Son album Five and a feather avait agréablement surpris par sa qualité artistique et sa voix jazzy, au groove de velours si étonnant. De­puis, Awa Ly fait son tranquille chemin, portée en cela par l’excellence de son album. Sorti en mars der­­nier, Five and a feather n’en finit pas en effet d’étonner par sa qualité artistique dense. Normal, tel­lement la chanteuse respire fort son âme soul quand on la rencontre.
Le ton est chaleureux. Et dès le début, Awa Ly avertit avec un sourire dans la voix : «Attention, je suis bavarde.» Effectivement. Mais le propos s’avère intense. Awa Ly a la passion de sa musique, indéniablement. Née à Paris, ayant grandi à Bagneux, et d’origine sénégalaise, elle vit désormais à Rome. Un parcours atypique que le sien qui l’a menée après des études de commerce international et d’audiovisuel à devenir chanteuse principalement, actrice parfois aussi.

Un parcours atypique
«Mes études, effectuées notamment aux Etats-Unis, m’ont amenée en Italie pour un stage. J’y suis restée. J’avais de nombreux amis musiciens à Rome. C’est en allant les écouter, en participant à des jam sessions avec eux, que petit à petit je me suis avoué ce désir de chanter. Mais aussi d’écrire. J’ai démissionné et me suis jetée corps et âme dans la musique avec tout ce que cela peut comprendre de galères au départ. Mais j’ai eu la chance d’avoir des emplois qui tournaient toujours autour de cet univers, dont l’un dans un club à Rome où je m’occupais de la direction artistique», se souvient-elle pour Le Point Afrique.
Elle sort deux albums, Modu­lated et Parole prestate, tout en jouant parfois dans des films italiens. Un total hasard, heureux aussi, mais qui ne lui fait pas perdre de vue sa passion première, la musique : «J’ai passé un casting, poussée par une amie. J’y suis allée par curiosité. C’était pour un film de la réalisatrice Cristina Comencini. J’ai campé le rôle du personnage principal joué par Aïssa Maïga, avec qui je suis devenue amie. C’est un métier qui m’a intéressée, mais la musique reste ce que j’aime.» Puis vint Five and a feather.

Et le producteur de Bashung arriva…
Pour ce troisième album, Awa Ly a su s’entourer de deux musiciens reconnus. D’abord, Pascal Danaé qu’elle avait vu accompagner la chanteuse Ayo lors d’un concert à Rome. Ce dernier présente alors Awa Ly à Jean Lamoot qui fut producteur de Bashung, mais aussi de Salif Keïta et Juliette Greco. Avec eux aux commandes, Awa Ly sélectionne 10 titres sur les 20 qu’elle avait écrits : «Je me suis laissée guider par eux. Ils ont compris ce que je voulais dire avec mes mélodies tout en apportant des idées originales. Je préfère la scène au studio, mais cela a été un beau moment. On savait qu’on était en train de créer quelque chose qui nous faisait du bien, mais en ferait aussi à ceux qui voudraient bien l’écouter. Pas forcément au monde entier, mais à ceux qui auraient l’envie de vouloir partager cette musique avec nous.»

… et ainsi naquit l’album Five and a feather
Les textes de Awa Ly, en anglais, disent un monde à la fois onirique et bien ancré dans les réalités humaines. Dès le premier morceau, le ton est donné, scandé même : «She’s a storyteller, she created thousand worlds.» Effectivement, Awa Ly «est une conteuse, elle a créé des milliers de mondes». Le résultat est en effet à la mesure de cette aspiration. Que ce soit le morceau Let you down où elle raconte un amour sans réciprocité, avec grondement des arrangements et une voix suave. Ou encore le titre Here, où elle raconte, en duo avec Faada Freddy, l’horreur migratoire qui vide les terres et emplit les mers d’esquifs fragiles et mortels. Elle évoque aussi l’amour unilatéral, Let me love you, la simple humanité comme dans le somptueux Wide open, et la beauté transparaît dans chacun de ses morceaux.
L’album Five and a feather se dévide ainsi au long de 10 compositions originales plus un bonus. Les morceaux pop accrochent durablement l’oreille, intemporels et suspendus à la voix jazz de Awa Ly. Les arrangements somptueux et soignés ajoutent à la réussite évidente de cet album. Mêlant pop, soul, jazz sonorités ouest-africaines, Awa Ly réussit ainsi un syncrétisme musical qui rend son album inclassable et intemporel. Outre le chanteur sénégalais Faada Freddy, elle y a également invité le maître de la Kora Ballaké Sissoko. S‘y entend aussi, en volutes sonores lyriques, l’erhu (violon chinois) du maître chinois Guo Gan et la contrebasse de Greg Cohen.
Des mariages de sonorités d’amour et non de raison impeccablement réussis. «Le violon chinois a un son qui parle directement à l’âme. J’avais connu le travail de Guo Gan sur d’autres albums produits par Jean Lamoot. Qu’il joue avec la kora de Ballaké peut surprendre ! Ce sont en effet des instruments très typiques. La réussite est d’avoir utilisé ces instruments si éloignés géographiquement, mais dans le même art, c’est là toute la force de la musique…»

Inclassable
Au final, la musique de Awa Ly échappe à toute catégorisation. Et c’est peut-être cela aussi sa force. A l’instar d’artistes comme Hindi Zahra, Ayo ou encore Susheela Raman, Awa Ly fait de la musique rhizome plus que racine, qui s’épanouit dans un entrelacs d’inspirations plurielles : «Je ne donne pas une définition de ma musique. En général, je n’aime pas mettre des étiquettes sur quoi que ce soit. Je suis heureuse qu’on ne parvienne pas à me placer dans une case. Je comprends que cela désarçonne. Est-ce que je fais du jazz, de la pop, de la world ? Au final, c’est à l’image de ce que je suis : je suis née en France, d’origine sénégalaise, vivant depuis 17 ans en Italie et ayant fait mes études aux Etats-Unis. Mon style est un métissage de styles différents. Je pense qu’il faut garder cette vision large et métissée des choses. Mais je suis heureuse que tout un chacun puisse entendre ce qu’il veut.»
Le prochain concert de Awa Ly l’amènera bientôt dans le Sénégal de ses parents. Plus précisément à Saint-Louis et Dakar les 17 et 18 février prochains : «J’ai hâte, mais j’ai un peu d’appréhension», avoue-t-elle. Pour­tant, il n’y a rien à craindre, son album parlera de lui-même.
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