Feu l’abbé Diamacoune Senghor nous avait demandé, en novembre 2003, de lui faire une étude sur le désenclavement de la Casamance. Cette étude, il devait la soumettre au gouvernement, dans le cadre des négociations prévues avec le Mfdc.
Depuis, nous l’avons approfondie (l’étude) et adaptée au contexte, pour en faire un vrai plaidoyer pour la construction d’une Séné­gambie des Peuples.
Cette étude que nous avons soumise à beaucoup de cadres de la Casamance mérite d’être soumise aux gouvernements gambien et sénégalais pour servir, au même titre que beaucoup d’autres études, de base de négociations, pour une meilleure intégration des deux Etats.
Dans Le Quotidien du mercredi 11 mai 2016, dans un article intitulé «Pour une Sénégambie des Peuples, désenclavons la Casamance», nous exposions les différentes possibilités de faire face à l’obstacle gambien. Nous étions en plein blocus de la Transgambienne.
Dans le nouveau contexte sénégambien, il ne s’agit plus d’obstacles à lever ou à franchir, mais de possibilités de continuité dans la libre circulation des biens et des personnes.
Voilà pourquoi nous nous permettons de revenir sur cette étude, dans sa partie «désenclavement externe de la Casamance». En effet cette étude intitulée : «Pour une Sénégambie des Peuples, désenclavons la Casamance », comprend deux parties :
Le désenclavement interne de la Casamance ;
Le désenclavement externe de la Casamance.
Ce titre cache toute une ambition qui va au delà de la création de simples axes routiers au seul service du commerce, des industries et des produits. L’un n’excluant pas l’autre, il s’agit surtout de faire prendre conscience aux populations de la Gambie et du Sénégal, qu’elles n’ont jamais été séparées dans les faits. L’heure est venue de consolider les relations séculaires entre des peuples frères, par de nouveaux axes de circulation.
Nous souhaitons que, par cette étude, les frontières demeurent certes, mais que naisse un «Schengen »1 des Peuples.
La présente étude sera articulée sur trois points :
La voie de contournement
Les axes routiers à définir et à réaliser.
Les ponts à construire2
La nouvelle voie de contournement :
Dans le Pse, l’Etat parle de la création de nouvelles routes et pistes. Dans le cadre de ce Programme, nous suggérons la création d’une Nationale 1 bis qui va longer la frontière nord de la Gambie en suivant des pistes départementales bien identifiées et numérotées.
Cette route que nous appelons ici Nationale 1 Bis aura plusieurs tronçons.
Le premier tronçon partira de Kaffrine et, en suivant la Départementale 608 B, desservira tout le Mbel Bouk, le Katioth, le Pakala et le Mandak. Plus loin, après avoir longé la frontière gambienne, elle rejoindra la Départementale 607 venue de Koungheul au niveau de Maka Gouye, desservant ainsi le Bambouk.
Le deuxième tronçon, partant de la Départementale 607 va suivre la Départementale 520 jusqu’à Kahène pour descendre vers la frontière avant de rejoindre la Dépar­te­mentale 500 qui vient de Koumpentoum, via Thialeen Bamba. Ce tronçon va desservir le Niani où il ya beaucoup de villages dont Ndoungou Siin, (la capitale de l’ancien Royaume du Niani) via la Départementale 521.
Le troisième tronçon suit cette Départementale 500 jusqu’à Makacoulibantang, puis longeant toujours la frontière gambienne, par la Départementale 519, il va mener à Nétéboulou. Ce tronçon, par les Départementales 517, 522 et 516 va desservir le Wouli avec de grandes localités comme Koussanar, Ndoga Babacar et Sinthiou Maleem.
Le quatrième et dernier tronçon, de Nétéboulou va se prolonger par la Départementale 515 jusqu’à la Nationale 6, juste avant Gou­loumbou. Une fois sur la Nationale 6, la Casamance est ouverte au voyageur.
Les départementales, partant de la nationale 1, respectivement de Maleem Hodaar, de Koungheul, de Koumpentoum et de Koussanar devront aussi être bitumées jusqu’à leur jonction avec la nouvelle Nationale 1 Bis de contournement, pour faciliter la jonction entre les deux Nationales (1 et 1 Bis).
Cette Nationale 1 Bis aura l’intérêt de traverser des zones très peuplées, qui souffrent d’un sérieux enclavement pour rejoindre la Nationale 1. Ces zones sont bloquées au sud par la Gambie et éprouvent d’énormes difficultés à aller vers la Casamance. On trouve aussi dans cette zone des localités comme Ndoungoussine, l’ancienne capitale du Niani, Maka, Maka coulibantang, Bamba Thialène, Ndoga Babacar, Méréto, Samba Ngaye, Cayène et les villages des terres neuves gros producteurs de céréales et d’arachides.
Avec le contournement obligatoire pour 30 mois, lié aux travaux du pont, et qui a surpris tout le monde, il faut une variante.
