Pouvons-nous, à seulement quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale, discuter encore, froidement, sans passion ni a priori, de l’élection présidentielle à venir ? Je pense que oui, car nous sommes tous, tant que nous sommes, doués de raison et, de toutes les créatures de Dieu, les seuls à l’être.
A ce stade, une seule question vaut, une seule importe vraiment : que va-t-il se passer après, une fois l’élection terminée ? Que va-t-il se passer d’abord pour tous les candidats battus et, ensuite et surtout, pour les recalés à la candidature elle-même ? C’est là la question essentielle. Que vont-ils pouvoir faire ou devenir en effet ? Tous ces battus et recalés du suffrage universel ou, pis de la candidature elle-même, quelles perspectives s’ouvriront-elles désormais pour eux ? Vont-ils rentrer dans leurs chaumières, remballer avec leurs bagages leurs illusions et ravaler leurs ambitions ? Sûrement pas !
Pourquoi, tout d’abord, veuton être président de la République ? Pour assouvir une ambition bien sûr. Mais celle-ci est-elle légitime ? Ça c’est une autre histoire, car s’il est vrai que tout un chacun a le droit de prétendre à la fonction suprême, bien peu sont vraiment légitimes à y aspirer. Et c’est là qu’est, que réside toute la subtilité de ce que l’on appelle l’exercice démocratique.
L’émotion et la raison
Les gens sont ce qu’ils sont, surtout chez nous, sous les tropiques. Senghor s’était fait tomber dessus et à bras raccourcis pour avoir osé écrire que l’émotion était nègre et la raison hellène. Ce qu’il ne voulait pas dire, et qui lui fût reproché pourtant, c’est que nous fussions moins intelligents que les Blancs, mais qu’à intelligence égale nous inclinerions davantage vers l’impression, la sensibilité que nous ressentons et avons, que vers la réalité, même celle qui existe, la chose en soi totalement indépendante de ce que l’on peut en penser, soit en bien soit en mal. Ainsi, aurions-nous quelque mal à nous faire et à nous adapter à l’impartialité nécessaire à toute analyse ou jugement qui mériterait d’être appelé scientifique. Mais ce n’est pas parce que l’on n’en serait pas d’accord qu’un jugement pris, ou fait en toute objectivité serait infondé, inique et non-pertinent.
Pour en revenir à notre propos qui était : que va-t-il se passer après les élections ? Je vais le dire très simplement : Le Président Macky Sall va être facilement réélu : Non pas parce que moi, je vais voter et faire voter pour lui, mais simplement parce que c’est la seule et pure logique et que la logique, elle, est mathématique.
Le Président qui sera élu en effet, s’il est nouveau, ne reviendra jamais sur le système dit du «parrainage», trop heureux qu’il sera de dire qu’il ne fait jamais que se conformer aux lois de la République qui, entre parenthèses, lui auront permis d’être élu. Mais ce sera surtout pour s’éviter d’avoir à ferrailler avec toute une foule de candidats, plus ou moins fantaisistes, dont la présence pourrait mettre en péril sa propre réélection à venir.
Les poids lourds
Et de la même manière, sinon d’autant plus, ne rendrat-il jamais, au grand jamais, leurs droits civiques aux deux supposés poids lourds de l’opposition : Khalifa Sall et Karim Wade. Et pour des raisons évidentes puisque seule l’absence de ces derniers de la compétition lui aura permis d’accéder au second tour avant d’être ensuite élu. Il ne sera donc que trop heureux, là encore, de les laisser brûler dans leur «enfer», tout en continuant à pleurer sur leur sort.
Tout le contraire, par exemple, de Macky Sall qui, pour asseoir un peu plus sa place dans l’histoire, pourrait sans danger pour lui-même et plus de lustre et d’assise pour la République et la démocratie remettre dans le jeu politique des forces qui, sans cela, pourraient être tentées de rejoindre toutes d’aventuriers et d’aigrefins politiques, car il ne faut pas perdre de vue que ni le Sénégal ni la présidence de la République ne sont une tontine que l’on pourrait s’approprier, de plein droit, dès lors qu’on a l’âge requis ainsi qu’une carte d’électeur non invalidée pour raisons judiciaires. Non plus qu’ils ne sont les gros lots d’une tombola tirée tous les cinq ans à due date et qui pourraient ainsi échoir à n’importe quel Tartempion.
Je viens de vous dire ce qui va se passer et cela sans doute possible, parce que c’est comme ça. C’est la loi du genre et du genre humain si on peut m’y autoriser, car c’est bien parce que nous sommes des hommes et ne sommes que cela et non pas des anges qu’il en va ainsi.
Se faire réélire
J’écoutais l’autre jour un ancien Président français, Giscard d’Estaing ou Nicolas Sarkozy, j’ai oublié lequel, confier à la télévision ceci : «Une fois qu’on est au poste, on pense tous à la même chose et tous les jours : la réélection. Je dis bien tous et tous les jours, sans exception.» C’est ça, et c’est comme ça et cela ne changera jamais parce que c’est humain.
On ne peut pas, en effet, avoir fait tant dans sa vie, bataillé, sacrifié et souffert et payé pour arriver tout au sommet et puis accepter du jour au lendemain, alors qu’on en avait non seulement le droit, mais encore tous les moyens possibles et imaginables pour s’y maintenir, de devoir céder le pouvoir à quelqu’un d’autre, par simple bonté d’âme. Cela n’existe pas, tout simplement pas.
