Du Msu à And jef, Aminata Touré, 57 ans, a atterri à l’Alliance pour la République du Libéral Macky Sall, ex-militant de la Gauche. Une des figures du régime actuel, Aminata Touré a bourlingué en politique avant de se faire une place au soleil au prix d’un changement de trajectoire ou d’une remise de sa pensée politique.

Pas ferme, droit dans ses bottes, Aminata Touré marche sur le tapis rouge de l’hôtel King Fahd Palace. Regard franc, elle a l’allure d’un général qui fait une revue des troupes. La présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese) vient de quitter la réunion des femmes de l’Alliance pour la République (Apr) en ce 12 juillet 2019. Une rencontre qui marquait l’installation de Ndèye Saly Diop Dieng, présidente des femmes du parti présidentiel. Devant ses sœurs de parti, la présidente du Cese affiche son soutien total au successeur de Ndèye Marième Badiane. Sa popularité se mesure à l’applaudimètre. Un discours de circonstance qui dicte la discipline de parti. Car contester le ministre de la Femme, c’est tout bonnement défier les choix du Président Macky Sall. Cependant, au regard de sa trajectoire politique, on voit mal comment l’ancien Premier ministre pourrait suivre Ndèye Saly Diop Dieng. Car Aminata Touré, c’est l’incarnation du leadership. Ou rien. Tout simplement.

«Mimi n’est pas du genre à se soumettre»
Dans le syndicalisme, la politique, le sport, Mimi a toujours voulu jouer les premiers rôles. Sidiki Daff est un ancien camarade de parti de l’ancien Premier ministre à l’époque d’And jef/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads). Vieillesse tatouée sur le visage, marqué par des années de lutte dans la Gauche, il relate la personnalité de Mimi Touré en 1993 : «C’était la première fois que l’on avait un porte-parole femme. Elle est très combattive, a la tête sur les épaules. Ce n’est pas un hasard si elle est là aujourd’hui. C’est une dame qui n’a pas sa langue dans sa poche. J’ai toujours dit que c’était une erreur de voir Mimi Touré Premier ministre parce qu’elle n’est pas du genre à se soumettre. Macky l’a finalement enlevée. C’est une forte tête avec des convictions chevillées au corps. Elle accepte difficilement qu’on la dirige parce qu’elle est trop autonome. Mimi est une femme courageuse», a témoigné M. Daff le 21 septembre, lors de la Journée d’hommages aux ex militants de la Gauche à la Maison de la Culture Douta Seck.
Le courage, le combat, des convictions, Aminata Touré les a appris dans le mouvement de Gauche. A 14 ans, elle épouse cette idéologie véhiculant les principes de justice sociale, le soutien au monde rural, la répartition de richesses… Elle intègre le Mouvement pour le socialisme et l’unité (Msu) avant les années 90. Et lors de la Présidentielle très contestée de 1993, elle est directrice de campagne du candidat Landing Savané, leader d’Aj/Pads. Elle avait 31 ans. «Ce qui nous surprenait, c’est que la contestation est telle que nous pensions que le pouvoir sortant ne pouvait jamais gagner. Finalement, on voyait que ce que nous croyions n’avait rien à voir avec le verdict des urnes», se souvient Mimi Touré. Au lycée Van Vo, devenu aujourd’hui lycée Lamine Guèye, la jeune Aminata est aux avant-postes des combats. Puis l’Université va prendre le relai. En France, Mimi est en chevelure afro, avec blue-jeans, liquettes, baskets et passionnée de sports. Elle avale les différents bréviaires révolutionnaires, à commencer par le Manifeste du parti communiste, de Karl Marx et Friedrich Engels, son livre de chevet à la résidence universitaire. «Mimi la rouge» est-elle ainsi surnommée par ses camarades étudiants. Elle n’hésite pas à monter parfois à Paris à l’occasion des grandes manifestations du Parti communiste, dont la traditionnelle fête de l’Humanité. Tour à tour, elle milite dans l’Association des étudiants sénégalais en France (Aesf), de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf) et de l’Union nationale des étudiants de France (Unef). «Elle pouvait parler pendant des heures de politique, d’idéologie et de marxisme-léninisme sans se fatiguer», racontait une amie de Mimi dans un portrait sur elle, réalisé par Rfi en 2013.
Malgré ses années dans la Gauche, Aminata Touré a décidé de diluer son engagement. La dame qui aura 57 ans le 12 octobre prochain a migré vers le Centre. «Je n’ai jamais été libérale. L’Apr n’est pas un parti libéral. C’est un parti dans lequel il y a tous les courants. Je me définis comme une sociale-démocrate. Il faut que la politique sociale soit affirmée, surtout dans nos pays en voie d’émergence, tout en respectant les règles du marché : la propriété privée, le droit d’être dans un environnement qui favorise les affaires dans le respect des droits aussi bien des travailleurs que des autres segments de la société», a-t-elle théorisé au cours d’un entretien avec Le Quotidien en août dernier au siège du Cese.