Pour amoindrir le coût des travaux et réaliser une voie de contournement, dans un bref délai, il faut partir de Koumpentoum. De cette localité par la Départementale 500, on rejoint le tracé indiqué plus haut. Alors on n’est plus qu’à moins de 100 Km de la Nationale 6.
La naissance de cette nouvelle voie de contournement devrait s’accompagner de certaines mesures.
Subventionner le prix du carburant : En accord avec les syndicats des transporteurs, le ministère des Infrastructures, des transports terrestres et du désenclavement et le ministère de l’Economie et des finances, on étudiera cette question.
Renouveler le parc automobile au niveau des transports en commun : Ce périple long de 898 km (depuis Dakar) exige des véhicules en bon état. Il faut alors mettre fin à l’existence de tous ces vieux taxis et cars qui assurent le transport interurbain. Il faut organiser les chauffeurs en Gie capables de prendre à crédit des cars modernes, présentant un certain confort : sièges conformes, nombre de places respecté et climatisation pour rendre plus supportable le long voyage.
Il faut vraiment profiter de ces mesures pour moderniser le parc automobile des transports en commun. Il y va de la sécurité des voyageurs.
La définition de plusieurs axes de traversée de la Gambie :
Comment deux territoires aussi imbriqués que le Sénégal et la Gambie peuvent-ils se contenter de seulement trois points de passage sur un espace qui s’étend sur 330 kilomètres de long ? Il faut désormais officialiser les axes qui ont toujours permis les relations traditionnelles entre les peuples vivant de part et d’autre des frontières.
Dans le cadre de la multiplication des passages, il y a deux étapes : la création de nouveaux axes routiers, puis la construction de ponts.
Créer de nouveaux axes routiers :
Quand on regarde une carte du Sénégal au-delà de la Gambie, on remarque ceci :
Koungheul et Koumpentoum font face à Kolda
Koussanar fait face à Vélingara.
Kaffrine, par ses départementale 605 et 608 B, fait aussi face à Kolda.
Il faut donc des axes routiers pour relier ces localités du Nord et du Sud du Sénégal via la Gambie, par les différentes départementales qui existent déjà.
Pour le Nord, il s’agit des départementales qui partent de Kaffrine (Départementale 608 B), de Koungheul (Départementale 607), de Koumpentoum (Départementale 500) et de Koussanar (Dépar­tementale 517), que nous venons de voir plus haut.
Pour le Sud il s’agit des départementales qui partent de Vélingara à Bassé (Départementale 224), de Kolda par Médina Yoro Foula (Départementale 222) et de Kolda via Pata (Départementale 219). Ainsi de part et d’autre de la Gambie, il y aura des pistes qui vont aboutir aux frontières.
Axe Kaffrine- frontière-Maccathy (Georgetown) frontière- Pata- Kolda et vice versa ;
Axe Koungheul-frontière- Maccathy (Georgetown) – frontière – Pata- Kolda et vice versa ;
Axe Koumpentoum – frontière – Maccathy (Georgetown) – frontière – Médina Yoro Foula-Kolda et vice versa ;
Axe Koussanar – frontière – Bassé – Vélingara et vice versa.
Ces axes comprennent chacun quatre composantes : une route du point de départ à la frontière ; un relais jusqu’au bac de Georgetown ; le bac ; un relais jusqu’à la frontière ; puis une route jusqu’au terminus. Ces composantes concernent les deux sens du trafic.
Georgetown deviendra ainsi un important point de transit. Ce qui lui donnera une certaine importance économique. Au cas où les autorités gambiennes n’accepteraient pas que cette localité soit le principal point de transit pour des questions de sécurité3, le point de transit pourrait être déplacé légèrement vers l’ouest, en aval, au niveau du village natal du président Diawara4.
Ces points de traversée seront très utiles aux populations qui habitent le Nord des départements de Kaffrine, de Koungheul, de Koumpentoum et de Koussanar. Ces départements s’ouvrent largement au nord du pays, c’est-à-dire aux régions de Louga, de Saint-Louis et de Matam. Avec les programmes de création de routes et de pistes de production, les populations de ces régions pourront passer par ces axes pour se rendre au Sud. Plus besoin de remonter jusqu’à Kaolack ou jusqu’à Tambacounda pour aller vers le Sud.
De même les populations se trouvant au Sud n’auront plus besoin de passer par Tambacounda (Département de Vélingara) ou par Kolda (Département de Médina Yoro Foula) pour aller vers le Nord.
Cela va sans dire que ces axes qui aboutissent aux frontières sud et nord devront être bitumés pour attirer les transporteurs et les voyageurs. Dans le cadre du Pse la réalisation de ces axes routiers doit être parmi les priorités.
Le gouvernement sénégalais est libre de mener une politique de désenclavement dans son territoire. Et la Gambie ne fera que suivre, les lois économiques jouant.
