Les anciens du Rassemblement national démocratique (Rnd) seront à Thieytou demain pour commémorer le 34ème anniversaire de la disparition de Cheikh Anta Diop le 7 février 1986. Pape Demba Sy revient sur l’œuvre de l’égyptologue et anthropologue. Le leader du parti Udf/Mboloo-mi et enseignant à la Faculté de droit de l’Ucad estime que l’Afrique gagnerait à s’approprier les idées de Cheikh Anta Diop pour s’extirper des griffes du sous-développement.

Vous irez à Thieytou ce samedi pour vous recueil­lir sur la tombe de Cheikh Anta Diop dans le cadre de la commémoration du 34ème anniversaire de sa disparition. Quel est le cap pour cette année ?
La commémoration de la disparition du Pr Cheikh Anta Diop est initiée depuis 1987, soit un an après son décès le 7 février 1986. Le voyage commémoratif de cette année entre dans ce cadre. L’objectif est toujours le même : rappeler aux Sénégalais que le Pr Cheikh Anta Diop repose à Thieytou, mais a joué un rôle important dans la prise de conscience des Noirs en Afrique. Son objectif, et il l’a dit, c’était de restaurer la conscience historique des Africains. En France, il s’est rendu compte que lorsqu’on étudiait l’histoire de l’Afrique, on s’arrêtait seulement à une certaine époque. Il a balayé toutes ces théories en démontrant que les premiers hommes dans le monde viennent de l’Afrique, que la première civilisation du monde est égyptienne et qu’elle était noire. Il a montré que les Grecs se sont abreuvés à la source égyptienne. Cheikh Anta Diop s’est battu contre les falsificateurs de l’histoire qui disaient que les Noirs n’avaient pas d’histoire. A un moment donné, personne n’osait contredire les savants occidentaux. Cheikh Anta l’a fait. Dans Nations nègres et culture, il a remis en cause toutes les croyances que les savants occidentaux avaient distillées en Afrique.

34 ans après sa disparition, l’Afrique fait face à de nombreux défis. Est-ce que les Africains se sont servis des travaux de Cheikh Anta Diop ?
Il faut rétablir les choses à leur juste contexte. Cheikh Anta a aussi mené un combat politique. Lorsqu’il est revenu, il a d’abord publié un ouvrage, Les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique noire. Il disait que les petits pays africains ne pouvaient pas se développer individuellement. De petits Etats qui seront instables et qui pourront être balayés par n’importe quel vent venant de l’extérieur. C’est pourquoi il se battait pour un regroupement des différents Etats et la création d’un Etat fédéral africain. Et l’histoire lui donne raison. On a des défis économiques, sanitaires, éducatifs, sécuritaires… Les Etats africains ne peuvent pas faire face au terrorisme. On a l’exemple du Burkina Faso, du Mali, du Niger où de petits groupes déstabilisent des Etats. Si on avait une Armée fédérale, elle pourrait se battre contre les terroristes et toute incursion étrangère. L’Afrique ne s’en sort pas parce qu’elle est désunie, faible économiquement, politiquement et militairement. Je me félicite de voir des Africains commencer à véhiculer cette idée panafricaniste de Cheikh Anta Diop. Il y a un an, on a créé un grand comité qui regroupe tous les panafricains qui veulent aller vers un congrès qui va être le prélude à la création des Etats Unis d’Afri­­que. C’est au niveau des Etats que les choses ne bougent pas.

Qu’est-ce qui les empêche de se réunir ?
Cheikh Anta Diop est plus valorisé à l’extérieur qu’ici. A Atlanta, il y a une avenue Cheikh Anta Diop. Les ouvrages de Cheikh Anta sont dans les écoles et les universités. En 2016, lors du 30ème anniversaire de la disparition de Cheikh Anta, le président de la Répu­bli­que avait promis d’introduire son œuvre dans l’enseignement. Jusqu’à présent, on ne voit rien. Je ne saurais vous dire où se situe le blocage. Si l’Afrique est unie, la domination étrangère va reculer voire disparaître. Ces puissances extérieures ne le souhaitent pas. Donc, ils ont besoin d’un certain nombre de pions. Thomas Sankara, Nkrumah, Kadhafi avaient des idées panafricanistes, mais on a tous vu leur sort.