«Je ne suis pas Margareth Thatcher»
Cette audace et ce refus de se soumettre, Aminata Touré les a forgés au cours de son enfance. Mais elle se défend d’être un garçon manqué. «Si j’étais un homme, je pense que ce débat ne se poserait pas. Il y a des rôles qu’on a assignés aux femmes, d’autres aux hommes. Or, ça n’a pas toujours été comme ça. Dans l’histoire du Sénégal, les femmes ont toujours joué un rôle important. Dans le Walo, Dieumbeuth Mbodj et sa sœur Ndatté Yalla ont tenu tête à l’envahisseur français et ça s’est soldé par des négociations. Dans le Sud, il y a Aline Sitoé Diatta contre la colonisation française. Dans la religion, il y a de grandes figures comme Mame Diarra Bousso, un des rares femmes qui occasionne de grands rassemblements religieux à travers le Magal de Porokhane. Au Sénégal, les femmes ne rasent pas les murs et n’ont jamais rasé les murs», se justifie-t-elle. Qualifiée de garçon manqué par ses détracteurs, Mimi est comparée à Margareth Thatcher, ancien Premier ministre britannique, caricaturée dame de fer à cause de son intransigeance. Une comparaison qu’elle rejette : «Je ne suis pas Margareth Thatcher, elle était de droite et je suis du centre. Je suis une progressiste. Cela n’a plus de sens de parler de droite et de gauche.»
Après des années aux Etats-Unis durant le régime de Wade, c’est le Libéral Macky Sall qui le convainc de faire son retour au bercail. «Mimi est une femme de Gauche. Je l’ai rencontrée il n’y a pas longtemps et elle me l’a réaffirmé. Son ambition est de porter haut les couleurs de la Gauche», précise Amadou Vieux Ndiaye également membre du comité de pilotage de la Journée d’hommages aux ex-militants d’Aj/Mouvement pour la révolution et la démocratie nouvelle. Au sein de la Gauche, Mimi a également été très tôt amoureuse du sport. Elle va pratiquer à l’école le football, le handball, le judo. Mimi était ailière aux Gazelles de Dakar alors que le foot féminin était à ses premiers balbutiements. Au début des années 80, elle ambitionne même de faire carrière dans le sport. Elle intègre l’Equipe nationale d’athlétisme. Déterminé à voir sa fille auréolée de diplômes, le père de Mimi refuse.

«Le sport m’a appris la discipline, la rigueur, le sérieux»
Mais chassez le naturel, il revient toujours au galop. En France, la jeune étudiante est très active dans les milieux sportifs. Lors d’une compétition de judo, elle se fracture le coude. Une péripétie qui va définitivement sonner le glas de sa pratique sportive. «Le sport m’a appris qu’une victoire peut arriver après une défaite dans quelque domaine que ce soit. Dans le sport, j’ai appris la discipline, la rigueur, le sérieux. J’essaie d’appliquer ces principes en politique et dans ma vie en général», dit Aminata Touré. Pour suivre son regard, il faut aller au ministère de la Justice. Premier garde des Sceaux du gouvernement de Macky Sall, Aminata Touré imprime sa marque dès le début du régime de M. Sall et assume la politique de la traque des biens mal acquis. Les dignitaires du Pds sont traqués dont son ex-mari, le Trotskyste devenu Libéral Oumar Sarr, qu’elle a connu en France en tant qu’étudiant. Ils ont une fille : Dior. Comment cette dernière a vécu cet épisode ? «Je ne raconte pas ma vie privée en public. Cela fait 7 ans que les gens me posent la question, j’ai toujours refusé d’y répondre. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais étaler ma vie privée sur la place publique», confie Mimi Touré. De sa vie privée, on ne connaît que très peu de choses. Après ses divorces avec Oumar Sarr et Momar Wade, Mimi Touré est actuellement en couple avec Oumar Wade, un entrepreneur.