Je n’ai jamais souhaité écrire cette chronique, je n’ai jamais pensé qu’un jour tu feras de ma part un hommage. C’est plutôt l’inverse qui m’aurait réjoui : que ta plume adulte écume sa mémoire de jeunesse et rencontre par hasard le souvenir d’un prof qui s’est efforcé de transmettre une passion !
C’est dans l’encre de la douleur que je plonge ma plume pour écrire ces lignes, je ne promets ni cohérence ni lucidité. J’ai peiné à la sortir, je l’avoue. Celle en la mémoire de qui elle est écrite mériterait sans doute une meilleure copie.
La nouvelle est tombée, comme toujours raide. Je t’ai aperçue, ton visage voilé sur les statuts de tes camarades. Comme un scénario qui tourne mal, la réalité nous est apparue dans toute son horreur, sa brutalité. La mort. Même sur les réseaux, elle a un visage horrible. L’émoticône submergé de larmes. Ces trois lettres (Rip) péremptoires censés clore un destin, la fin.
La mort a cela d’incommodant qu’elle ne prévient pas. Comme pour réussir son coup, elle surprend. Elle frappe au moment où l’attention est détournée, à l’angle de la rue. Ici, la faucheuse a pris les allures d’un car qui fonçait à vive allure sur l’autoroute.
Une mort si brutale, pour toi si douce, si calme
Une fin si publique, pour toi si effacée, si réservée
En écrivant, en te dédiant cette chronique, je n’ai pas voulu que ton hommage soit limité aux habituelles pages nécrologiques des journaux, mais que ton nom soit gravé dans les «bonnes» feuilles. Ici à droite. Parmi les faits qui rythment nos vies, notre quotidien, c’est ici ta place, en tant de journaliste.
Hier, nous sommes allés chez toi. Nous avons trouvé une famille éplorée, mais digne. Ils nous ont dit qu’avant toi, il y a eu ton frère et il y a eu aussi ta sœur. Tout cela en moins de deux ans. Le destin s’acharne à écrire un feuilleton dramatique dans cette famille.
Il est de ces destins qui se terminent en pointillés. Des points de suspension, comme trois gouttes de larme alignées qui décrivent notre peine, notre souffrance.
La veille je t’ai croisée. Nos chemins se sont croisés dans la passion commune d’un métier. Pour nous autres qui avons la charge de faire éclore chez les jeunes leur vocation pour ce formidable métier qu’est celui d’informer, nous avons très souvent la chance de trouver chez nos étudiants une passion déjà en place. Les étudiants en journalisme arrivent dans nos amphis, la tête et le cœur pleins de rêve, de passion pour ce métier. Très souvent, à la question pourquoi avez-vous choisi ce métier ? Ils nous répondent avec une franchise imparable : «J’ai toujours rêvé d’être journaliste.» A charge pour nous de modeler, pétrir, cette vocation naissante, fragile, comme une argile molle.
Le Tout-puissant l’a voulu ainsi. Le chemin s’arrête là. Le décret divin est tombé. J’ose croire que cette vocation sincère que tu portais en toi illuminera chacun de tes camarades d’âge. Demain, sous leur plume, dans l’écho de leur voix, jaillira l’éclat de ta passion.
Dieu l’a voulu ainsi, le chemin a été court, mais le compagnonnage a été sincère.
Demain, nous guetterons en vain ta voix en salle de classe. Ta silhouette voilée. Sur notre chemin avec les jeunes, nous pouvons admirer leur vigueur et leur fragilité. L’école sénégalaise confine à l’apprenant un rôle docile, juste apte à restituer les cours. Alors que c’est dans les activités extra-muros que se forgent l’identité, la vraie personnalité de l’étudiant. J’ai vu en toi la petite fille timorée faire sa mue, sortir de sa chrysalide. J’ai toujours apprécié que, chez toi, le développement de l’esprit critique se soit fait à l’écart de toute arrogance.
J’ai pris une leçon de toi. Vivre chaque instant comme il vient.
Ce sont ces coups du sort qui nous rappellent que notre vie tient à un fil. Tout peut basculer d’une minute à l’autre.
Si je savais que c’était notre dernière rencontre sur terre avant-hier, quand on s’est croisé près du campus, que t’aurais-je dit ? Sans doute la sempiternelle boutade que je sers aux étudiants «Qu’est-ce tu deviens ?» Là, il n’est plus question de devenir.
Chaque prof rêve d’avoir une étudiante comme toi. Ta passion, ton engagement, qui nous donnent chaque matin la force de nous lever, de reprendre l’effort sans relâche. Nous avons ficelé un pacte de devenir avec nous : et voici que la mort, sans crier gare, détruit tout !
J’ai admiré ta bravoure. Il y a deux ans quand nous sommes revenus d’un programme d’immersion dans les îles du Saloum, et que sous le coup de la fatigue, et de la chaleur, tu as piqué une crise, j’étais à ton chevet, pendant que tu dormais, sous l’effet du sédatif. C’est ce visage que je garderai de toi pour toujours : calme et déterminée.
Repose en Paix !