Le malheureux incident survenu ce jeudi 9 mai à l’Aibd est une alerte, une piqûre de rappel, et dans ce contexte, sert de prétexte aux autorités pour engager sans délai une vaste réflexion sur une politique de transport aérien fiable, durable et rentable. Sans jouer au défenseur ni au détracteur, je pense que la compagnie locale devrait objectivement se limiter au transport intérieur, au transport de voisinage, au transport inter-Etats africains, ou servant de Feeders aux compagnies intercontinentales.
Aussi me paraît-il urgent et impérieux d’œuvrer à la reconstitution d’une grande et véritable compagnie aérienne africaine avec un actionnariat majoritairement privé. Une compagnie aérienne est souvent considérée comme un symbole de souveraineté, un drapeau ; mais c’est aussi un moteur de développement, un instrument d’intégration. Dans la vaste chaîne de solidarité continentale, elle demeure un intrant important pour la promotion et le développement de nos biens et services.
Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler le rôle ô combien important joué par la défunte compagnie Air Afrique dans le processus de développement des activités économiques de ses Etats membres. Jugez-en à travers quelques actions phares dans l’agriculture, la pêche et le tourisme, secteurs à haute intensité de main-d’œuvre et disposant d’un fort impact aussi bien sur notre balance commerciale que sur notre balance de paiements, avec une considérable injection de devises dans notre pays pour étayer cette assertion. En effet, à partir du mois de septembre, la Direction de l’aviation civile, ancêtre de l’Anacim, réunissait toutes les compagnies aériennes opérant en direction de l’Europe, marché cible des opérateurs sénégalais des filières horticole et halieutique ; il s’agissait, au cours de ces rencontres, de dégager des prévisions d’exportation de nos produits et d’attribuer des quotas aux compagnies présentes et intéressées sur la base de tarifs préfixés, pour ne pas dire imposés, par les ministres en charge des domaines concernés.
Air Afrique, en sa qualité de compagnie nationale, se voyait ainsi imposer un prix sans aucune possibilité d’objection ni de recours, subissant une opération blanche sans gain ni perte. Pour nos autorités, il fallait rendre nos produits compétitifs sur les marchés extérieurs que sont la France, la Belgique, ponts vers les autres destinations européennes concernant la filière horticole de novembre à mai et vers Marseille et Athènes pour la filière halieutique pendant toute l’année.
Au cas où les vols quotidiens de la semaine ne pourraient pas absorber toute la production, obligation était faite à Air Afrique de recourir à des vols cargo affrétés soit en code sharing, soit en prêt de pavillon.
S’agissant du secteur touristique, pour satisfaire la demande des Tours operators (To) surtout indépendants, Air Afrique procédait à une allocation de 33% de ses capacités sur les vols réguliers sous forme de Blocs sièges (Bs) au tarif promotionnel de 2500 F, soit 191 euros, sur le parcours Paris/Dakar/Paris pendant la période allant de novembre à fin avril, permettant dès lors aux opérateurs de confectionner des packages attractifs pour la destination Sénégal et de remplir nos chambres d’hôtels. Il ne me parait pas superflu de rappeler qu’Air Afrique, grâce à sa filiale Hotafric, avait des participations dans des chaînes hôtelières. Une autre filière, Air Afrique vacances, mise en place plus tard, complétait la vitrine touristique de la compagnie. Beaucoup d’investissements ont été réalisés dans ses pays membres. C’est ainsi qu’au Sénégal il y a eu les campements de Djoudj (parc ornithologique), de Maka Diama (chasse), le Centre de pêche sportive à l’embarcadère de Dakar Gorée.
Quoi de meilleur qu’une compagnie aérienne nationale pour booster et développer l’économie d’un pays, sécuriser des emplois directs et indirects.
Toutes ces actions ont été menées suite aux sollicitations, recommandations et sous le contrôle des ministres en charge des secteurs précités pour ne pas les nommer Robert Sagna et Tidiane Sylla. Les urgences, nous le savons tous, sont partout et sont multiformes, mais force est de reconnaitre que la véritable urgence est dans le transport aérien, aiguillon et moteur de développement, outil de sécurité au sens holistique. Hâtons-nous, car il se fait tard.
Si Air Afrique, trait d’union d’une vaste zone géographique englobant 11 Etats allant de Nouakchott à Brazzaville, a pu réaliser autant d’actions de grande envergure, c’est grâce à une volonté politique exprimée par ses autorités, au large spectre de sa zone d’exploitation et à la grande qualité de son encadrement, même si dans le fonctionnement, tout ne fut pas exempt de reproche. En conclusion, notre pays, le Sénégal, à la croisée des chemins menant vers l’Europe et l’Amérique, doit prendre l’initiative de la reconstitution d’une grande compagnie africaine, vœu le plus partagé par nos populations.
Papa Massar NDOYE
Ancien Représentant d’Air Afrique