Du moins et à ma connaissance, depuis Cincinnatus qui, de son araire, passa à la dictature légale, avant de s’en retourner «cultiver son jardin» une fois sa mission de sauvetage ponctuel terminée. Mais c’était à Rome, sous la République certes, mais il y a plus de 2 500 ans.
Il n’y a pas d’exemple depuis cette époque-là d’un dirigeant qui ait renoncé, de lui-même, au renouvellement de son mandat échu alors même qu’il avait la capacité juridique de le faire. Sauf, peut-être, Johnson en 1968 aux Etats-Unis et François Hollande il y a près de 2 ans. C’est que s’agissant du premier, il avait mis son pays à feu et à sang du fait de sa guerre du Vietnam, et son propre parti ainsi que sa réputation comme chef de l’Etat. S’agissant du second, du fait de sa politique économique et sociale et de la légèreté de certains de ses comportements.
Qui est fou ? Qui est fou ?
Personne n’est fou dans ce pays. Comprenez-le bien et nos hommes politiques sont encore moins fous que les autres ! Ils savent très bien qu’en favorisant, de quelque manière que ce puisse être, une défaite du Président Macky Sall, ils mettraient immédiatement, mécaniquement, automatiquement, en œuvre une nouvelle séquence politique sur laquelle ils n’auraient plus, absolument, aucune prise ou contrôle. Cette nouvelle séquence les conduirait tout naturellement à devoir endurer cinq années supplémentaires de purgatoire en plus de celles qui doivent officiellement démarrer en mars prochain.
C’est bien cela qui fait qu’en fait et très concrètement, c’està-dire à politiquement parler, ce 24 février 2019, ce n’est rien d’autre que le second tour de l’élection de 2024 qui s’annonce. Du moins, pour tous les exclus ou disqualifiés de cette consultation-ci. Lequel d’entre tous ces prétendants au poste suprême se retrouvera-t-il en face de celui qui sortira vainqueur de la course de cette année ? Ça c’est la question et la seule qui compte, la seule qui vaille, car le reste est littérature.
Faire le nécessaire
Une chose est sûre et absolument certaine : dans aucun cas Macky Sall ne figurera sur la liste des partants à cette élection de 2024. Une loi constitutionnelle qu’il a initiée luimême le lui interdit formellement. Et c’est cela même qui fait sa force inattaquable, incontournable et insubmersible aujourd’hui et pour l’élection à venir.
A tel point d’ailleurs que ses adversaires eux-mêmes, ses contempteurs les plus déterminés et farouches dans la classe politique, quand bien même ne le soutiendraient-ils pas en public, feront tout le nécessaire absolument afin qu’il ne perde pas, car, et ce qu’à Dieu ne plaise, s’il en venait à perdre, ils y perdraient, eux, encore plus que lui puisque plutôt que de ne devoir ronger leurs freins que cinq années ils devront en endurer le double du fait de la très probable réélection de son vainqueur de cette année.
Cette perspective est un cauchemar bien plus horrible, bien plus effrayant pour chacun des prétendants que la simple reconduction pour 5 ans d’un Président déjà en exercice, c’est-à-dire déjà connu sous tous ses contours et tous ses aspects. C’est pourquoi les Anglais disent préférer avoir affaire plutôt à un vieux sorcier qu’à un nouveau, car du premier, au moins, on connaît tous les tours et l’on peut s’en défendre déjà, alors que pour le second, c’est la route ouverte à l’aventure, à l’inconnu et à ses dangers de toutes sortes.
Yaa fi seuss
Voilà pourquoi et je vous le dis très clairement et très tranquillement, Macky Sall sera réélu et très facilement pour cette raison très évidente au fond : «Mo fi seuss !» et que dit le vieil adage et wolof et bien de chez nous : «Yaa fi seuss mooy taxa fallu !» Les Français le disent, eux, d’une autre façon encore : «Le pire n’est jamais le plus sûr !» Surtout en politique où ce dont il s’agit, c’est du sort de millions et de millions de personnes.
Ce n’est pas parce que je serais un partisan de Macky Sall – et je le suis d’ailleurs comme chacun le sait – que je dis ce qu’on vient de lire-là. Mais plutôt parce que c’est tout simplement la vérité, parce que la logique et donc la très pure mathématique.
Les gens, encore une fois, sont comme ils sont et ne peuvent pas être autrement comme les choses le sont aussi. On peut penser, vouloir, souhaiter ou désirer tout ce que l’on veut ou voudra, mais on ne peut empêcher qu’ici sur terre le ciel soit bleu et que l’herbe soit verte, que le soleil luise le jour et la lune brille la nuit. En dépit de tout, des nuages, de la pluie, des éclipses et des phases mensuelles s’agissant de notre satellite. C’est comme ça de toute éternité et ce le sera encore longtemps. Et pour l’heure, c’est encore ça. Je ne suis ni sorcier ni devin ni Saltigué, et encore moins marabout ou saint. Je ne fais qu’observer les choses et les gens et tenter de savoir ce qu’ils sont et comment ils le sont. S’ils font, qu’est-ce qu’ils font et à quelles fins le font-ils et comment ? Rien d’autre et toutes choses, surtout à la portée de n’importe quel individu, pourvu toutefois qu’il veuille bien oublier ses propres désirs, sa propre inclination, ce qui par contre n’est pas dans ce pays nôtre, si fréquent que cela, hélas.