Cheikh Ibrahima Niass a aimé. Baye Niass fait toujours et encore aimer. Cheikh Al-Islam a poétisé. Des vers de l’érudit, transparaît cet amour qu’il portait au Prophète (Psl), et qui continue de se propager parmi ses disciples.Par Moussa SECK –
Comme dans un mécanisme de ruissellement bien huilé ! Parce que telle est notre porte vers le Prophète (Psl), son degré d’amour pour ce dernier ruisselle sur nous, et nous aimons le bien-aimé, par la «baraka» du Cheikh-aimant. Cheikh Ibrahima Niass a fait ruisseler. Les nuages du ciel de son amour pour celui qui est l’homonyme de quasi toute sa descendance, ont lâché leur eau. Elle a revivifié des millions de cœurs qui affirment n’avoir eu le goût de l’amour véritable qu’à son contact.
Vendredi, Cambérène 2, une assemblée, des bruits de chapelet qui accompagnent des corps qui valsent sans danser. Zikr, prières sur le Prophète (Psl), des Tidianes. «Talibés Baye», abreuvés à la source de cette spécificité de la Tidianiya dite Faydou, et dont Cheikh Ibrahima Niass est le détenteur. Ici, on dit «Mouhammad» et on dit «Qaqīqatul Muhammadiya» (terme d’initiés, sûrement). On sourit. On dit «Allahu Akbar», on acquiesce, on est contents, parce qu’on aime. «On remercie Sangeu Barhamou Ndiaye», car «c’est lui qui nous a mis en contact avec le Prophète», dit Mame Sette Touré, un des conférenciers de l’assemblée qui a pour nom «Fityâny sidqine». Ici, alors, on se contamine l’un l’autre, l’un l’autre, on se transmet le virus de l’amour. Cheikh Ibrahima Niass étant le contaminateur qui est au faîte des étages du ruissellement.
L’amour a pour entre autres finalités, la conformité à ce que préconise l’aimé. Il n’y a pas d’intérêt en un amour sans acte, rappelait Seydil Hadji Malick Sy dit Maodo, l’acte prenant comme exemple le Prophète (Psl). L’acte se faisant selon sa «sunna». Suivre, dans ce qu’il y a d’obligatoire dans l’acte d’adoration. Suivre, dans ce qu’il y a de surérogatoire dans l’acte d’adoration. Suivre, dans le détail de la vie sociale. Suivre, dans la relation à l’autre. Suivre, jusque dans l’habillement, car se conformer est la preuve de l’amour, s’il est vrai. Lui, Baye, a ainsi indiqué dans ses écrits que son pas suivra toujours celui du «Meilleur des hommes». Suivre par amour, pas après pas. Suivre conformément. Suivre jusqu’à atteindre. Atteindre et entrer en. Aimer, suivre, atteindre… fondre en. Cheikh Ibrahima Niass naquit à Léona, à l’aube du 20ème siècle. Il grandit dans un environnement familial qui prédisposait sans doute à un contact précoce avec la Siira du Prophète (Psl). De cette «histoire sainte», et donc, probablement, d’une naissance précoce d’un amour de celui dont il connaît très tôt l’histoire. Ibrahima, qui devient El Hadji en 1937, est en effet le fils d’une éminence de la Tidjaniya. El Hadji Abdallah, de par ce qu’il a été, n’a certainement pas manqué de déteindre sur sa descendance. Sous la plume de Cheikh Ibrahima cependant, émerge un amour qui a été lorsque rien n’a été, ni espace ni temps. C’est en tout cas ce qui est clairement dit par lui : «je l’ai aimé jusqu’à m’apercevoir que je le suis devenu», et, à ce «moment», «Mon Seigneur n’avait créé ni espace ni temps». Dans cette même veine, il souligne, parlant du Prophète (Psl) : «Son amour m’est parvenu bien avant que je connaisse ce qu’est l’amour.» Un autre niveau de relation, sans doute, qui se traduit encore dans un autre passage de la production poétique de l’aimant sur l’Aimé. Passage qui dit que si on arrivait à le photographier, réellement, on ne verrait que le portrait du Dernier des envoyés de Dieu. C’est dire…
Gamou, son mois
Cheikh Al-Islam (le titre, pas des moindres, est des plus élevés, si ce n’est le plus élevé utilisé pour désigner quelqu’un dans le cercle des savants de l’islam) a un Cv aussi riche que sa vie. Une vie faite d’apprentissage, d’enseignement, de voyages, d’échanges et de rencontres. Cheikh Ibrahim Niass a été membre fondateur et vice-président de la Ligue mondiale islamique basée à La Mecque. De plus, membre de l’Académie de recherches de l’Université d’Al-Azhar, il fut aussi vice-président de la Conférence mondiale islamique dont le siège est à Karachi. Celui qui a abreuvé mille et une âmes entre Kossy, Kano, ailleurs et ailleurs, a rencontré nombre de sommités du monde musulman qui lui ont témoigné une connaissance avérée dans les sciences religieuses. Outre cela, il incitait ses disciples à s’investir dans la recherche et la maîtrise des sciences autres que celles religieuses.
