C’est une icône de la musique engagée et d’une sono globale. Le chanteur globe-trotteur Manu Chao fait paraître Viva tu, son premier album original depuis dix-sept ans. On a écouté ce patchwork de langues (espagnol, français, anglais, portugais) et de sons. Puis, on est allés voir son concert en banlieue parisienne afin de comprendre un peu mieux où en est le sexagénaire à l’énergie débordante.
Depuis maintenant une quinzaine d’années, il était comme son «desaparecido», un voyageur repris par la route qui faisait des concerts et postait des chansons sur Internet pour donner de ses nouvelles. Manu Chao, 63 ans, a vogué ces derniers temps au gré des courants, participant notamment au succès de la chanteuse trinidadienne Calypso Rose, montant un projet «Ti.Po.tA» avec une actrice grecque, Klelia Renesi, ou rééditant l’album Clandestino pour ses 20 ans. Sans qu’on le sache toujours, il aura aidé en sous-main des groupes et soutenu un tas de causes partout dans le monde. N’ayant pas donné d’interview depuis 2015 et un entretien pour le journal L’Humanité, l’ex-leader de la Mano Negra communique surtout en direct sur les réseaux sociaux (Twitter, Instagram, TikTok). Il ne doit pas sortir de sa réserve médiatique pour la sortie de Viva Tu. Dans les couloirs de sa maison de disque, Because, cela faisait des années qu’on parlait d’un nouvel album sans qu’il ne voie jamais le jour. Le chanteur, qui reste l’un des artistes français les plus écoutés à l’étranger, continue de travailler comme un alternatif tout en étant sous la bannière de l’un des plus gros labels de l’Hexagone.
Le son de «Manu» et une patte acoustique
Sur Viva tu, Manu Chao s’est éloigné d’un précédent disque rock, La Radiolina (2007), et du live qui a suivi, Baionarena (2009), pour des humeurs acoustiques. A chaque fois, on retrouve le son de Manu : ses enregistrements de rue, son électronique discrète et un grand mélange qui brasse la rumba, le reggae ou la chanson réaliste. Qui d’autre peut passer avec la même grâce d’un duo avec la rappeuse Leti à un autre avec l’icône de la country Willie Nelson ? La chanson titre en espagnol célèbre simplement un bon voisinage et l’amour de la vie. Ceux qui voudraient le voir politique en auront pour leurs frais, car il faut plutôt chercher l’engagement entre les lignes. «Je connais l’enfer sur la terre / Je connais la fille du marchand / Je connais les yeux du néant / Et je sais que la guerre reviendra… la guerre», glisse-t-il dans La Couleur du temps. Il y a chez Manu Chao, cette capacité à faire de phrases simples et de quelques accords de guitare, des hymnes. Comme dans les creux de River Why ou Tantas tierras, dans lequel se dessine un chanteur dépassé par les misères du monde, les angoisses existentielles rejoignent le sort de la planète. «J’ai beaucoup voyagé dans ma vie, mais je ne suis jamais allé dans un endroit où les gens m’ont dit : «Manu, tout va bien ici !» Partout où tu vas, il y a des problèmes de justice, de corruption, d’inégalités. Je suis peut-être un peu égoïste, mais quand je suis heureux, je n’ai pas envie de m’exprimer. Quand je vois de mauvaises choses, ça me met mal. Ma thérapie est d’écrire des chansons», devait-il raconter au Miami Herald en 2011.
Des concerts très fraternels
Quelques jours avant la sortie de son disque, Manu Chao jouait au Kilowatt, à Vitry-sur-Seine. Sous un chapiteau où il s’est produit onze fois depuis deux ans et demi. Il était en trio acoustique avec le guitariste argentin Lucky Salvadori et le percussionniste espagnol Miguel Rumbao. Rejoint par un trompettiste et un tromboniste, il a tout juste effleuré son nouvel album. Avec sa guitare classique, il a surtout proposé un mix des chansons que tout le monde attend de lui : Mala Vida, Clandestino, La vida es una tombola, Welcome to Tijuana, Me gustas tu…
Dans le public, on trouve toutes les générations.
Beaucoup reviennent le voir. Ils sont heureux de retrouver une sorte de cousin éloigné ou d’ami de la famille, qui vient jouer sa musique 2h 30 ou 3 heures durant.
Un chanteur très généreux qui chauffe la foule avec des «A la liberté !», «On est vivants !», des «Lolo-lolo-lololololololo», et lance des «Vous êtes fous, Vitry !» sur les rappels. Alors qu’il pourrait remplir n’importe quelle salle à Paris, c’est dans cette ancienne friche Edf à l’écart de la ville qu’il revient régulièrement, faisant confiance à une petite association qui organise des concerts de punk-rock (Los Locos). Dans le même esprit, le lutin bondissant aura été vu cet été à Varaire, un village du Lot, à Talasani, en Corse, à O Grobe, au Nord-ouest de l’Espagne, ou à Cirella, dans l’Italie du Sud. Tous ceux qui l’ont croisé en témoignent.
Manu Chao est un type chaleureux, qui vient volontiers boire des coups avec ceux qui restent au bar en fin de soirée. Invité du soir, le rappeur Oli, moitié de Big Flo & Oli, le connaît et échange parfois avec lui. Il voit dans son aîné «un mec libre» et un «symbole» pour toute l’Amérique latine et le monde hispanophone. «Je l’ai découvert avec mon père, ce sont les premiers souvenirs d’enfance.
C’est une légende. Les Jamaïcains avaient Bob Marley, nous, les Latinos, on a Manu», résume le chanteur d’origine argentine.
Rfi Musique