«Ce que je constate : ce sont les ravages actuels, c’est la disparition effrayante des espèces vivantes, qu’elles soient végétales ou animales, et le fait que du fait même de sa densité actuelle, l’espèce humaine vit sous une sorte de régime d’empoisonnement interne – si je puis dire – et je pense au présent et au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence. Ce n’est pas un monde que j’aime.» Claude Lévi-Strauss.
Tristes constats d’un vieillard centenaire, auteur du fameux Tristes tropiques, l’un des plus grands livres du 20ème siècle. La vieillesse cette fois-ci n’est pas un naufrage, c’est la lucidité à travers l’un des plus grands savants, anthropologue «structuraliste» Claude Lévi-Strauss, grand spécialiste de l’Homme, mort à cent ans en 2009. Malgré tout, le savant a professé «l’indifférence bouddhique» à la fin de ses jours, rien à voir avec l’insouciance, mais une sorte de spiritualité du regard lucide et réel. Le monde va mal, nous ne pouvons que le sentir. Il n’y a que des solutions de facilité parce qu’elles ne sont que politiques, elles cessent d’être culturelles.
Mais ils sont nombreux ces pauvres êtres qui passent leur chemin croyant aller plus loin laissant derrière eux des souvenirs honteux et innommables, mais ils n’ont avancé que pour reculer si l’on prend les choses par une autre échelle. C’est l’indifférence, l’insouciance et même la lâcheté parfois qui tentent d’expliquer cette politique de l’autruche sur la grand-route de la vie. Mais l’animal préfère s’enfoncer la tête dans le sable. L’autruche est un animal plein de pudeur. Les hommes auraient pu parfois suivre le chemin des animaux pour éviter de se transformer en bêtes sauvages et détruire la planète ; fidèles comme le chien, travailleurs et ingénieux comme le castor, courageux comme le lion, puissants comme le cheval, sages comme l’éléphant. Aujourd’hui, il y a des silences incompris, des notabilités de la science et de la morale qui se sont tus devant ce monde qui va on ne sait où. Ils restent cois face à la déliquescence des choses et des êtres qui peuplent cette terre qui va disparaître. Une académie des sciences morales de la prise de responsabilité verra peut-être jour et qui offrira des garanties pour ces réfugiés du bien qui ne demandent qu’à revenir.
Entre-temps, l’espace public aura été infesté par l’incurie, les injures, les invectives et le chaos généralisé. Il faudra réinventer un autre espace public par les mouvements de frontières qui caractérisent aujourd’hui les sociétés humaines. Tout est possible aujourd’hui. Mais ceux qui pensent qu’ils peuvent passer leur chemin dans l’indifférence totale, avec la complicité de la pénombre jusqu’à la nuit qui ne tarde pas à faire paraître la vérité des étoiles, se fourrent le doigt dans l’œil. Ainsi, ils ne verront pas leur perte venir. Lorsque la lune de 15 jours fera refléter sa lumière en attendant le soleil qui va darder ses rayons, beaucoup d’indifférents, d’inconscients et d’insouciants au devenir du règne commun sur terre vont perpétrer leur crime contre l’équilibre du monde.
Pour vivre, faut-il tout simplement passer son chemin ? Qui n’a pas un jour fermé les yeux sur une horreur quelconque, une injustice notoire, une femme battue, un enfant maltraité par sa mère, un homme écrasé par son patron ? Tout se justifie aujourd’hui, même l’imbécilité contemporaine, le droit d’être bête, la tentation du pire, la revendication des objets volés… ils sont nombreux les hommes, les femmes qui passent leur chemin, jusqu’aux hommes politiques et décideurs qui s’en vont après avoir craché sous le tapis. Ils nous cachent certaines choses pour bien paraître devant nous. L’indifférence politique est la pire des choses, c’est la maladie infantile des politiciens, même ceux parmi eux qui sont les plus actifs. Plus de politique chez les politiciens, plus de culture chez les acteurs culturels, plus de science et moins de calculs fermés chez les scientifiques, plus de repères chez les géographes, plus de gnose et de métaphysique chez les religieux nous empêcheront d’aller tranquillement sur notre chemin en sifflotant l’air de l’indifférence. L’avenir est peut-être Le livre des haltes du grand sachant, l’émir Abdel Kader. Sur le chemin de la vie avant d’accéder aux choses importantes, il y a toujours une halte à faire, une pause essentielle où certaines règles morales devront être respectées. C’est cela le développement, l’évolution qui n’a rien à voir avec l’indifférence des cœurs de pierres qui s’en vont, pensant trouver leur chemin. Mais ce sera peine perdue.