Thione Seck, décédé hier à l’âge de 66 ans, laisse derrière lui un patrimoine musical énorme avec plus de trente albums et une réputation chahutée par une affaire de faits divers, qui l’a meurtri.

C’est la fin d’une scène de plus 40 ans. Il a tellement fait partie de notre quotidien que l’on croyait qu’il était plus qu’un sexagénaire. Thione Seck est décédé hier à la suite d’une maladie à «seulement» 66 ans dans une clinique de la place. Un âge, qui bonifie les gens, les loge définitivement au panthéon de la sagesse. Mais, le leader du Raam Daan n’a pas attendu le crépuscule de sa vie pour jouer le rôle de patriarche attentif et protecteur : car, il a traversé nos vies en nous conseillant et orientant sur les chemins de la droiture. Pris d’affection pour lui, certains Sénégalais l’appelaient «Papa Thione» en référence au message paternaliste de ses chansons.
Que retenir du chanteur ? Thione Seck est une voix, qui chantait juste. Il ne cachait pas ses états d’âme, assénait ses vérités à un public qui buvait ses paroles. Thione Seck, c’est une multitude d’albums, des centaines de scènes parcourues, des témoignages unanimes, des duos avec les plus grandes et prometteuses voix sénégalaises.
Avec Youssou Ndour, Omar Pène, Ismaïla Lô et Baaba Maal, c’est le quinté gagnant de la musique. Parallèlement aux groupes pionniers comme Baobab, le Super Diamono originel, l’Etoile de Dakar, Xalam 1,…, ils avaient eu l’audace d’aller à la conquête de l’inconnu, lestés en plus de contingences sociales. Comme les conquistadors, ils avaient mis les pieds sur des horizons incertains et écrit les plus belles pages de notre histoire musicale. Celle-là résonnera éternellement comme ses albums mythiques, Chauffeur, Allo Petit, Numéro 10, Ballago, Le pouvoir d’un cœur pur, Orientissimo, Diaga… Malgré les rivalités, qui étaient réelles, chacun a réussi à tracer son chemin pour atteindre la gloire en provoquant de multitudes de vocations.
Thione Seck a engendré un héritier qui a réussi à se nicher à sa hauteur en termes de popularité. Bien sûr, Waly n’a ni l’élégance ni le talent de son père, mais il sera le gardien du temple Seck.
Une source qui a été polluée par un évènement qui a rattrapé le «grand homme» sur la colline. Trempé dans une affaire de faux billets, Thione Seck s’est battu en répétant en chœur qu’il a été piégé et marabouté. Dans ses explications, il avait signé un contrat avec des promoteurs gambiens pour une série de concerts à travers le monde. C’était le jackpot. Le contrat de ses rêves. Il sera arrêté et écroué pendant 6 mois. Relaxé en première instance parce qu’il n’a pas été assisté par son avocat au moment des auditions, il sera condamné à 3 ans dont 8 mois ferme par le juge d’appel pour «mise en circulation de faux billets, association de malfaiteurs». Il a néanmoins ordonné la restitution de ses 32 millions de francs Cfa, qui ont été saisis par les gendarmes de la Section de recherches lors de son arrestation avant qu’ils ne soient confisqués par la justice. Il avait renoncé à son pourvoi en cassation et signé en même temps la fin d’une procédure judiciaire qui a duré 5 ans.
D’après son avocat, la cour suprême a annulé la procédure la semaine dernière
Album d’une vie de «sage»
Cette fâcheuse parenthèse dans le parcours de sa vie l’avait dégoûté. Elle lui avait rappelé, comme il l’affirmait, l’incertitude qui entoure le destin d’un homme. Touché mais pas coulé, Thione Seck était reparti vers de nouvelles conquêtes en lançant l’album Cedeao en chœur. Il part en laissant derrière lui un projet inachevé. Il devait couronner sa carrière. Il y a plus d’un an, il était apparu en public amer et affichait ses regrets concernant ce projet, lancé il y a 6 ans. «Si c’était à refaire Thione Seck se serait limité à Thione Seck tout court. Mais je n’aurais pas lancé ce projet. Parce que ça prend de l’énergie, du temps, ça m’empêche de dormir et c’est très coûteux. Et sur le plan sanitaire, j’en paie les frais», avait-il confié lors du lancement des «versions casaçaises» de ce projet aussi ambitieux qu’utopique. Le leader du Ram Daan gardait malgré tout intacte son envie de réaliser ces séries d’albums : «Si je savais que ça allait se passer ainsi je n’allais jamais m’engager. Vous savez avec mon âge avancé, je ne peux pas gérer tout cela. Des fois en tournage, j’ai des vertiges. Mais je ne peux plus reculer, c’est moi qui l’avais promis, je n’ai pas le choix. Et je ne veux pas qu’on se moque de moi.» En tout cas, la première partie des «versions casaçaises» du projet musical devait sortir le 5 décembre dernier. Mais, l’apparition du Covid-19 a créé un nouvel univers contraignant les artistes à renoncer à leur travail. Bref, tous les projets ont été remis dans les placards.
Il faut savoir que la Cedeao en chœur, qui est un projet ambitieux, réunit plusieurs artistes du Sénégal et des pays de l’Afrique de l’Ouest, soit plus de 960 participants. Thione Seck l’a initié pour marquer son empreinte dans la musique sénégalaise et africaine. Car, dit-il, «je suis dans mon dernier virage en musique et je me suis dit que je vais faire chanter mes confrères africains». Il détaille le projet : «C’est moi qui ai écrit les textes, et les autres ethnies vont les traduire dans leurs propres langues et moi je vais traduire en retour en français.» Thione Seck a initié cette série d’albums pour relever un défi : Montrer que les personnes, qui soutiennent que le mbalax n’est pas exportable, ont tort : «J’ai voulu prouver le contraire. Tous ceux qui ont participé à ce projet ont chanté en mbalax. Donc, il peut être exporté. Si on veut que le mbalax avance, il faut le soutenir. Il y a la volonté politique qui manque dans la gestion de la musique sénégalaise.» Ballago-père a toujours estimé que les musiciens nigérians ne sont pas meilleurs que les Sénégalais. Mais, ils sont mieux soutenus, disait-il. «Ils y mettent des milliards. C’est pourquoi ils sont au sommet. Si le mbalax était bien soutenu on aurait dépassé ce stade-là», faisait-il remarquer. Il avait aussi un ego personnel à satisfaire à travers Cedeao en chœur : «J’ai initié le projet pour que les gens sachent aussi que je suis un chanteur hors pair.» Evidemment !