Mamadou Saliou Diallo, 42 ans, lauréat du Prix du chef de l’Etat pour l’invention et l’innovation technologique en 2015, est un génie sans diplômes. Cet ancien talibé, qui vient d’inventer un appareil de lavage des mains adapté au protocole sanitaire exigé dans la lutte contre le Covid-19, est un «inventeur-innovateur» inclassable.
A 42 ans, Mamadou Saliou Diallo court toujours après les inventions. Lauréat du prix du chef de l’Etat pour l’invention et l’innovation technologique en 2015, ce surdoué, qui n’a fréquenté aucune école d’ingénieurs, vient de mettre au point un appareil de lavage des mains adapté au protocole sanitaire exigé dans la lutte contre le Covid-19. Il s’approche de l’appareil, appuie ses orteils gauches sur un bout du socle et un liquide savonneux jaillit d’un flacon mis sur le flanc. Du même côté de cette machine, peinte en vert, blanc et noir, longue d’environ 1,5m, avec lequel Mamadou Saliou Diallo s’enduit la main et, du pied droit il appuie sur un autre bout du socle et de l’eau sort d’un récipient disposé au centre pour se laver proprement les mains. En dessous est placé un bidon pour recueillir l’eau savonneuse. C’est le «lave-main Covid-19», inventé par un artisan qui travaille plutôt avec un crayon : dessiner, tracer sur du papier, définir des dimensions et puis remettre les croquis aux artisans avec marteaux, pinceaux et tournevis à la main.
Mamadou Saliou Diallo, 42 ans, né à Diaobé dans le département de Vélingara, est le propriétaire du brevet d’invention de l’appareil lave-mains qui lui a permis en 2015 de remporter le Grand prix du chef de l’Etat pour l’invention et l’innovation technologique. Cette version 2020 du lave-mains sortie de son atelier sis dans le quartier Yarakh, zone industrielle de Dakar (derrière le quotidien national d’informations Le Soleil), est conçue pour la lutte contre le Covid-19, en autorisant le respect de la distanciation physique en ne touchant rien de la main, histoire de ne pas y laisser le virus découvert à Wuhan. Barbe très fournie, teint café au lait, du haut de son 1m 70, cet ancien pensionnaire des daaras du Fouladou n’a pas eu de maître dans cet art, n’a jamais fréquenté un atelier artisanal, ne s’est jamais assis sur les tables-bancs d’une école française. Il dit : «Je ne suis pas allé à l’école, n’ai pas appris un métier, je fus à mon arrivée à Dakar marchand ambulant. Je collabore maintenant avec les menuisiers métalliques. Si j’ai un métier, c’est inventeur/innovateur.»
C’est le parcours atypique des génies, qui peuplent le monde scientifique. «J’ai fait 10 ans d’études du Coran et des sciences islamiques. Je peux me qualifier d’universitaire dans ce domaine», résume-t-il. Saliou, pour les intimes, a brillé sur plusieurs podiums nationaux et régionaux. Il dit un brin fier de son palmarès d’analphabète en français : «J’ai remporté le Grand prix du chef de l’Etat en 2015 pour la pertinence et l’utilité du lave-mains, auparavant j’ai remporté un prix régional à Saint-Louis en 2010 et puis en 2013 à Kolda en matière d’innovation et d’invention technologique ; toujours dans le lavage des mains.» Ce petit joyau a vu le jour en plein Covid-19, mais il a été conçu il y a 16 ans. «L’aventure a démarré en 2004 en pleine crise du choléra au Magal de Touba. Je me suis posé moult questions relatives aux risques liés au lavoir collectif des mains, dans lequel 20 personnes peuvent de manière interrompue plonger leurs mains et puis aller se restaurer. La propreté est une forte recommandation de l’islam», dit-il. Il y a aussi une exigence personnelle. «Tout petit, je n’ai jamais accepté de laver mes mains dans un récipient après quelqu’un d’autre que mon papa ou ma maman. J’ai alors conçu, en 2007, un système de lave-mains pouvant recevoir 4 personnes au même moment. Un lave-mains qui a été utilisé lors des éditions du Gamou et du Magal. C’est le même prototype qui est amélioré ainsi pour s’adapter aux exigences du protocole du Covid-19», détaille-t-il.
Ancien talibé
Membre de l’Association sénégalaise pour la propriété intellectuelle et l’innovation technologique (Aspiit), il a à son actif une trentaine de produits déposés. «Mais seul le lave-mains a obtenu un brevet d’invention. Les autres sont confrontés à un problème de certification, pour l’instant», précise-t-il. Mamadou Saliou Diallo ne s’arrête pas et son énergie reste concentrée sur cet amour pour la science et la technologie. «La mère de l’invention, c’est le besoin, aime-t-il à rappeler. Des entreprises en manque de pièces détachées à renouveler me sollicitent souvent pour leur en modifier et souvent, ça marche. J’ai aussi inventé un filtre à eau moderne bien utilisé.»
Dans ses ateliers de Yarakh se trouve sur du papier le design d’un outil agricole multifonctions qui peut à la fois semer, labourer et sarcler. «Ce qui me manque ce sont les partenaires financiers. Je travaille sur fonds propres, à partir des recettes générées par mes produits et prestations de services», rappelle-t-il.
Saliou est un scientifique généreux, un inventeur au service de sa communauté. «J’ai donné 10 lits aux structures de santé du département en début de semaine passée et 15 lave-mains pour les postes de santé», détaille le bonhomme, qui veut être prophète chez lui.
Natif Diaobé, il veut lui renvoyer l’ascenseur. Aussi ambitieux que réaliste, il voit les choses en grand : «Pour Diaobé, je nourris de grands projets : installer de petites unités de transformation des céréales et des fruits qui respectent toutes les normes d’hygiène requises, de même que des «transvaseurs» de produits liquides dans des récipients sans recourir à la main et qui peut en même temps réchauffer le produit s’il s’est assez concentré. Il faut que les nombreux produits agricoles et fruitiers qui arrivent à Diaobé soient transformés sur place et traités avec hygiène pour donner de la plus-value et de l’emploi. Je veux créer un label Diaobé compétitif sur le marché national et international de par la qualité et la sécurité hygiénique qui va les caractériser.» A 42 ans, il continue à courir pour repousser les limites et surtout caresser ce rêve éveillé…