte de communication scientifique à l’ère des nouvelles technologies de l’information ? Mais on risque de nous opposer la fameuse restriction de la liberté d’expression. Pour finir, il faut dire que l’industrie pharma­ceutique est perçue par la plupart des gens comme les autres pans de l’économie et un instrument politique (diploma­tie du vaccin). On a l’impression qu’elle est beaucoup plus préoccupée par le profit que le bien-être de la population. Pourtant, il existe des organes de régulation du secteur pharmaceutique. Toutefois, il y a une profonde crise de confiance entre le citoyen et la politique à l’échelle mondiale, à laquelle les autorités devraient remédier le plus tôt possible.
Dr Abdoulaye Kébé DIA
Médecin
Usa