«Politique et poétique au Sud du Sahara» de Makhily Gassama, un des plus grands critiques littéraires en Afrique, a été publié au mois d’août 2013 par Abis Editions, au milieu de l’hivernage dans le Sahel et au cœur de «minuit», à zéro heure, quand le jour et la nuit se confondent…
L’hivernage est synonyme de pluie dans le Sahel et particulièrement dans la verte Casamance où est né Makhily Gassama, à Marsassoum plus précisément (la répétition de la consonne «s» n’est pas gratuite).
«Il pleut des mots» dans «Politique et poétique au Sud du Sahara» et pas n’importe lesquels, les mots de l’Afrique ancestrale, les mots de l’Afrique dominée, les mots de l’Afrique debout et fière, tous les mots de l’univers.
Il est important d’évoquer ici les circonstances «hivernales» de ce livre majeur qui laissera une grande empreinte, un bel arc-en-ciel dans le ciel de la poésie africaine de langue française.
Il y a «deux temps» dans cet ouvrage : le «temps politique» et le «temps poétique» (le titre de l’ouvrage illustre bien ce séquençage) que Makhily Gassama réunit en un seul temps : le «temps de l’écriture».
Cette écriture est politique et poétique, elle est ce cri lancé «grave à l’assaut des chimères» et ce cri est le même et il n’a qu’une seule couleur : la couleur de la révolte, la «plume levée» et souvent «le poing levé», à la manière des athlètes «noirs américains» (Tommie Smith, John Carlos, Lee Evans) sur le podium dressé dans le stade de Mexico en 1968, à l’occasion des Jeux Olympiques.
Parce que le cri du maître de la plume -Makhily Gassama- est le même, Spero Stanislas Adotévi, l’auteur de «Négritude et Négrologues» ne peut pas écrire, dans sa belle préface : «…car les textes qui vont de la page 124 à 243, ne sont pas ceux d’un épigone».
Le cri est le même du Chapitre 1 : «l’Afrique a mal» à l’interview accordée au journal Le Témoin, le 21 février 2008, et qui clôt l’ouvrage (la page 244 est en réalité la dernière page de ce livre qui fera date).
Le temps politique de l’ouvrage, la «systole auriculaire», pour suivre le modèle de contraction du cœur, cet organe automatique, sera traité avec l’expertise nécessaire et le recul historique par ceux qui savent tout de la «chose politique» ; je ne prendrai pas le risque aujourd’hui (2013) de m’aventurer sur ce terrain-là car, mes positions politiques sont connues et elles n’ont guère changé depuis 1973 ; je suis resté fidèle, dans la maturité, aux aspirations de ma jeunesse.
Le temps poétique, la «systole ventriculaire», est le nôtre et nous traiterons essentiellement de l’inspiration poétique et non pas de la poésie qui devient vite une «science appliquée» lorsque le Maître Makhily Gassama se penche «avec patience, sur le mécanisme de l’acte poétique», pour en extraire «la substantifique moelle», sa moelle africaine dans le cas qui occupe notre réflexion et notre analyse.
«Les griots du roi m’ont chanté la légende véridique de ma race au soir des hautes kôras…» (L.S.Senghor, Poèmes, éd.du Seuil 1964)
Traduisez : la poésie est un chant et le griot, le poète majeur, est aussi un historien : il raconte et il chante les louanges, toujours à sa manière, quand la mer et le soleil se mêlent, quand l’horizon est touché…
Le chant, écrivions-nous dans «TALI 26» (Vovo Bombyx, éd.du Panthéon Paris, janvier 2011), dérive d’un potentiel et les deux pôles «électriques» d’où jaillit le «chant» du poète, existent dans l’âme de ceux qui chantent, les griots avant tout, mais pas seulement, car le «don du chant» dépend, chez l’homme ou la femme, de «l’intensité émotionnelle devant le spectacle de la vie» (André Breton in Le Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire)
André Breton, le maître incontesté et incontestable du surréalisme, a écrit dans sa lumineuse préface du «Cahier d’un retour au pays natal de Aimé Césaire» : «…chanter ou ne pas chanter, voilà la question et il ne saurait être de salut dans la poésie pour qui ne chante pas, bien qu’il faille demander au poète plus que de chanter…»
Dans sa «démonstration», Makhily Gassama cite le poète de Taslima, El Hadj Cheikh Sidiya Diaby, ainsi que le poète mandingue, Karamoko Sitokoto Dabo : leurs vers sont traduits et rendus à la lumière par le maître et critique littéraire hors pair !
