Des femmes mettent de la poudre dans leur sexe pour relever le plaisir sexuel, entre autres. Mais le résultat se trouve souvent à mille lieues de là… Des Sénégalaises mettent cette poudre à base de tabac dans leur vagin pour décupler le plaisir sexuel. Mais cette pratique pourrait causer le développement de maladies diverses, dont des lésions cancéreuses. Les experts déconseillent l’usage du produit, en attendant une étude approfondie de ses effets réels. Cette enquête a été réalisée par SciDev.net.

«J’ai parlé de mes difficultés à tomber enceinte à une tante qui m’a conseillé ce produit. Après l’avoir utilisé, j’ai pu avoir un enfant. (…) Même les médecins en étaient étonnés.» La cinquantaine révolue, Neyba, une dame rencontrée dans l’intimité d’une maison à Sédhiou, en Casamance (Sénégal), croit dur comme fer qu’elle doit son «miracle» à une poudre à base de tabac qu’elle introduit régulièrement dans son sexe. Le produit en question, vendu à 100 F Cfa (0,17 Usd) le sachet de quelques grammes, est utilisé soit par application cutanée soit par voie vaginale pour traiter des infections, des douleurs quelconques ou simplement se donner du plaisir.
Toutefois, les vertus aphrodisiaques prêtées au «tabac vaginal» semblent être la principale motivation des consommatrices de ce produit à Sédhiou. A Dakar, cette «recette miracle» pour retrouver sa virginité, «décupler le plaisir sexuel» ou «envoyer son homme son 7ème ciel» se partage allégrement entre femmes, constate Abdoulaye Diop, gynécologue-obstétricien dans la capitale sénégalaise.
Sa vente est clandestine. Si clandestine que vendeuses et consommatrices utilisent des noms de code pour effectuer la transaction. «Jumbo», «Kandiénou», «Secret» ou encore «Tangal» (bonbon en wolof) sont quelques noms utilisés pour désigner ce produit dont les composants diffèrent d’une vendeuse à l’autre. Gnima Coly Ndiaye, coordinatrice de la Santé de la reproduction au district sanitaire de Sédhiou, confie à SciDev.Net que le produit est fabriqué à base de feuilles de tabac séchées et de racines d’un arbre appelé «tangora» ou d’autres plantes comme «kankouran mano» ou le «koundinding».
Selon son récit, certains fabricants y ajoutent de la soude et du beurre de karité et les utilisatrices qui se recrutent désormais dans toutes les tranches d’âge s’approvisionnent à Kandiénou, un village situé sur la frontière avec la Guinée-Bissau. Mais la pratique existe aussi ailleurs en Afrique. Pascal Foumane, enseignant de gynécologie-obstétrique à l’Université de Yaoundé I, indique qu’au Cameroun par exemple, les femmes utilisent généralement du tabac, mais aussi de la pierre blanche, des écorces de plante ou du cannabis pour soi-disant rétrécir leur partie génitale et ainsi décupler le plaisir sexuel.

Illusion
Un objectif qui ne serait cependant qu’une illusion, de l’avis des chercheurs, médecins et autres experts qui travaillent sur l’appareil génital de la femme et qui reçoivent des patientes s’adonnant à cette pratique. En ce qui concerne les vertus thérapeutiques prêtées au «tabac vaginal», Omar Ba est formel : «Il n’en existe aucune.»
Responsable du Programme de lutte contre le tabac au Sénégal, le pneumologue indique que cette forme d’utilisation du tabac, bien connue de ses services, n’a qu’un «effet placébo» sur les utilisatrices. Abdoulaye Diop, gynécologue-obstétricien à Dakar, va plus loin en disant que si l’usage de ce produit est autant répandu, c’est parce qu’il donne une sensation de rétrécissement de l’organe génital, en raison de la rétraction réflexe des muscles du vagin au contact de ses composants chimiques. «Or cette sensation est passagère et trompeuse, parce que la muqueuse vaginale qui est agressée finira par développer des modifications qui sont la porte d’entrée du cancer», précise-t-il.