Le monde s’est étonné de la beauté de ses écrits. Il s’étonne encore de toute la profondeur contenue dans ses ouvrages qui se comptent par dizaines. Des arabes de naissance ont eu à apprendre de lui des subtilités de leur langue. On retient de lui aussi un investissement dans la diplomatie, et on pense alors à N’kurumah et Nasser… Tout ce qui précède n’aura été sans cette chose-là qu’on désigne par «culture générale» dans les universités. Seulement, l’étendue de la connaissance et de la culture du maître, qui n’a jamais eu de maître que son père El Hadji Abdoulahi, ne saurait être contenue que dans cette vase étroite et académicienne de la culture générale. Elle se jette dans un océan : encore celle de l’amour. Lui-même l’a dit, il en a témoigné jusque dans ses derniers vers. Avant de s’éteindre à Londres, au Saint-Thomas Hospital, en 1975, il laissait entendre que «la culture de Ibrahima et tout son savoir» se résument à chanter le Prophète (Psl), ainsi qu’à montrer ses mérites.
Cheikh Ibrahima Niass était beau. Beau, son turban. Belle, sa face. Belle, sa «faas» (barbe blanche taillée et bien entretenue). Et sans doute, aussi beau, plus beau, de l’intérieur que de l’extérieur, était-il. Beau et bon : bonté n’est-ce d’ailleurs pas beauté ? Son homonyme et non moins secrétaire particulier, le défunt professeur Barkham Diop, témoigne de cette belle bonté qui caractérisait son guide et professeur. Offrir à un nécessiteux une somme tellement conséquente d’argent qu’on a eu peur qu’il fasse un arrêt cardiaque, «j’en suis témoin», nous apprenait Barham Diop sur Barham Niass.
Naturellement généreux : générosité, n’est-ce d’ailleurs pas bonté et beauté ? Seulement, il arrivait un moment de l’année où cette beauté-bonté-générosité du fondateur de Médine de Kaolack semblait décuplée. Ceci se produisait le mois de Gamou, mois de souvenir de l’Aimé qui gît à Médine. Preuve d’amour, en passant : même sa ville porte le nom de celle qui a été sa vie. Et lorsqu’arrive ce mois, il offre, il donne, il sourit. L’actuel porte-parole de Médina Baye, Cheikh Mahi Cissé, rappelait dans une de ses interventions, qu’il existait une catégorie d’individus qui attendaient ce mois particulier de Gamou pour solliciter le Cheikh. Parce qu’ils savaient que ce moment de l’année venu, Baye se plaisait à distribuer et partager avec les autres tout ce qu’il avait à sa disposition. Plus généreux, très enthousiaste. Plus beau. Le mois de la célébration du Maouloud venu en effet, Baye semblait plus beau, bien qu’habituellement beau. C’est ce qu’a rapporté le défunt Imam Moustapha Guèye, qui décrivait ainsi l’impression de ceux qui ont vécu avec le maître soufi. Ce dernier s’enthousiasmait de l’arrivée du mois de naissance de son bien-aimé. L’enthousiasme s’est écrit, et Cheikh Ibrahima Niass s’est félicité de l’apparition de sa lune. Une lune, un mois, une naissance qui sont synonymes de l’accomplissement de la félicité et des bienfaits. Une lune qui procure joie et bonheur à qui a pris le temps de la contempler. Comme celles et ceux qui ont contemplé le Cheikh en temps de Gamou. Et comme si ce que l’aimant disait de l’Aimé se reflétait en lui-même.