Après la publication de son premier recueil poétique, «La poésie en cavale», Aliou Seck plaide pour l’enseignement d’une poésie moderne en lieu et place de celle classique. Il dit ne pas se reconnaître dans une vision imposée de la poésie et essaie de prendre ses distances pour trouver sa propre voix. Cet auteur propose en ce sens que l’on familiarise les élèves avec l’enseignement du slam.

«Boy, sais-tu que danga mol (Ndlr : tu sais que tu es canon, de ton corps kardashianiste.» Ces expressions, dans la poésie classique, seraient «mal vues ou malvenues. Ce sont des termes qui pourraient être censurés» Pourtant, leur auteur, le docteur en Lettres Aliou Seck, en les utilisant dans son recueil La poésie en cavale, dit essayer d’ouvrir ainsi la poésie au grand public et intéresser la jeunesse à ce qu’il fait. «Mon public en réalité, c’est les jeunes. Tous les jeunes regardent la télévision, tout le monde connaît la famille Kardashian. Et puis quand je dis, boy sais-tu que danga mol, c’est un peu le langage des jeunes», explique M. Seck. «Je pars de leur expérience, un peu de ce qu’ils vivent ou ce qu’ils disent. Et j’essaie en quelque sorte d’intégrer cela dans ma poésie. C’est une question de marketing», se défend cet auteur, né dans un petit village situé à Diass, notamment Mbayard et qui est professeur au lycée Galandou Diouf. Sa rencontre avec la poésie, explique-t-il, date de ses années de lycée. C’est donc vers 1998 qu’il a commencé à écrire petit à petit des poèmes. A l’Université aussi, il griffonnait quelques textes. «J’ai écrit des poèmes et des chansons avec de petits groupes de rap. Et c’est quand je suis devenu véritablement professeur que je suis rentré en plein dans l’écriture poétique», se vante l’enseignant vacataire en Lettres modernes à l’Ucad. La poésie en cavale (Intermittences poétiques) est son premier recueil de poèmes. Et il y prône une autre vision de la poésie. Une vision différente de celle traditionnelle.

Un poète en cavale
«Je me considère comme un poète en cavale, parce que je ne suis pas pour l’enseignement traditionnel de la poésie. Et avec certains collègues, je me suis dit pourquoi ne pas relever un peu ma façon de voir et d’enseigner la poésie. Finalement, ils m’ont rejoint dans cette idée-là», mentionne cet auteur qui reconnaît être «un peu dans l’illégalité» par rapport la pratique de ce genre littéraire. «Les gens voudraient que nous enseignions la poésie tel que ça a été enseigné depuis longtemps. Que nous enseignions les classiques, les Victor Hugo, Molière, Senghor et autres. Moi, je me suis dit pourquoi ne pas maintenant consigner les poètes modernes, donc familiariser nos élèves avec la poésie telle qu’elle se conçoit actuellement et pourquoi pas leur parler de slam», argumente encore M .Seck.
En réalité, bien qu’il ne soit pas forcément slameur, ses amis slameurs qu’il fréquente ont une influence sur ses textes, car une partie de son recueil est créée pour faire du slam. «Je suis le seul qui pense qu’on doit parler de slam à nos élèves et même enseigner ce genre poétique qu’est le slam aux élèves des lycées», affirme celui dont le recueil a été inspiré par une œuvre du slameur français Hocine Ben qui a été publié dans l’Anthropologie, coordonnée par Stéphane Martinez, en France. «C’est un texte qui m’a beaucoup marqué. Et un texte dans lequel Hocine Ben montre qu’une autre vision de la poésie pouvait exister et coexister peut-être avec celle ancienne», fait-il savoir. Une poésie qui, selon lui, ne serait pas forcément «savante ou élitiste, mais une poésie qui est légère, accessible au Peuple, aux gens qui n’ont pas un niveau d’instruction assez élevé».

Des textes sans ponctuation
La poésie en cavale est composé d’une trentaine de textes avec des thèmes qui touchent à la société. «Par exemple, il y a un poème intitulé Insatiable qui parle un peu du désœuvrement des jeunes. Il y a des textes politiques, d’autres qui touchent un peu à l’éducation, à l’émigration, à la déception des jeunes une fois partie en Europe, la perversion aussi de nos sœurs. Celles-là qui, une fois en Europe, font autre chose que travailler légalement», renseigne M. Seck. Dans son recueil, il traite également des problèmes que rencontrent les gens dans la société, le problème des identités, du terrorisme, la paix dans le monde et des thèmes en rapport avec l’amour, les sentiments en général. Ces thèmes, dit-il, lui permettent de bien communiquer avec ses lecteurs et de les sensibiliser sur bien de choses. En somme, il y partage sa vision du monde. «C’est pourquoi j’ai essayé de brasser le maximum possible de thèmes», martèle-t-il. Dans la première partie du recueil, il évoque surtout sa vie sentimentale. «Mais le ‘’je’’ que j’emploie n’est pas forcément celui autobiographique, c’est un ‘’je’’ mêlé à l’aspect fictif», précise le natif de Mbayard. Dans la deuxième partie, c’est son parcours personnel en tant qu’élève, puis étudiant et professeur qui est relaté. Tandis que la troisième partie est une compilation de ses rencontres avec le Collectif des slameurs du Sénégal et d’autres slameurs qu’il a découverts au niveau national. Dans la 4e et dernière partie, il traite de faits divers et de l’actualité.
Il faut noter que ce qui particularise sa poésie, c’est qu’il n’y a pas de ponctuation dans les textes pour, explique-t-il, «ne pas gêner la déclamation». C’est une poésie écrite comme à l’oral. «Il y a quelque chose de contraignant dans la ponctuation quand on doit déclamer un texte. Elle imposerait son rythme, son intonation, alors que je veux la totale autonomie du lecteur», se défend-il.
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