Sensations de brûlure
Pascal Foumane renchérit en soulignant que «ces produits créent souvent des ulcérations qui, en se cicatrisant, rétrécissent le vagin, le rendent dur et peuvent aller jusqu’à le refermer totalement. Il arrive même que l’écoulement normal des règles devienne impossible», explique l’enseignant à SciDev.Net.
Au demeurant, quels que soient les profils et les motifs avancés, la plupart des femmes qui ont utilisé le produit disent avoir ressenti des sensations de brûlure suivies de violents vertiges, de vomissements, d’étourdissements et parfois d’une perte de connaissance. «Je ressens constamment des maux de cœur et des douleurs insupportables chaque fois que je mets le produit. Mais une fois l’effet passé, je me sens très bien», témoigne à cet effet Neyba.
Sauf que Gnima Coly Ndiaye du district sanitaire de Sédhiou affirme qu’on ne compte plus les cas de femmes admises aux urgences dans la localité, après avoir perdu connaissance, suite à l’utilisation du «tabac vaginal». Elle fait savoir que la majorité de ces patientes se font consulter pour des cas d’inflammation du col de l’utérus, du vagin ou d’infections sexuellement transmissibles à répétition.

Lésions vaginales
La coordinatrice de la Santé de la reproduction à Sédhiou raconte avoir reçu en consultation il y a quelques années une femme de 36 ans qui avait un néoplasme1 du col de l’utérus de stade 3. «C’est plutôt très rare pour son âge», fait remarquer Gnima Coly Ndiaye. «La même année, j’ai reçu une jeune fille de 25 ans qui avait des lésions vaginales et qui saignait au contact du speculum (Ndlr : Tumeur constituée de cellules qui prolifèrent de façon excessive. Un néoplasme peut être cancéreux ou non. Outil médical permettant d’explorer une cavité corporelle par l’écartement des parois.) Dans les deux cas, elles ont confié qu’elles utilisaient le tabac», ajoute la praticienne.
Pour sa part, Aminata Seck, sage-femme en service au poste de santé de Sédhiou, raconte avoir pris en charge des cas de complication lors de l’accouchement dus à cette utilisation du tabac. «Elles présentaient une augmentation trop importante du rythme des contractions utérines qui ont parfois provoqué une diminution de l’oxygénation chez le fœtus, entraînant un mort-né ou, dans d’autres cas, un décès néonatal», explique-t-elle. Ces constats se rapprochent du reste des conclusions d’une étude relative à l’impact du tabac sur l’appareil génital de femmes fumeuses, publiée en janvier 2018 dans la revue anglaise Scientific Report.

Risque élevé d’infections
Cette étude avait révélé que le tabac modifie la flore vaginale et que ces modifications exposent les femmes fumeuses à un risque élevé d’infections vaginales. «Ces risques devraient être plus élevés chez les femmes qui mettent directement le tabac au contact de leur muqueuse vaginale et cervicale», déduit Abdoulaye Diop.
«Cette zone est très sensible et l’agresser avec un produit composé de tabac et de soude, c’est carrément suicidaire», souligne le gynécologue.
Un avis que partage Pascal Foumane de l’Université de Yaoundé I qui rappelle que le lien entre l’utilisation du tabac et le cancer du col de l’utérus est tout à fait plausible. «Le tabac est en effet un agent cancérigène bien documenté. Le risque du cancer du col de l’utérus nous semble d’autant plus augmenté dans le cas de l’administration du tabac au contact direct du col», indique-t-il dans une interview accordée à SciDev.Net.

Réaliser une étude
Pour autant, relève Gnima Coly Ndiaye, «il n’y a pas encore d’étude qui établit la corrélation entre le ‘’tabac vaginal’’ et les cas de lésion cancéreuse ou les complications lors des accouchements». Même si elle pense qu’il y a «forcément un lien». «C’est une pratique que nous sommes actuellement en train de documenter sérieusement. A l’heure actuelle, nous n’avons pas assez d’éléments sur ses effets réels», confirme Omar Ba du Programme de lutte contre le tabac au Sénégal.
Raison pour laquelle Yéri Camara, médecin chef de la région de Sédhiou, estime que dans l’immédiat, la démarche la plus importante à mener est de réaliser une étude sur la composition chimique du «tabac vaginal». Un point de vue que partage Abdoulaye Diop qui est convaincu qu’une étude approfondie et une documentation poussée des cas de femmes victimes de cette pratique pourraient avoir un effet dissuasif.
En attendant, tous les spécialistes s’accordent sur une chose : la nécessité de sensibiliser les femmes pour qu’elles cessent ou s’abstiennent d’utiliser ce produit qui provoquerait aussi une addiction, avec sa cohorte de conséquences sociales…