Revenons sur les faits. Pape Alé Niang, journaliste d’investigation connu pour son courage et sa recherche permanente de la vérité, a été arrêté le dimanche 6 novembre 2022, en pleine journée, chez un garagiste qui réparait sa voiture, par des policiers du Commissariat central de Dakar. Dans un Etat démocratique, respectueux de la dignité humaine, il aurait reçu une convocation de la police, à laquelle il aurait déféré sans tarder. Après interrogatoire, il serait placé en garde à vue ou rentrerait tranquillement chez lui. Malheureusement, le Sénégal est devenu un Etat où les journalistes, activistes et opposants politiques sont traités comme des brigands et des terroristes et arrêtés manu militari à leur domicile, dans la rue, à la descente d’un avion et conduits dans un poste de police ou une Brigade de gendarmerie, dès lors qu’un procureur en donne l’ordre. Interpellé dans ces conditions absolument scandaleuses, Pape Alé Niang a été inculpé et placé sous mandat de dépôt le 9 novembre 2022 par le juge d’instruction du deuxième cabinet du Tribunal de grande instance de Dakar, pour divulgation d’informations de nature à nuire à la Défense nationale, recel de documents administratifs et militaires, diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques. En réalité, selon Pape Alé Niang et ses avocats, toutes ces charges sont fondées sur deux documents, un document de la police et un autre des sapeurs-pompiers qui avaient fuité et dont il avait pris connaissance, au même titre que beaucoup de Sénégalais, dans les réseaux sociaux. Il n’a jamais été interrogé sur le rapport interne de la gendarmerie qu’il est supposé détenir et qui mettrait en cause un procureur et des responsables de la Gendarmerie nationale. Son emprisonnement a été condamné de façon unanime par les organisations nationales, régionales et internationales de défense des droits humains et de la liberté de la presse. Après treize jours de grève de la faim, et une hospitalisation dans une clinique de Dakar, il obtient le 14 décembre 2022, une liberté provisoire assortie d’un contrôle judiciaire. Les conditions de sa mise en liberté provisoire sont, selon ses avocats : la remise de son passeport aux autorités dans les sept jours suivant sa libération, l’interdiction de quitter le territoire national et l’interdiction de parler du fond de l’affaire pour laquelle il est poursuivi.

Après sa sortie de prison le 14 décembre, Pape Alé Niang n’a fait de déclaration publique que lors du live d’un activiste sénégalais installé au Canada. Malgré les questions insistantes de son interlocuteur, Pape Alé Niang s’est refusé de parler du fond de l’affaire, par attitude républicaine et par respect de la parole donnée à ses avocats, avait-il dit. Il a cependant dénoncé, à juste raison, les conditions humiliantes de son arrestation. La justice n’a pas pour but d’humilier, de porter atteinte à la dignité des personnes. Son but, dans un Etat démocratique, c’est, au-delà de la peine, de permettre aux personnes en conflit avec la loi de s’amender et de préparer leur réinsertion dans la société.

Il lui serait également reproché des propos tenus dans une publication sur le réseau social Facebook, et qui viseraient le Directeur général de la Police nationale, quelques jours avant sa nouvelle arrestation, et qui se seraient avérés faux. Le régime et ses soutiens utilisent à fond cette publication pour dénigrer le journaliste et l’accuser de tous les péchés du monde. Qu’ils se rappellent bien l’affaire des moteurs de l’avion présidentiel sous le régime du Président Abdoulaye Wade. Un célèbre journaliste d’investigation de l’époque, devenu politicien et pilier du régime du Président Macky Sall, avait accusé le régime de Abdoulaye Wade d’avoir vendu ces moteurs, dans un ouvrage paru en 2003.
Une information qui s’est avérée fausse. Un brillant officier de l’Armée, en charge de ce dossier à l’époque, dira dans une interview aux médias en 2014, que ces moteurs étaient, onze ans après les faits, dans un hangar de l’aéroport de Yoff. Pape Alé Niang, tout comme l’ancien journaliste d’investigation devenu politicien, ne sont pas nuls, ils ne sont pas de mauvais journalistes, bien au contraire. Dans leur quête de l’information, ils peuvent se tromper parfois, comme on se trompe dans tous les métiers. Ils peuvent aussi être victimes de manipulation par leurs sources, pour des raisons inavouées. Le régime de Abdoulaye Wade n’avait pas envoyé ce journaliste en prison, malgré les appels pressants de gens qui, pour la plupart, sont aujourd’hui avec lui, aux côtés du Président Macky Sall. Un livre-démenti avait suffi. Pourquoi devrait-on alors accepter que Pape Alé Niang soit envoyé en prison ?

Pape Alé Niang est victime d’un acharnement judiciaire. Les poursuites dont il fait l’objet n’ont qu’un seul but, faire taire un journaliste considéré comme hostile au pouvoir en place. La vie de Pape Alé Niang est aujourd’hui en danger. Il a repris, malgré lui, la grève de la faim. Sa famille et tous ceux qui le connaissent sont inquiets. Que le monde entier en soit averti. La responsabilité du régime du Président Macky Sall sera engagée si le pire arrivait. Au-delà de la libération de Pape Alé Niang, c’est le combat pour la liberté de la presse et la liberté d’expression qui est engagé. Il doit être gagné. Toutes les lois qui sont utilisées de façon abusive par l’Etat pour réprimer la liberté de la presse, la liberté d’expression et la liberté d’opinion, qui sont des libertés essentielles dans une démocratie, doivent être abrogées ou réformées. Des lois imprécises et fourre-tout comme celles relatives au Secret Défense, à l’ordre public, etc., doivent être revues comme l’ont maintes fois demandé aux Etats membres, des experts de l’Onu et de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Les peines privatives de liberté sont disproportionnées pour les délits portant atteinte à l’honorabilité des personnes, elles doivent être supprimées comme demandé par la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples dans l’arrêt Issa Lohé Konaté vs Burkina Faso du 5 décembre 2014. Les politiciens peuvent décider de faire fi des engagements régionaux et internationaux du pays, pour leurs intérêts partisans ; mais aucun juge n’a le droit de les ignorer au vu de la prééminence que leur donne la Constitution sur les lois nationales.
Seydi GASSAMA
Directeur Amnesty International Sénégal