Première édition de la Journée des martyrs : Sonko entretient la mémoire politique de Pastef


La Journée des martyrs est un puissant moment de refondation symbolique pour Pastef. Elle signale l’intention du nouveau pouvoir d’inscrire sa légitimité dans le sacrifice de ses partisans, tout en utilisant la mémoire comme un outil pour accélérer les réformes institutionnelles et mettre fin à ce qu’il perçoit comme des injustices passées. Le défi pour Sonko et Cie sera de transformer cette mémoire partisane en une mémoire nationale inclusive, qui garantisse la justice pour tous et renforce la stabilité politique à long terme.
La Journée des martyrs et victimes, commémorée ce dimanche 7 décembre 2025 par le parti Pastef-Les Patriotes, va bien au-delà d’un simple hommage. Elle constitue un événement «fondateur» pour le régime en place, offrant une plateforme pour consolider la mémoire de la lutte politique et affirmer la volonté de réforme. Pour Pastef, cette journée est essentielle pour établir un récit historique officiel de la période 2021-2025. Alors que ces événements (manifestations, arrestations) étaient vécus sous l’ancien régime comme des troubles à l’ordre public, ils sont aujourd’hui élevés au rang de «combat pour la liberté et la souveraineté». Les victimes sont transformées en «martyrs de la démocratie». Ce processus vise à légitimer rétrospectivement la désobéissance civile et les mouvements de protestation qui ont conduit à l’alternance.
En organisant cette journée, le parti au pouvoir honore la dette morale contractée envers sa base militante et les familles des victimes. Cela permet de renforcer le lien de loyauté et de sacrifice entre le pouvoir et ses partisans, une ressource politique inestimable dans la consolidation du nouveau régime. La présence de leaders comme Ousmane Sonko à un événement si solennel souligne que la commémoration est une affaire d’Etat, même si elle est pilotée par le parti.
Le Premier ministre, Ousmane Sonko, a utilisé la plateforme pour réclamer le limogeage de magistrats accusés de «complot», et appelé à une réforme structurelle de la Justice. Cette rhétorique place l’autorité judiciaire sous examen direct. Le message est clair : l’assistance financière n’est qu’une étape ; la priorité politique est d’établir la vérité et de rendre justice pour les pertes humaines.
La loi d’amnistie, qui a permis la libération de nombreux détenus, a également soulevé des questions sur la non-poursuite des auteurs des violences (policiers ou autres agents de l’Etat). La Journée des martyrs rappelle que l’amnistie, vue comme une mesure de décrispation, ne peut pas effacer l’exigence de justice pour les victimes. Le gouvernement se trouve ainsi face au défi de réformer la Justice sans tomber dans une justice de transition revancharde, tout en satisfaisant les attentes de sa base.
L’enveloppe des 5 milliards : un instrument de solidarité et de controverse
L’utilisation de l’enveloppe de 5 milliards de F Cfa pour l’assistance est au cœur des débats soulevés par la Journée des martyrs. L’allocation de ces fonds, gérée par le ministère de la Famille, est avant tout une réponse d’urgence humanitaire et sociale. Elle permet de débloquer rapidement des fonds (10 millions pour les familles de défunts, 500 000 F Cfa pour les ex-détenus) sans attendre l’issue de procédures judiciaires qui pourraient durer des années. L’objectif est de témoigner de la solidarité de la Nation et de l’Etat.
La controverse de la base légale
Cependant, l’opération est critiquée pour son manque de base légale judiciaire. En la qualifiant d’«assistance» plutôt que d’«indemnisation», le gouvernement contourne la nécessité d’une décision de Justice. Toutefois, cela soulève des inquiétudes quant à l’équité et la portée partisane potentielle de l’aide. Maïmouna Dièye, qui a dû s’expliquer, et parfois prise à partie par des supposées victimes, a appelé elle-même à l’élargissement de l’assistance aux victimes n’ayant pas de liens directs avec le mouvement militant.
Reprenant le message central de la Journée des martyrs, Maïmouna Dièye a rappelé que l’argent ne saurait suffire à apaiser la douleur des familles si justice n’est pas rendue. Elle a appuyé l’appel du Premier ministre pour une réforme profonde du système judiciaire. Pour elle, l’utilisation des 5 milliards n’est qu’un pansement financier ; la véritable guérison passe par l’établissement de la vérité et la garantie que de telles violences ne se reproduiront plus, grâce à des institutions judiciaires fortes et impartiales.
L’intervention de Maïmouna Dièye met ainsi en lumière le dilemme du gouvernement : concilier l’urgence de l’assistance (via les 5 milliards) avec l’exigence de justice et de vérité, qui est au cœur du nouveau contrat social réclamé par les victimes.
Plus de 1900 ex-détenus (libérés à la faveur de la loi d’amnistie) ont déjà reçu une allocation forfaitaire de 500 000 F Cfa chacun, visant à faciliter leur réinsertion. L’assistance inclut également un accompagnement socio-économique, avec un accès facilité au financement via des dispositifs comme la Délégation générale à l’entrepreneuriat rapide des femmes et des jeunes (Der).
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