Pour un renouveau ! Lettre cordiale aux représentants du Peuple
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Je voudrais commencer par rendre grâce à Allah «Azza wa Jàlla» Qui nous a encore gratifiés de Ses bienfaits et de Sa protection, lors des dernières élections présidentielle et législatives. Paix et Salut sur l’Elu des cœurs, le Bien-aimé Muhammad, guide de nos actes. Je présente mes chaleureuses félicitations à tous les élus du Peuple et leur souhaite une législature de renouveau et de réconciliation.
Nous avons remarqué que depuis les indépendances, notre système démocratique fonctionne sur la base d’une bipolarisation : pouvoir vs opposition. Nous avons tous accepté qu’il faut un «pouvoir qui gouverne et une opposition qui s’oppose». Cette bipolarisation a, il faut le reconnaître, nolens volens, contribué au progrès de la démocratie au point d’en faire un modèle en Afrique de l’Ouest. Cependant, ces derniers temps, cette bipolarisation a fait montre de faiblesses et de risques de fracture au sein de la Nation. L’on pourrait même approfondir la réflexion et élargir les contours de l’observation, s’interroger sur les limites de cette bipolarisation sur l’unité nationale, d’une part. Et d’autre part, sur les tares de la démocratie électorale à l’ère du numérique, si l’on sait l’influence des industries de la manipulation digitale, derrière des «écrans de fumée». Mais là n’est pas l’objet de ma lettre aux frères et sœurs fraîchement élus.
Ma conviction est qu’il est impératif que nous soyons conscients de la responsabilité qui est la nôtre, d’amorcer les conditions d’un renouveau démocratique et politique. Laisser les choses en l’état, c’est courir vers l’immobilisme et le déclin. Serigne Cheikh Tidiane Sy (qu’Allah agrée ses œuvres) rappelait à juste titre que ce qui contribue au déclin des choses, c’est l’absence de vision et d’action innovantes, rénovantes : «Lu fi yàqqu ni la nu mako joxe mooko yàqq.» Cet impératif de renouveau doit secouer notre conscience et réveiller en nous la responsabilité de construire l’unité dans la diversité, la singularité dans la pluralité. Notre devise, «Un Peuple, Un but, Une foi», ne doit pas être un simple slogan, elle est une boussole, un esprit qui anime nos actions de tous les jours, un rappel à la fraternité et à la préservation de l’unité de la Nation.
Les dernières élections présidentielle et législatives nous offrent une opportunité de reconstruire et de ressouder la Nation, de créer les conditions d’un renouveau politique avec l’ensemble des fils et filles de la Nation. Sans exclure la diversité ; l’animosité, si ! Sans exclure la différence ; l’exclusion, si ! Sans exclure les contradictions ; les antagonismes, si !
Les dernières élections présidentielle et législatives et les résultats qui en sont sortis m’invitent à réviser ce verset de la sourate «Ali Imrâne» :
«[…]et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous : lorsque vous étiez ennemis, c’est Lui qui réconcilia vos cœurs. Puis, par Son bienfait, vous êtes devenus frères. Et alors que vous étiez au bord d’un abîme de Feu, c’est Lui qui vous en a sauvés. Ainsi, Allah vous montre Ses signes afin que vous soyez bien guidés.»
Ce verset nous rappelle une situation de bipolarisation conflictuelle permanente et meurtrière, entre les deux entités sociopolitiques de Médine, Aws et Khazraj. Deux tribus qui se partageaient l’espace de Médine sans jamais être d’accord sur quoi que ce soit. Toujours en conflit armé, toujours dressés les uns contre les autres, mus par une haine réciproque et une adversité mortelle. Ce qui ressemble fort bien à la situation de notre pays ces derniers temps. La venue de l’Elu, le Messager d’Allah, a été le facteur de renouveau pour les belligérants de Médine qui se sont réconciliés sur la base de ce qu’ils avaient en commun, Médine. Sur la base de ce qu’ils désiraient pour Médine, le rayonnement. Autour du message de paix et de fraternité, l’islam. Allah nous dit que «c’est Lui qui a réconcilié les cœurs et par Son bienfait, vous êtes devenus frères».
En notre qualité de croyants et de musulmans, ce verset nous parle. Et j’ai voulu partager avec les députés du Peuple, ce qui est une modeste perception de ma part. Au-delà de leur appartenance partisane, c’est à eux d’arborer le manteau de la réconciliation des cœurs, de nous sortir de «l’abîme de Feu», de haine et de discorde, de nous sauver de la fracture manichéenne, avec l’aide d’Allah «Azza wa Jàlla». J’ai évoqué le Coran en tant que muslim, et je sais que l’esprit de paix et de fraternité est partagé par les adeptes de Jésus aussi bien que par le Grand Livre de la sagesse africaine.
C’est sur la sagesse africaine que je voudrais bâtir le deuxième point de cette missive adressée aux frères et sœurs qui nous représentent.
Les représentants du Peuple vont siéger à l’Assemblée nationale, «Péncu ndawi réew mi». Ils doivent alors se souvenir de la sémantique derrière les concepts de «Penc» et de «ndawi réew mi». La souveraineté ne doit pas être limitée à une «profession de voix» devant les autres, tout en adoptant dans les attitudes et principes les mêmes paradigmes. Le changement de paradigme à l’Assemblée nationale «Péncu ndawi réew mi» gagnerait à s’inspirer des ressources positives générées par nos sociétés, et de la place que nous désirons occuper aujourd’hui dans le monde. Ce qui nous dicte de puiser dans notre «africanité», sans rejeter ce qui nous relie au monde.
Le «Penc», tel que nous le savons tous, est un espace de dialogue politique et social, si nous convenons que la politique c’est l’art de bien gérer la cité. Les «penc» dans nos sociétés sont des espaces de dialogue, je ne dis pas d’unanimité. Les différends y sont certes exposés, les arguments des uns et autres exprimés, avec vigueur quelques fois. Mais le but ultime est d’aboutir à une conclusion consensuelle, juste et pacifique. Et c’est pour cela que je pense que nos députés, pour cette législature, doivent être animés par l’esprit de «Penc» sans trahir leurs mandants et leurs partis. Défendre ses idées sans agresser, persuader avec des arguments de raison, et non tenter d’humilier ou de vexer, déconstruire des idées sans attaquer l’honorabilité des citoyens. En un mot, être des Guelewaar dans l’Hémicycle.
En outre, le mot «ndawi réew mi» est éloquent en lui-même. Les députés sont les messagers de la Nation. Ils sont mandatés par la Nation, quelle que soit la couleur de leurs listes lors des élections. Et cette qualité de représentant du Peuple efface les intérêts partisans, les particularités religieuses et régionales, les identités spécifiques. La Nation est une et indivisible, de ce point de vue ils sont les vigies de cette unité.
Si cette législature fonctionne sur le modèle des précédentes, elle n’aura pas amorcé les améliorations souhaitées et le renouveau démocratique qui est à sa portée. Un renouveau animé par l’esprit de «Penc» pour l’unité nationale.
Qu’Allah veille sur le Sénégal !
Cordialement !
Pr Abdoul Azize KEBE