Le Sénégal est-il reconnaissant envers Cheikh Anta Diop ?
Si on prend le Sénégal dans son ensemble, on peut dire que les populations sont reconnaissantes envers Cheikh Anta Diop. De plus en plus, les jeunes s’engagent et épousent les idées de Cheikh Anta. Il y a des jeunes qui ont créé le mouvement Carbone 14, il y a des clubs, des écoles privées Cheikh Anta Diop. Au niveau politique, tout le monde reconnaît l’œuvre de Cheikh Anta. Il y a une avenue, une université, l’Ifan, un mausolée baptisés Cheikh Anta Diop. Ces sont des efforts importants, mais insuffisants à nos yeux. La première chose à faire, c’est de refaire la route qui mène à Thieytou. Entre Bambey et Thieytou, c’est une piste en latérite. Le président de la République avait promis de faire la route de Thieytou, mais on attend toujours.

Est-ce que la pensée de Cheikh Anta Diop est toujours actuelle ?
Il avait créé le Rassem­ble­ment national démocratique (Rnd) dans le lequel étaient prévus les «Diaistes», partisans de Mamadou Dia, un certain nombre de partis comme la Ld. C’était ça l’esprit de rassembler le maximum de patriotes pour créer une grande force qui peut créer les changements dont nous avons besoin. Nous, Udf/Mboloo mi, sommes toujours dans cette direction de rassembler tous les partisans de Cheikh Anta Diop afin de créer cette grande force. Du point de vue organisationnel, les héritiers de Cheikh Anta Diop n’ont pas maintenu l’unité. Mais les idées que Cheikh Anta Diop a développées sont de plus en plus actuelles. Tout ce débat sur l’environnement, Cheikh Anta l’a posé dans les années 1950 avec le reboisement dans «Alerte sous les tropiques». Il a fait une conférence à Dakar pour le dire. Tous les vieux disaient que rien ne va dans la tête de Cheikh Anta. Il a toujours demandé que l’énergie renouvelable soit utilisée, des énergies propres capables d’impulser un développement durable. Faire un développement tout en conservant la nature et la faune. Donc ses idées sont actuelles. Lorsque le pouvoir parle de mixte énergétique, cela vient de Cheikh Anta qui en a parlé dans les «Fondements». Sur la culture, il a toujours dit qu’on ne peut pas se développer avec une langue étrangère. Et il a raison. Sur la question de l’unité africaine, aujourd’hui tous les Africains se sont rendu compte qu’ils ne peuvent aller nulle part sans l’unité. Sur le plan sécuritaire, Cheikh Anta disait que la sécurité précède le développement. On ne peut pas développer un pays dans l’insécurité générale. Cette idée a été reprise au niveau des Nations unies. Tout le monde reconnaît que les pays africains ne peuvent pas se développer dans l’insécurité. Notre objectif est de faire partager à tout le monde la pensée de Cheikh Anta Diop. Nous appelons les jeunes à s’approprier les idées de Cheikh Anta. Le libéralisme a atteint ses limites et risque de conduire à la destruction du monde.

Est-ce que l’Eco est un début de réalisation de la pensée économique de Cheikh Anta Diop sur le plan monétaire ?
Pas du tout. Cheikh Anta était depuis longtemps partisan d’une monnaie à l’échelle africaine. C’est pourquoi je le pose comme ça. Dans l’Union africaine, il y a même une idée allant dans le sens d’une création d’une monnaie appelée Afro. L’Eco est d’abord une idée de la Cedeao qui a décidé en 1999 d’aller vers une monnaie commune. D’ailleurs, c’est en ce moment que la Mauritanie a quitté. Actuelle­ment, elle veut revenir. Ces derniers temps, il y a eu l’annonce de Ouattara et de Macron créant une confusion. L’Eco, c’est l’appellation que la Cedeao avait déjà retenue pour sa monnaie. C’est un premier pas parce que le nom Cfa d’origine coloniale a été changé. C’est largement insuffisant pour aller vers une unité monétaire.

Pourquoi on ne vous a pas entendu dans le débat entre Boubacar Boris Diop et Souleymane Bachir Diagne sur l’œuvre de Cheikh Anta Diop ?
C’est un débat à la marge. Il est posé la question des langues nationales. Il y a beaucoup d’éléments que Souleymane Bachir Diagne a intégrés pour essayer de minimiser la pensée de Cheikh Anta. Lorsqu’il dit que c’était facile de traduire la relativité universelle de Einstein en wolof, c’est son point de vue. Mais il faut lui demander d’essayer. De là, on se rendra compte que Cheikh Anta a fait des efforts pour traduire et est allé très loin dans cette recherche des mots scientifiques. Je ne partage pas le point de vue de Bachir Diagne. Je dis que c’est un débat à la marge parce que le problème technique est réglé, pas seulement au Sénégal, mais dans d’autres pays. Ce qui intéressait Cheikh Anta, c’est de dire que tant qu’on n’aura pas développé nos langues nationales, on ne pourra pas développer l’Afrique. Pour les modalités, les techniciens vont y travailler. Boris et Bachir sont deux amis philosophes et qui posent un débat de philosophes.