Elle ne présidera pas la réunion de mercredi prochain qu’elle a déjà programmée. Le Cored devra désormais faire sans elle ! Eugénie Rokhaya Aw Ndiaye n’est plus. Elle a rendu l’âme dimanche 3 juillet 2022. Au-delà de la presse, c’est le Sénégal qui a perdu une valeur sûre, un monument !Par Malick GAYE –

L’histoire retiendra qu’elle fut la première femme à diriger le Centre d’étude des sciences et techniques de l’information (Cesti). Mais ce que la mémoire collective méconnaît de cette dame, c’est le travail qu’elle a dû abattre pour gagner sa place au panthéon des personnalités qui ont marqué la vie de notre Nation. En 2005, la nouvelle fait l’effet d’une bombe dans les cercles féministes : une femme devient la directrice du Cesti. Une avancée saluée à juste titre par la cause et qui porte la signature d’une pionnière. En effet, fraîchement diplômée en philosophie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, Eugénie Rokhaya Aw Ndiaye aiguise sa plume en contribuant au journal Critique d’art. Elle allie passion et travail. Ses articles lui ouvrent les portes de Dakar Matin, l’ancêtre du quotidien national de Hann. 6 ans après le changement de nom du quotidien de service public, elle devient la victime de la politique du parti unique. Elle est renvoyée du Soleil pour des positions contraires à la ligne éditoriale du journal. Une idéologie qui va amener Eugénie Rokhaya Aw Ndiaye à faire la prison. Tant pis ! Sa liberté n’a pas de prix. Elle a fait quelques mois de prison, sous le régime de Senghor, puis une seconde fois quelques jours sous le régime de Abdou Diouf. «Nous avons vécu la prison avec beaucoup de fierté», se rappelait-elle. Après avoir été renvoyée du Soleil, elle retrouve du travail, avec l’aide de cardinal Hyacinthe Thiandoum, au journal Afrique nouvelle, une publication catholique diffusant dans toute l’Afrique de l’Ouest et basée à Dakar. Et dans l’intervalle, elle intervient comme consultante mais aussi comme responsable francophone de la communication pour la Conférence des Eglises de toute l’Afrique, organisation œcuménique basée à Nairobi, et regroupant notamment les différentes églises protestantes, avec des actions dans le domaine social. 4 ans après avoir quitté Le Soleil, ses rayons brillent plus que d’habitude. En effet, elle participe à la conférence internationale des femmes de Copenhague en 1980. Dans cette conférence, les contacts avec les Québécoises l’enchantent, «leur manière directe de dire, leur façon d’être», ainsi que leur quête d’identité. Revenue à Dakar, elle assume le secrétariat de l’Asso­ciation des professionnelles africaines de la communication, et organise un séminaire des femmes journalistes francophones.
En 1988, elle obtient une bourse d’excellence de la Francophonie qui lui permet de reprendre des études pour une maîtrise en communication à l’Université du Québec à Montréal. Elle reste 14 ans au Québec, appréciant les échanges et la vie intellectuelle dans cette province, sans envisager pour autant de devenir citoyenne canadienne. Des missions pour le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) l’amènent à voyager en Afrique et notamment au Rwanda en 1994, peu de temps après le génocide. De retour à Dakar en 2002, elle entre au Cesti comme enseignante. Après son départ du Cesti, elle atterrit au Cored. C’est au tribunal des pairs qu’elle a rendu les armes, tel un soldat tombé au front. Elle n’avait que 70 ans !
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