A l’occasion du 80e anniversaire de l’Organisation des Nations unies (Onu), le débat sur la réforme du Conseil de sécurité prend une dimension particulière. Créé en 1945, ce Conseil reflète encore un ordre mondial d’après-guerre : cinq membres permanents dotés du droit de veto (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni), dix membres non permanents élus pour deux ans, et aucune représentation permanente pour l’Afrique.
Ce décalage est de plus en plus criant : avec ses 54 Etats membres et une population qui atteindra un quart de l’humanité d’ici vingt ans, le continent africain reste absent de la structure de décision la plus puissante du système multilatéral.
Pour l’Afrique francophone, souvent en première ligne des crises inscrites à l’agenda du Conseil (Sahel, Rdc, Côte d’Ivoire, Tchad), cette absence est lourde de conséquences.

Le Consensus africain et l’évolution du soutien international
Depuis le Consensus d’Ezulwini (2005) et la Déclaration de Syrte, l’Union africaine réclame deux sièges permanents avec tous les droits associés, ainsi que deux sièges non permanents supplémentaires.
Cette position a progressivement trouvé des soutiens extérieurs. Le Président américain Joe Biden a affirmé, en 2022, que l’Afrique devait obtenir deux sièges permanents, même si la question du veto restait en suspens. Le Président français Emmanuel Macron s’est également exprimé en faveur d’une réforme incluant l’Afrique.
Le Pacte pour l’avenir, adopté récemment à l’Onu, fait de la sous-représentation africaine une priorité à corriger. Jamais le contexte international n’a donc semblé aussi favorable.
Les Etats francophones jouent un rôle moteur dans cette revendication, comme le Sénégal en raison de son influence diplomatique et de sa stabilité politique, la Côte d’Ivoire qui a siégé au Conseil à plusieurs reprises, la Rdc, ce géant démographique d’Afrique centrale, directement concernée par la plupart des décisions de sécurité, mais sans voix permanente.

Le temps de l’Afrique est venu
A l’occasion du 80e anniversaire, les dirigeants africains rappellent que l’absence de siège permanent est une injustice historique. Les arguments avancés sont multiples :
Poids démographique et linguistique : plus de 30 pays africains sont membres de la Francophonie, représentant un espace de 500 millions d’habitants d’ici 2050.
Contribution aux opérations de paix : les contingents francophones, du Sénégal au Maroc, du Burkina Faso au Tchad, sont parmi les plus mobilisés dans les missions onusiennes.
Crises sécuritaires régionales : du Sahel au bassin du Lac Tchad, nombre de conflits inscrits à l’agenda du Conseil concernent des pays francophones.
Partenariat historique avec la France : Paris soutient officiellement l’idée d’une réforme incluant l’Afrique, mais pour beaucoup de francophones, il est temps que ce soutien se traduise en action concrète. Pour la France, sans doute serait-ce l’un des plus sûrs moyens de se réconcilier avec l’Afrique.

Les procureurs du scénario africain ne sont pas convaincants
Les obstacles souvent mentionnés par les procureurs du scénario africain ne sont pourtant pas insurmontables. D’abord, le choix des deux Etats permanents reste sensible, les rivalités régionales étant souvent invoquées pour remettre en cause la cohésion du continent. Mais les rivalités au sein de l’Europe n’ont pas empêché la France et la Grande Bretagne d’être représentées au sein du Conseil. Quant à l’absence d’unanimité des cinq permanents actuels, vu l’intensité de la compétition entre grandes puissances sur le continent, elles devraient avoir ici l’occasion de démontrer leur sincérité vis-à-vis de l’Afrique en lui apportant un soutien résolu.
Ce que changerait un siège permanent
Obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité permettrait à l’Afrique francophone :
d’avoir une voix continue dans les délibérations, et non plus épisodique ;
d’influencer l’agenda international dès la phase de prévention des crises ;
de renforcer son poids diplomatique collectif face aux grandes puissances ;
de consolider l’image d’une Onu plus équitable et représentative.
Avec le droit de veto, cet impact serait maximal. Sans veto, il perdrait son intérêt.

Le 80e anniversaire : une occasion historique
Au moment où l’Onu célèbre huit décennies d’existence, la réforme du Conseil de sécurité apparaît comme le chantier symbolique et stratégique par excellence. Elle permettrait de corriger une injustice historique et de refléter enfin la réalité géopolitique et démographique du XXIe siècle.
L’Afrique francophone, par sa démographie, ses contributions à la paix et ses liens historiques, est bien placée pour revendiquer au moins l’un des deux sièges permanents proposés.

Un test de sincérité pour les grandes puissances
Ce débat ne peut plus être repoussé indéfiniment. Le 80e anniversaire de l’Onu doit être plus qu’une commémoration : il doit marquer le moment où les grandes puissances traduisent en actes leurs discours sur l’équité, l’inclusion et la représentativité.
Donner un siège permanent à l’Afrique francophone, c’est offrir au continent une voix à la hauteur de son poids mondial. C’est aussi envoyer un signal fort : celui que la gouvernance internationale n’appartient pas seulement au passé, mais qu’elle peut s’adapter aux réalités du XXIe siècle.
*Directrice Afrique
Atlantic Council