L’importance du trafic sur la Transgambienne avait fini de convaincre les autorités gambiennes de bitumer le tronçon qui traverse leur territoire dans le prolongement de la Nationale 4. De la même manière, les opérateurs économiques gambiens verront là de nouvelles opportunités : opportunités de commerce et opportunités de transport. Ils finiront par convaincre leur gouvernement de rendre plus praticables les tronçons gambiens de ces axes. Et plus tard pourquoi pas les bitumer ?
Ces axes ne concerneront dans un premier temps que le transport passagers, vu l’envergure des bacs au niveau de Georgetown et de Bassé. A moins que la Gambie ne mette en place des bacs d’une certaine capacité de transport.
Des taxis sénégalais et gambiens desserviront à coup sûr les axes au niveau des tronçons de leurs territoires respectifs, de part et d’autres du fleuve.
Au niveau de Farafégny, le trafic sera plus fluide, car les axes de traversée seront multipliés tout au long du territoire Gambien.
De tels points de passage décongestionneraient de manière non négligeable la Transgambienne et le bac de Farafégny.
La Gambie ne sera plus ce « ténia » à l’intérieur du ventre du Sénégal qu’il fallait neutraliser par des vermifuges. Il ne s’agira plus de mener une politique d’ «endiguement» mais de continuité des relations et du trafic.
Mais de telles réalisations, à long terme, devraient être complétées par la construction d’autres ponts.
La construction de nouveaux ponts :
Il n’existe à l’heure actuelle que deux points officiels de traversée du fleuve Gambie : Koung vers Banjul et Farafégny vers Kolda et Ziguinchor. Les bacs de Georgetown et de Bassé ont une faible portée dans cette traversée.
Avec ces quatre axes routiers que nous venons de définir, il y aura six points de traversée.
Mais il faudra à terme aller plus loin. L’effectivité des quatre (04) axes routiers que nous avons définis plus haut devrait être complétée par la construction d’autres ponts.
Pour faciliter la traversée du territoire gambien et du fleuve Gambie à partir de ces six (06) points de traversée Nord et Sud, il faudra à plus ou moins long terme construire au moins deux ponts et d’autres plus tard.
Au niveau de Georgetown, ou légèrement en aval5, deux ponts, car à ce niveau la Gambie est formée de deux bras. Le pont enjambant le deuxième bras sera de faible envergure, vu la largeur de ce bras.
Un autre au niveau de Bassé. La possibilité d’en construire d’autres dans le futur sera à étudier.
Vu l’état actuel des technologies de construction et de réalisation d’ouvrages d’art, la réalisation de ces ponts sera aisée et à moindre coût par rapport à celui de Farafégny où le fleuve est plus large avec des berges très marécageuses.
Vu la largeur du fleuve et la nature des sols et du relief vers l’amont, ces ponts seront moins coûteux que celui de Farafégny. Ils seront moins longs et pourront bénéficier d’assises plus solides et à une profondeur plus réduite.
Au moment où, à travers le monde, on construit des ponts kilométriques qui enjambent des bras de mer, des lagunes, des deltas et des détroits, il n’est pas permis de voir un fleuve large à peine de 500 mètres, paralyser ou gêner le trafic entre deux Etas qui veulent bâtir un avenir commun. Il importe de réaliser ces ponts.
Nous avons illustré ce qui est dit par deux cartes qui se complètent d’Ouest en Est. La qualité n’est pas des meilleures, mais elles peuvent donner une idée du tracé des routes et de la localisation des différents axes.
Vivement que ces vœux pieux puissent trouver une oreille attentive au niveau des autorités gambiennes et sénégalaises, pour le seul bonheur de leurs peuples respectifs.
Maurice Ndéné WARORE
Géographe
Ancien Inspecteur d’Académie de Ziguinchor,
Commandeur de l’Ordre National du Lion
guirandokordiabou@gmail.com
1 Conventions signées en 1985, complétées en 1990, par cinq Etats de l’Union Européenne, Allemagne, Belgique, France, Luxembourg, pays-Bas, que rejoignent en 1991 l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Ces accords, entrés en vigueur en 1995 dans huit des dix pays signataires, instaurent à la fois une libre circulation des personnes à l’intérieur de l’espace Schengen et une politique commune à l’égard des tiers (visas, fichier informatisé commun).
2 Le lecteur voudra bien prendre le soin de se munir de la carte du Sénégal à l’échelle 500 000.
3 Au niveau de Georgetown se trouve une prison. Ce qui peut amener les autorités gambiennes à refuser un important trafic par cet axe.
4 Le bac qui assure la traversée au niveau de Georgetown se déplace souvent vers l’aval à un point moins sensible, mais difficile d’accès faute de route digne de ce nom. Nous disons cela en connaissance de cause. En effet nous avons emprunté cet axe à plusieurs reprises, à défaut de faire le contournement, à chaque fois que le bac de farafégny était en panne.
5 Au niveau de Maccarthy il faudra deux ponts car le fleuve forme deux bras à ce niveau. Donc il faut réaliser ce pont en aval ou en amont des deux bras du fleuve.