L’offensive réactionnaire en cours ne s’arrêtera pas. Il s’agit là de la marche de l’histoire, témoin de toutes les époques de l’opposition entre progressistes et partisans de la réclusion morale et intellectuelle. Dans «Notre jeunesse», livre majeur de Charles Péguy, l’auteur, constatant la dégénérescence de
son camp politique, fustigeait l’abandon de la mystique républicaine au profit de la petite politique. Péguy soulignait :
«Tout commence en mystique et finit en politique» pour dénoncer l’usage de la politique dans le strict sens de la compétition électorale. Nous voyons disparaître, sous nos yeux, la mystique républicaine déclinant sous les assauts coordonnés des partis, des gouvernements, des activistes conspirationnistes et d’autres lobbyistes qui s’auto-désignent Société civile.
Les appartenances religieuses voire confrériques, les postures et les ghettos moraux prennent le pas sur une conscience du commun qui est la promesse originelle de la République.
La meute, encore elle, gratte chaque jour sur nos libertés. Oumar Sankharé, Déesse Major, Héla Ouardi, Mbougar Sarr, ont été des cibles de sa bêtise. Quand les intellectuels et les républicains laissent faire, s’ouvre une brèche et la meute fondamentaliste essaime et ronge une parcelle supplémentaire de nos libertés. C’est le propre des totalitarismes que répugnent la culture, l’intelligence et la liberté.
Ces chiens de garde de la morale qui censurent et assignent les citoyens selon leur norme, feraient presque sourire s’ils n’envisageaient pas de régir le Code pénal et d’islamiser une société qui est, depuis des siècles, la somme de diverses sédimentations religieuses et profanes.
La proposition de loi sur la criminalisation de l’homosexualité est sans objet, et la majorité parlementaire a raison de ne pas la soutenir, même si ses arguments n’élèvent pas outre mesure le débat. Jusque-là cette question était posée dans les cercles privés puis dans les médias, avant d’atterrir dans la rue avec la
marche du mois de mai dernier, à l’appel d’un groupuscule dirigé entre autres par des complotistes notoires. Le projet de texte porté cette fois par des politiciens irresponsables et sans envergure, pressés par la bande d’excités regroupés autour de l’officine néofasciste Jamra, est le dernier spasme d’un courant réactionnaire qui cherche à exister sans craindre le ridicule et à déplacer le débat politique sur un terrain hideux. Le Parlement n’a pas à légiférer sur les névroses de quelques farfelus étouffés par l’oisiveté.
Aucune personne sérieuse ne parle de légalisation du mariage gay au Sénégal. Mais dans le monde merveilleux de Jamra et ses coalisés, il faut poser les questions et deviner les réponses les plus sordides pour exister et capter des financements. Ces exaltés projettent leurs fantasmes dans le débat public pour instrumentaliser l’ignorance et l’intolérance qui progressent devant la faillite de l’école et la carence républicaine des hommes politiques.
La propension devant tous les maux dont souffre le Sénégal -crise de l’école, chômage, carence culturelle, enfants talibés, viols…- pour ces adultes de ne parler que de sexe frôle la perversité et l’obsession grivoise. Il faut rajouter à l’arc de leurs tristes desseins la corde du fameux complot étranger qui voudrait imposer ses valeurs au Sénégal. Cette infantilisation des citoyens sénégalais, qui votent depuis plus de deux siècles et qui sont jaloux de leur souveraineté, est insultante. Elle contribue à déshumaniser un peuple pour exister et, par le
mensonge et la manipulation, arriver à ses fins. Le voyeurisme de ces gens est obscène. Leur discours est dangereux. Leur attitude est lâche. Ce sont des lobbyistes au service de causes rétrogrades qui, et c’est risible, voient des lobbies partout.
La forme républicaine de l’Etat et son caractère laïc ont été garantis par la constitution qui nous régit tous. L’Etat du Sénégal a par conséquent le devoir de protéger tous les citoyens : ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. Il doit
faire face aux groupes organisés qui s’érigent en fossoyeurs des libertés publiques afin de préserver la paix civile.
L’intolérance politique et religieuse progresse devant la peur des citoyens, notamment des élites. D’où leur menace de dresser une liste de députés récalcitrants ; ce qui est une méthode fasciste digne des pires heures de l’histoire. Les intellectuels et les républicains doivent faire face devant tous les intégrismes et toutes les intolérances qui commencent à parader et à imposer un point de vue unique sur le monde, au mépris de l’identité composite de notre Nation. «La corruption du siècle se fait par la contribution particulière de chacun de nous», disait Montaigne. Pour la République, la démocratie et les libertés, il
est urgent de faire face.
Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn