La dernière enquête sur les conditions de vie des ménages sénégalais a pris pour référence un document de l’Ansd daté de 2011, pour montrer le recul de la pauvreté en 10 ans. Cependant, la lecture du document en question tendrait à faire croire que la pauvreté a reculé non de 5% comme le dit l’Ansd, mais de 10%. Ce qui incite à se demander à quel document de l’Ansd se fier.Par Mohamed GUEYE – 

L’Ansd, dans son Enquête harmonisée sur les conditions de vie des ménages au Sénégal (Ehcvm), qui a fait beaucoup de bruit dernièrement, a déclaré que le nombre de pauvres a augmenté de 200 mille individus au Sénégal, entre 2011 et 2019, même si la population a cru encore plus. Mettant à contribution la Deu­xième enquête de suivi de la pauvreté au Sénégal (Esps II) produite par elle en 2011, cette institution a affirmé dans son Ehcvm que «comparativement à l’Esps-II, les résultats de l’enquête Ehcvm indiquent qu’au niveau national, le taux de pauvreté a baissé de 5 points de pourcentage entre 2011 et 2018/2019 pour se situer à 37,8%». Le document précise de manière comparative que «le taux de pauvreté monétaire est estimé à 37,8% en 2018/2019, soit une baisse du niveau de pauvreté de cinq points par rapport à 2011 (42,8%) à l’issue des travaux de raccordement. Malgré cette baisse du taux de pauvreté, le nombre de pauvres a augmenté au Sénégal (5 832 008 en 2011 contre 6 032 379 en 2018)».
On sait que c’est cette affirmation sur l’augmentation du nombre de pauvres qui a fait débat, quand le ministre de l’Economie, de la coopération et du Plan, Amadou Hott, s’est permis de donner sa lecture de ces chiffres, pour affirmer que, contrairement à ce qui était compris, le taux de pauvreté avait fortement reculé au Sénégal du fait d’un bond démographique. Mais là n’est pas la question.

Taux de pauvreté en 2011, 46,7%
Quand on revisite l’Esps II, sur le site internet de l’Ansd, on se rend compte que les données présentées par l’Ehcvm comme étant tirées de l’Esps II ne sont pas conformes à celles qui sont dans ledit document. Car à la page 15 de ce document de 2011, il est indiqué ceci : «L’in­cidence de la pauvreté monétaire est estimée à 46,7% en 2011. Les estimations montrent des disparités de niveaux de pauvreté selon le milieu de résidence. En effet, la pauvreté est plus élevée en zone rurale avec une proportion de 57,1% contre 41,2% dans les autres zones urbaines et 26,1% à Dakar. L’Esps-II a estimé la pauvreté subjective en demandant aux ménages de se prononcer sur leur propre appréciation par rapport à leurs conditions de vie. Les résultats montrent que 48,6% des ménages s’estiment pauvres. Les taux de pauvreté subjective et monétaire ne s’écartent pas trop et sont dans les mêmes intervalles de confiance car le taux de pauvreté monétaire est estimé à 46,7%.»
Si l’on tient compte de ces chiffres de l’Esps II, ce n’est pas 5% de recul que la pauvreté aura connu au Sénégal, mais plutôt environ 10% ! En dépit, ou même surtout, du fait de la grande confiance que l’on accorde à l’Ansd et à ses analyses, on ne peut que se demander comment une telle dichotomie peut se produire. Est-ce à dire que les rédacteurs de l’Enquête harmonisée n’ont pas consulté les documents de 2011 ? Ou alors, celles-ci avaient été corrigées, mais n’avaient pas été portées à la connaissance du public ?
Tout le monde voudrait bien croire Amadou Hott, le ministre de tutelle, qui a affirmé quelques jours plus tard, que les chiffres de l’Ansd «sont béton». Mais il reste à savoir de quels chiffres il parle. De ceux de 2011 ou de ceux publiés en 2021…
Prenons les dépenses des ménages et des individus. L’Esps affirme : «En moyenne, un individu du quintile le plus riche a dépensé 367 542 F Cfa au cours de cette année, alors que dans la même période, celui du quintile le plus pauvre n’a pu dépenser que 157 756 F Cfa, soit un ratio de près d’un tiers au détriment des plus pauvres.» Les mêmes données, dans l’Ehcvm, analysant les chiffres de 2011, disent ceci : Le premier décile (le plus pauvre) aura dépensé en une année 121 334 F Cfa, et le dernier décile, 1 258 092 F Cfa.
D’autres incohérences existent sur d’autres données, mais Le Quotidien n’a voulu se focaliser que sur celles portant sur les taux de pauvreté et de dépenses, parce qu’elles ont attiré l’attention du public ces derniers jours. Pour la crédibilité du travail qu’ils mènent et qui semble apprécié par tous, il serait souhaitable que les fonctionnaires de l’Ansd clarifient les dichotomies entre les documents produits par eux-mêmes, et qui se trouvent être disponibles sur leur site et dans leurs archives.
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