Il est facile, après avoir lu et compris Makhily Gassama, d’écrire que, finalement, la poésie existe sur tous les continents depuis des lustres et particulièrement en Afrique mais hélas, tous les poèmes «commis» de par le monde n’ont pas été traduits ; une immense tâche nous attend et traduire les poètes de l’Afrique, entre autres, toute l’Afrique, sera un acte politique (je pense en particulier aux Manuscrits de Tombouctou au Mali et de Chinguitti en Mauritanie).
Makhily Gassama formule dans son ouvrage, qu’il faut s’empresser de lire, une grande et solide thèse : le poète africain est fort dans sa poésie lorsqu’il est fort dans sa tradition et dans sa langue maternelle car, cette langue qui est son véhicule premier, le propulse et le conduit à recueillir, mieux que quiconque, la lumière des étoiles…
Cette thèse défendue par Makhily Gassama est explosive et vraie mille fois : elle est «vraie» (je reprends une expression de mon ami Ibrahima Ndaw, l’auteur de «Une fleur à la mer») pour de nombreux poètes à travers le monde mais que penser alors du poète africain ou asiatique (Chine et Inde) qui n’a pas eu la chance de faire le «détour magique» par la langue traditionnelle et qui «chante à tue-tête», dans une langue d’emprunt, comme seuls savent chanter les poètes des cinq continents et surtout du sixième continent, le continent du rêve et de la beauté pure…
Je ne m’étendrai pas sur le sujet car il est vaste et que je suis concerné au «premier chef» par l’usage que je fais de cette langue d’emprunt et, je ne crois pas être le seul dans ce cas-là.
Makhily Gassama a étudié particulièrement la langue de Amadou Kourouma et il a raison d’affirmer que la langue maternelle de l’écrivain lui a ouvert les portes de l’inspiration créatrice et qu’il a pu, chemin faisant, enrichir la langue française en y introduisant des pépites d’or, de l’or extrait de la terre nourricière, la terre rouge de «l’Afrique des fiers guerriers et des savanes ancestrales …» (David Léon Mandessi Diop)
Makhily Gassama se penche, dans son ouvrage «Politique et poétique au sud du Sahara», jusqu’au vertige, sur les mécanismes de l’écriture poétique et sur la fabrication non pas des rêves, mais des mots : la poésie est la «fête des mots» et en cela tous les «jongleurs de mots» doivent être invités à la grande «fête des mots».
L’univers des mots dont parle le critique est un univers «magique circonstanciel» pour paraphraser encore André Breton.
Le mot est une vibration émise par le poète, le mot est également un dessin simple pour ne pas dire un chemin, le chemin des mots, les mots en fête…
Les surréalistes ont su renouveler l’expression poétique ; ils ont introduit dans le langage l’élément -le chaînon- qui manquait : la combustion et, toute combustion implique une certaine dose d’oxygène, l’oxygène naissant…
Les «phares» de la poésie qui nous sont proches ont été invités par Makhily Gassama dans son ouvrage : ils ont pour nom et prénom, Aimé Césaire, Léon Gontran-Damas, Léopold Sédar Senghor et, dans la lumière vive des phares, «habitent les nénuphars»…
A chacun ses phares ; ils sont au nombre de vingt-quatre aux yeux de Jacques Attali qui écrit toujours aux aurores dans sa maison de Neuilly-sur-Seine ; je crois qu’il a oublié de citer deux phares, dont lui-même…
Les phares dont parle Makhily Gassama ont subi des «influences» célestes, marines et terrestres : il serait intéressant de réécrire les biographies de tous les grands poètes à partir d’une analyse méticuleuse des livres qu’ils ont lus et parfois traduits, de la structure et de la composition de leur bibliothèque : dis-moi qui tu lis et je te dirai qui tu es…
J’ai posé un jour, par écrit, à Makhily Gassama, la question suivante : à quelle heure le poète écrit-il ?
Il y a mille chemins en poésie, et l’homme, tout l’homme, restera durablement influencé par le mouvement des astres dans l’univers, la fameuse «cosmogonie africaine» et particulièrement par les cycles cosmiques majeurs qui touchent tous les êtres vivants et pas seulement…
Le griot, quand il est poète plus qu’historien, chante debout et sa poésie est «instantanée»…
La poésie s’écrit en général «assis» mais elle se pense autrement (debout ou allongé) souvent en marchant et en écoutant battre le pouls de l’univers et parfois son propre pouls… (esprit es-tu là ?)
Makhily Gassama qui écrit comme un initié, il écoutait son père -l’érudit de Taslima- de loin, vient d’ouvrir un chemin qui conduira tous les poètes à la «fête des mots», les mots qui fusent et qui éclairent la terre et le ciel même s’ils viennent et, c’est la thèse que je défends, du littoral…
«Lance ton cœur par-dessus la haie, ton cheval suivra…»
Salve Magister !
VOVO BOMBYX
Août 2013