Par leurs suffrages, les Sénégalais élisent leurs représentants légitimes et légaux. Mais cette élection laisse voir une immixtion inacceptable et assumée de certaines puissances étrangères dans nos affaires intérieures. Si les découvertes en hydrocarbures aiguisent les appétits certes, il ne saurait y avoir la moindre tolérance vis-à-vis de manœuvres extérieures visant la déstabilisation du Sénégal ou une quelconque influence décisive sur le processus électoral en cours.
Il y a eu courant 2023, des manœuvres françaises à Dakar relayées par le journal Le Monde, qui avaient pour actrice principale une conseillère de l’Elysée et des agents du Bd Mortier. Depuis quelques semaines, il y a les prises de position quasi quotidiennes d’une porte-parole de l’Union européenne qui, de Bruxelles, émet des avis et donne des injonctions à nos autorités et à toute la classe politique. Dans la même veine, le Département d’Etat américain et les chancelleries occidentales s’immiscent trop dans les affaires intérieures sénégalaises et mélangent confusions, rodomontades, postures et attitudes douteuses.
Lors des crises de juin 2023 et de février 2024, le traitement par la presse, notamment française, de l’actualité sénégalaise relevait davantage de la manipulation voire de l’incompétence des reporters que de l’objectivité journalistique. Je passerai rapidement sur les saillies de Mélenchon qui vient prendre la parole dans une manifestation de Sénégalais en France pour sortir des énormités sur notre pays et ses dirigeants, et caresser ses nouveaux amis islamo-fachos sénégalais.
Quel est le but de ces agitations qui peignent une situation catastrophiste à l’inverse de ce qui se passe réellement sur le terrain ? J’avais fait remarquer à un journaliste du «quotidien de référence» que quand la presse évoquait un pays à feu et à sang, elle était dans le fantasme et non dans les faits. La manifestation du 4 février en l’occurrence, était circonscrite à un rayon de 2 km2 sur les 200 000 que compte le Sénégal.
Quand la presse internationale parlait d’un coup d’Etat inéluctable au Sénégal, elle était dans la prédiction sombre et non dans les faits. Quand la presse donne encore la parole à un personnage comme Alioune Tine et le présente en personnalité neutre, elle verse dans la désinformation. Un tour rapide sur son bureau -qui tient dans un compte sur Twitter- renseigne sur son affiliation politique.
Il faudrait que les élites sénégalaises de quelque bord que ce soit arrêtent de s’émouvoir dès lors qu’un article de presse français parle du Sénégal, qui leur soit favorable ou défavorable. Il ne s’agit que d’un journal parmi des centaines de journaux et d’un pays parmi deux cents autres. Rappelons en outre que cet article n’aura aucune résonance en France et ne touchera que ces mêmes élites sénégalaises qui en assurent le service après-vente. Il faut sortir de cette dépendance affective qui fait qu’on est plus touché par un article paru à Paris que par un autre sorti dans un média au Mali, pourtant pays voisin.
Malgré la peinture grossière d’un pays en feu, il ne faut jamais, après s’être désolé des violences aux conséquences parfois dramatiques à ne pas occulter ni minimiser, cesser de rappeler les faits. Le chef de l’Etat a abrogé le décret convoquant le corps électoral. L’Assemblée nationale a voté une loi reportant la Présidentielle. Les deux actes ont été jugés inconstitutionnels par des juges nommés par l’Exécutif, qui décide par surcroit de se soumettre à la décision de justice. Depuis, nous sommes dans une bataille de procédures, certes usante, dont les rebondissements potentiels sont inquiétants pour l’intégrité du pays et ouvrent un chapitre d’incertitudes. Mais dans ce qui précède, où est la dictature que des commentateurs légers invoquent ? Où est le coup d’Etat que d’autres imprudents et excessifs peignent quand le Président martèle sa volonté de ne pas rester une minute de plus au-delà de son mandat. Il y a des accusations dont le caractère ridicule n’honore guère leurs auteurs.
Les femmes sénégalaises ont voté bien avant les femmes françaises. Nous avions des Collin et des Peytavin au gouvernement bien avant les Ndiaye et les Belkacem en France. Quand le Sénégal comptait le Marquis d’Arboussier dans son gouvernement, les Etats-Unis appliquaient encore les lois racistes et ségrégationnistes dites Jim Crow. Notre Administration est capable d’organiser un scrutin en un mois – par exemple, le référendum de 2016. Notre pays, en matière électorale, n’a guère de leçons à recevoir de qui que ce soit. Un pays qui bientôt risque de compter plus de quotidiens que de lecteurs n’a pas de leçons à recevoir de l’Ue, ni de la France ni des Etats-Unis, en matière de liberté d’opinion.
