Pose de la première pierre : Par devoir de mémoire, par nécessité de pardonner et de rassembler

Dakar aura son mémorial. Gorée, face à l’Atlantique, verra sa mémoire sublimée par ce grand phare de Dakar que sera le Mémorial de Gorée. Il fera aussi face à l’océan. Pour qu’on n’oublie pas. Pour qu’on pardonne. Pour qu’on rassemble. La première pierre a été posée. Vingt mois de travaux. Le Président ne veut pas plus.Par Moussa Seck –
L’océan étale son grand drap bleu. L’horizon, dégagé. Immensité et bleu à perte de vue. Une vue absolue aurait aperçu Gorée. Gorée et ses pittoresques bâtiments. Gorée et les murs rouges de sa Maison des esclaves. Gorée et sa mémoire. Gorée et son histoire disséminée dans mille cœurs et mille esprits ici et ailleurs depuis des siècles. Ces souvenirs et sentiments dans cœurs et esprits vont bientôt prendre corps. Ici, à Dakar. En face du grand bleu, comme en reflet du bâtiment de l’île, la presqu’île va bâtir un lieu de mémoire. Le Mémorial de Gorée sera construit : en atteste la cérémonie de lancement des travaux tenue ce samedi 6 janvier 2023.
«Date historique du 6 janvier 2024», a annoncé une voix, pour accueillir le président Macky Sall. Historique, parce qu’ «en posant ici, face aux berges de l’Atlantique, ce samedi 6 janvier 2024, la première pierre du Mémorial de Gorée, j’accomplis, au nom du Peuple sénégalais, de l’Afrique et des diasporas, un acte d’exercice mémoriel et de réconciliation des peuples», dit le chef de l’Etat. Et «plus qu’une structure physique, il sera un livre d’histoire ouvert au monde pour témoigner du passé». Un passé douloureux d’esclavage rappelé par le Président Macky Sall, qu’un devoir de mémoire impose d’immortaliser sur la Corniche de Dakar. Loin du ressentiment, le rappel fait par M. Sall se veut résolument tourné vers l’avenir. Ainsi dira-t-il : «Nous voulons aussi œuvrer pour un présent et un avenir de justice et de réconciliation des peuples. En ce sens, le mémorial invite à pardonner, mais sans oublier.» Sans oublier, parce que «l’oubli serait une seconde mort et un second enterrement pour nos millions d’ancêtres victimes de l’esclavage, alors que le suprémacisme, le négationnisme, le racisme et la discrimination raciale restent encore tenaces».
Et c’est dans un esprit de fast track que le mémorial sera érigé. Vingt mois de travaux, seulement, pour Summa et la Cse, au lieu de vingt-deux, initialement proposés au président de la République. L’inauguration est alors attendue au mois de septembre de l’année à venir. En 2025, sur 35 000 mètres carrés, se dressera une voile en acier qui tendra ses 108 mètres de haut vers l’immense bleu du ciel face à l’immense bleu de l’océan. La poésie de s’exprimer alors, et Amadou Lamine Sall de voir en cette structure qui sortira de terre un «phare illuminant Dakar de toute sa splendeur et pour des siècles». Et pour des siècles, qu’on devra chérir. Le Secrétaire général de la Fondation du mémorial de le dire ainsi : «Nous disons à la jeunesse : le Mémorial de Gorée est votre héritage. Macky Sall vous l’a laissé. Faites le vivre !» Amadou Lamine Sall aura poétisé, il aura pleuré. Amadou Lamine Sall a usé de son verbe pour remercier le Président et sa diligence, il aura évoqué des noms qu’il aurait aimé voir inaugurer avec lui le phare. «Vous laissez la réalisation culturelle et architecturale la plus sonore, la plus achevée, la plus marquante et la plus retentissante de l’histoire culturelle du Sénégal.» Pose de première pierre ? Que nenni ! «Ce à quoi nous allons assister ici dans quelque minutes n’est ni la pose d’une première pierre ni le lancement d’un chantier. Ce à quoi nous allons assister, est une inauguration. C’est comme tel que j’ai décidé de le dire et c’est comme tel que j’ai décidé de le croire !» A soi-même ! Et parce qu’il ne faut les oublier, le professeur Pathé Diagne, Joe Ouakam, le saxophoniste Bira Guèye et Assa Keïta (surnommée «la memoriale» par A.L.S) seront évoqués. Evoqués par le poète Sall qui dit croire que leur âme n’a pas manqué au rendez-vous ! Lui poète, suspendu entre morts et vivants, son mémorial immatériel déjà bâti dans son cœur, le mémorial physique en phase de prendre forme, Amadou Lamine Sall confiera au public de la Corniche qu’il peut maintenant partir tran… (Fourmis dans la gorge, émotion dans la voix, pleurs)… quille…
Phare de mémoire, épicentre de la culture
Même si après 30 ans de gestation, le projet du mémorial se matérialise enfin, Amadou Lamine Sall a pour sa part tenu à demander au président de la République de veiller sur lui et de le protéger. «Le mémorial a été victime souvent d’habiles snipers…» Des snipers d’une part, mais le bouclier divin d’autre part, selon ce qu’en analyse le poète qui va plus loin : «…mais Dieu veillait, Dieu attendait Macky Sall.» De celui qu’on attendait, celui qui a attendu et vu les snipers a dit : «Sur toutes les tribunes internationales, de New York à Addis Abeba, vous avez chanté et plaidé pour le Mémorial de Gorée. Votre plaidoirie a payé. Les juges ont été unanimes. Macky Sall grandit l’Afrique. Macky Sall honore l’Afrique.» Cette abnégation à faire être le mémorial sera saluée par le maire de Dakar-Plateau, Alioune Ndoye. «C’est avec émotion et légitime fierté que je vous accueille sur ce site», a-t-il introduit. Ce site qui, grâce à vous, témoigne-t-il au Président, «prendra date avec l’histoire en cela qu’il est en phase d’accueillir l’une de vos plus prestigieuses réalisations au profit des Dakarois, des Sénégalais, de la diaspora noire et de toute l’humanité».
