Si je devais ne retenir qu’une seule réussite de la politique extérieure du Président Macky Sall en 12 ans, ce serait incontestablement et sans aucune hésitation, le départ de Yahya Jammeh. Ce dernier a été une épine dans le pied du Sénégal pendant 23 ans, jouant au pyromane la nuit et au sapeur-pompier le jour dans la crise casamançaise, qui est notre crise nationale la plus grave. Sur la scène internationale, un Etat n’a que deux acteurs : le diplomate et le soldat. Et le fait pour le Président Sall de s’appuyer alternativement et harmonieusement sur le diplomate et le soldat pour chasser Jammeh du pouvoir sans un coup de feu, est un coup de génie qui mérite d’être étudié dans les écoles de guerre et de diplomatie. Ce coup de génie a eu un impact décisif sur la crise en Casamance, en privant le Mfdc de zone de repli, mais aussi et surtout en rapprochant géographiquement la Casamance, avec le Pont de Farafegny.
Le Mfdc avait apporté une mauvaise réponse à une vraie question (l’enclavement). Avec le Pont de Farafegny, entre autres (bateaux et les avions), le Président a apporté la bonne réponse à la vraie question, rendant ainsi anachronique le Mfdc. C’est pourquoi, à mon avis, le départ de Jammeh et le Pont de Farafegny sont plus importants que toutes les autres réussites, car on dit : «Un pays fait son histoire, mais subit sa géographie.» Notre géographie, c’est ce que Senghor a appelé les cercles concentriques pour marcher vers l’unité africaine. Dans son excellent ouvrage, le Sénégal et ses voisins, Momar Coumba Diop montre que le premier cercle autour du Sénégal était un cercle de feu, avec une intervention militaire en Gambie (Fodé Kaba 2), une intervention militaire en Guinée-Bissau (Opération Gabou), un long conflit avec la Mauritanie de Ould Taya, sans oublier l’antagonisme entre Senghor et Sékou Touré, et l’éphémère Fédération du Mali. Entre le Sénégal et ses voisins, les 12 ans de Macky Sall peuvent se résumer de façon simple : abattre les murailles de la méfiance pour les remplacer par les ponts de la confiance.

Un pont de la confiance sur le fleuve Gambie et un autre sur le fleuve Sénégal, avec le Pont de Rosso. Ces ponts de la confiance désenclavent le Sénégal, la porte de l’Afrique de l’Ouest, qui était en fait un pays très enclavé, car la porte n’était en fait ouverte en permanence que sur l’Atlantique. La politique extérieure du Président Sall a déconstruit cette hégémonie de la logique atlantiste qui remonte à la colonisation, pour ouvrir la porte vers le continent.
En douze ans, le premier cercle, qui était de feu, est devenu un cercle de paix avec la volonté du Président de remplacer la méfiance par la confiance dans nos relations avec la Mauritanie, avec le partage des richesses énergétiques à la frontière. C’est un vieux principe de sciences politiques, qui veut que deux pays qui font du business se font rarement la guerre. Donc, la Mauritanie, par ce principe, va devenir un des plus grands pays alliés du Sénégal, ce qui est à la fois une logique géographique et historique, car le fleuve n’a jamais été une frontière et le Pont de Rosso va le rappeler dans le béton.

Un autre principe de sciences politiques enseigne aussi que les démocraties ne se font pas la guerre. Après le départ de Jammeh, la Gambie est redevenue rapidement la démocratie qu’elle a toujours été et a donc aujourd’hui les meilleures relations avec le Sénégal. Il en est de même pour la Guinée-Bissau depuis que la démocratie est revenue dans ce pays avec le soutien du Sénégal. Ces deux principes (les démocraties ne se font pas la guerre, quand on fait du business, on se fait rarement la guerre), sur lesquels le Président Sall s’est appuyé pour transformer le cercle de feu en un cercle de paix et de co-prospérité, ont déjà montré leur pertinence en Europe, car ce qu’on appelle le modèle européen n’est rien d’autre qu’une substitution de l’économie à la guerre comme mode de régulation des relations entre nations européennes, après les tragédies des deux guerres mondiales.

Le premier cercle concentrique, qui est celui de nos voisins, est passé du feu à la paix et à la co-prospérité. Pour le deuxième cercle, qui est celui du continent, le bilan est aussi très élogieux. Le bilan du Président Sall à la tête de l’Union africaine est très positif. Tellement élogieux qu’il a échappé de peu à un second mandat que certains de ses pairs voulaient lui imposer. Les milieux diplomatiques disent qu’il est l’un des plus grands présidents de l’Oua/Ua depuis un certain Président Abdou Diouf et sa croisade contre l’Apartheid, qui l’avait mené jusqu’aux frontières et dans le ventre du Monstre, avec une tournée historique dans les pays de la Ligne de front. L’action du Président Sall à la tête de l’Ua aura été à la fois politique et économique. Politique pour avoir décidé qu’il ne fallait plus seulement rester devant le mur des lamentations, mais qu’il fallait aussi agir. Ce qu’il fit en allant voir le Président Poutine à Sotchi dès le début de la guerre en Ukraine, pour faire entendre la voix de l’Afrique mais aussi défendre ses intérêts. C’était l’une des rares fois, sinon la seule fois, où notre continent était acteur dans un conflit mondial. Cette volonté politique va aussi avoir une déclinaison économique avec son combat pour la présence de l’Afrique au G20. Cette bataille a été une continuation du refus de rester devant le mur des lamentations, car en intégrant le G20, l’Afrique sera présente là où se prennent les décisions qui structurent l’économie mondiale.

L’entrée de l’Afrique au G20 est un pont économique entre le continent de l’avenir et le reste du monde, mais montre surtout, comme dit Virgile, que «la fortune sourit aux audacieux». Quand le Président Sall, au début de son mandat, avait commencé à poser le débat, à défaut de sourire, on riait diplomatiquement sous cape. Aujourd’hui, c’est fait, et l’Afrique doit s’inspirer de sa stratégie pour la bataille de la réforme du Conseil de sécurité de l’Onu, qui a besoin d’un véritable aggiornamento.

Après la sous-région, qui est le premier cercle, le continent, qui en est le deuxième, le troisième est celui des questions avec une dimension mondiale comme la guerre en Ukraine. Sur ce plan, c’est le Président Poutine lui-même qui fait le bilan en saluant la «démarche équilibrée» de la médiation africaine quand il a reçu les chefs d’Etat africains à Saint-Pétersbourg. En parlant de la démarche équilibrée des Africains, le Président Poutine salue et confirme la vision et la pertinence du Président qui, depuis son déplacement à Sotchi au début de la guerre, a toujours insisté sur la nécessité de maintenir ouvert un «couloir de discussions» malgré la guerre. Au début, la démarche et la méthode n’avaient pas été comprises, mais aujourd’hui, toutes les parties sont contentes que le couloir soit resté ouvert. La «politique des petits pas» que le Président propose, notamment avec le commencement par les questions humanitaires (libération de prisonniers de guerre par exemple), connaîtra la même trajectoire que l’idée de maintenir un «couloir de discussions», c’est-à-dire incomprise au début mais plébiscitée à la fin.

Last but not least, toutes ces prouesses ont été possibles grâce à l’armée de l’ombre que sont nos diplomates qui, aussi brillants qu’effacés, permettent au Sénégal de tenir son rang et de rayonner dans le monde. Grâce à la vision du Président et au talent de nos diplomates, le Sénégal, ce si petit pays sur une carte, est et restera une puissance diplomatique qui rayonne sur le continent et dans le monde.
Dr Yoro DIA
Politologue