Le Sénégal n’offre pas un «soutien inconditionnel» à un Etat qui bombarde de manière indistincte 2, 2 millions de personnes après les avoir enfermés dans une bande de terre de 360 km2 depuis 17 ans. Contrairement aux Etats-Unis, le Sénégal n’a pas encore vu des hordes fascistes envahir le Parlement pour pendre les députés au prétexte que l’élection présidentielle serait truquée. Chez nous, on ne gratifie pas d’une cagnotte un policier coupable d’homicide sur un jeune arabe. Nous avons certes nos insuffisances, et l’impasse actuelle dans laquelle nous sommes pour l’élection est indéniable, mais il serait opportun de nous laisser régler nos différends entre Sénégalais. Notre pays regorge de talents et de génie pour affronter les grands défis de notre temps. Pour rappel, ce pays a été forgé par un poète, donc doté d’une mystique qui nous préservera, je l’espère, de l’abîme.
Les attitudes vindicatives de nos partenaires traditionnels occidentaux sont inacceptables. Sur l’Ukraine, nous n’avons pas vocation à nous aligner. La décision de Dakar de prôner la paix face aux discours guerriers a été la bonne, et la situation actuelle conforte ce choix stratégique. Depuis Senghor, notre diplomatie poursuit un horizon universaliste dans une stratégie de non-alignement sans jamais renoncer aux principes du dialogue entre les peuples, de la recherche de la paix et du progrès social. Le Sénégal, de manière indéniable, est le pays africain le plus respecté sur la scène internationale.
Sur les questions sociétales, il faut avoir la finesse de reconnaître que le Sénégal est le fruit d’une histoire. Il a été façonné par des cultures endogènes et par la foi. Le jeu démocratique de la campagne électorale qui s’exerce dans un temps de ramadan pour les musulmans et de carême pour les chrétiens dit beaucoup du caractère spécial de notre grand pays. Ce pays est imbibé de Dieu mais assume son Adn laïc et républicain.
Hélas, il faut reconnaître que l’ingérence étrangère n’est possible que par l’attitude irresponsable de notre classe politique qui, ce n’est pas nouveau, aime patienter dans les salles d’attente des diplomates occidentaux et salir son pays auprès des ambassadeurs européens et américains. Il suffit de jeter un coup d’œil sur le carnet de rendez-vous de Aminata Touré, qu’elle partage avec un ridicule ostentatoire sur les réseaux sociaux, pour désespérer définitivement du personnel politique. N’ayant pu rassembler 44 000 parrains pour soutenir sa candidature, elle s’est muée en poseuse à côté des diplomates étrangers pour tenter en vain de prouver un poids politique proche du néant et en être réduite à «superviser» la campagne de ceux qu’elle dépeignait à raison, il y a quelques petits mois, d’ennemis de la démocratie et de la République. Gouverner ou avoir gouverné devrait obliger à se fixer des limites de décence, d’honneur et de responsabilité. Ce sont ensuite les mêmes gens qui rivalisent d’ardeur dans la prononciation de discours patriotiques, souverainistes et panafricanistes. J’ai une fois déjeuné avec un ambassadeur français à Dakar qui m’avouait sa gêne de devenir le mur des lamentations des politiciens sénégalais. J’étais dans mes petits souliers…
A-t-on déjà vu l’opposition française aller se plaindre auprès des ambassades japonaise, marocaine ou chilienne ? A-t-on déjà vu l’opposition allemande venir huer son chancelier lors d’une visite d’Etat dans un pays tiers ? Malgré la féroce répression des gilets jaunes et des manifestants contre la réforme des retraites en France, ces derniers sont-ils partis se plaindre de Emmanuel Macron auprès des l’ambassadeur du Portugal, du Sénégal ou de la Russie ?
Enfin, pourquoi le personnel politique ne va jamais se plaindre auprès des ambassadeurs africains ? Ces gens comme ceux qui jubilent pour un tweet de l’ambassade des Etats-Unis montrent à suffisance leur complexe du Blanc, auréolés de leur mentalité de colonisé. Faudrait-il leur rappeler -certains se disent de gauche- que le temps du gouverneur Messmer est révolu.
Il y a un substrat raciste au sein des élites occidentales qui ne conçoivent les péripéties électorales en Afrique que sous le joug d’une dictature totalitaire qui manipule, emprisonne et tue. Ils sont appuyés dans cette logique par des politiciens, membres de la Société civile et intellectuels qui, s’agrippant à un patriotisme de pacotille, ont choisi la négation du Sénégal par une entreprise constante de salir notre pays à l’étranger. Ils vivent de la rente de l’indignité et du déshonneur.
Post-scriptum. Le fascisme ne peut s’exprimer que par la violence verbale, premier pas avant la violence physique. Le fascisme ne peut se soumettre à la dispute civilisée en politique, car il n’est ni démocrate ni républicain. Même amnistiées, ces hordes fascistes ne renonceront pas à la violence. C’est leur «projet», car ils n’ont ni la profondeur historique, ni la culture politique, encore moins la compétence technique pour soutenir un débat argumenté. C’est pour cette raison et pour d’autres que je m’oppose à tout ce qui intègre les militants du parti heureusement dissous dans le jeu démocratique. Ils se sont soustraits de la République ; celle-ci se devrait de les combattre jusqu’à leur extinction du champ politique. Pour eux et leurs soutiens : ni oubli ni pardon.