Humanité, précisément : «Avec ce mémorial, le Sénégal accueille le monde, tout le monde. Ceux qui hier avaient été séparés du monde et d’eux-mêmes, rejetés, exclus de l’humanité sont aujourd’hui ceux qui reçoivent, ceux qui partagent et qui dialoguent avec le monde. Ceux qui, jadis, avaient été rabaissés, réifiés, niés, sont aujourd’hui, par ce mémorial, ceux qui agissent en humains, j’ajoute, en humanistes véritables.» Ce, «en œuvrant pour le bien universel sans exclusive, pour la connaissance universelle, comme pour la reconnaissance de l’apport des peuples noirs à l’histoire, à la culture, en somme à la vie elle-même». Ces paroles sont de Colette. Une Césaire venue au nom de la Martinique, des Antilles, des Afro-descendants d’ailleurs et qui voit dans les bouts d’acier qui seront noués à Dakar, d’autres qui seront «fraternels entre nous, comme avec toutes celles et tous ceux qui veulent croire en une humanité débarrassée du racisme, de toutes les formes d’injustice et de discrimination». Celle qui dit avoir été reçue au Sénégal comme une fille de la terre de la Teranga, ouvrira son cœur et gratifiera l’assistance de son carnet d’un retour au pays natal. En toute poésie, en rappelant des vers de Aimé Césaire. Et l’artiste d’apercevoir dans les 108 mètres qui se perdront dans le ciel de Dakar, une source d’inspiration. Aussi, quand son inspiration et celle des autres auront fini de générer, le mémorial sera là pour abriter le produit de leur imagination. «Témoin du passé, le Mémorial de Gorée sera aussi un foyer ardent de culture et de fraternité humaine, un carrefour d’échanges et de rencontres, où l’on se rassemble pour se souvenir, créer et célébrer l’entente cordiale entre les peuples», a annoncé le président de la République. En détail, le mémorial abritera, «entre autres, un centre d’études sur la traite des êtres humains et une librairie, un espace d’exposition, une salle de réception et une autre polyvalente réservée au cinéma et à des conférences et spectacles, des ateliers mémoriels, une zone commerciale dédiée à l’artisanat local».
Hommages du président de la République : La chaloupe de Joseph et le Kenkeliba de Amadou
La cérémonie de la pose de la première pierre a été l’occasion de faire des hommages. «Je saisis l’occasion pour rendre un vibrant hommage à feu Boubacar Joseph Ndiaye, charismatique conservateur de la Maison des esclaves de Gorée dont l’ombre tutélaire plane sur cette cérémonie», a souligné Macky Sall. L’hommage sera concrétisé par un acte. «Et je voudrais, Monsieur le maire, vous informer que j’ai décidé de donner le nom de Boubacar Joseph Ndiaye à la toute nouvelle chaloupe de Gorée qui sera livrée avant la fin du mois de janvier, ce mois-ci. Il le mérite.» Outre Boubacar Joseph Ndiaye, hommage a été rendu à Amadou Lamine Sall. Il aura sauvé le président de la République du regret. Regret de n’avoir pas construit le mémorial. «Mais une fois, j’ai suivi à la télé une matinale, Kenkeliba, où Amadou Lamine Sall était l’invité. Et en l’écoutant parler, le lendemain j’ai convoqué une réunion pour dire que je vais démarrer en janvier ces travaux et j’accomplirai ce mémorial», confie Macky Sall. Il dira directement au poète : «Donc Amadou, quelque part, vous avez été le déclencheur et nous devrions construire ce mémorial pour la mémoire de l’Afrique et de sa diaspora.»