Paru aux Editions Masque en octobre dernier, Fouta Street, le dernier roman de Laurence Gavron, est un polar de 296 pages qui s’intéresse, comme son nom l’indique, à la communauté peulh de New York. L’écrivaine franco-sénégalaise y raconte l’histoire d’une jeune fille mariée de force à un cousin plus âgé qu’elle et qui rejoint son mari à New York. Lors de la présentation de ce roman le vendredi dernier, l’auteure s’est penchée sur l’histoire de Fouta Street qui boucle une trilogie romanesque qui a commencé avec Boy Dakar et qui s’est poursuivie avec Hivernage.
Pourquoi Fouta Street ?
J’ai écrit plusieurs romans et Fouta Street est le 3e volet d’une trilogie avec un policier qui s’appelle Jule Souleymane Faye. Il y a eu Boy Dakar, Hivernage et Fouta Street est le troisième. J’avais envie depuis longtemps de parler d’autre chose. Si je parlais de Dakar, j’avais l’impression de me répéter, parce que Boy Dakar, parlait déjà de Dakar. Hivernage se passait aussi entre Louga et Dakar. J’avais envie depuis longtemps que mon personnage principal, Jules Faye, parte à New York où habitent sa maman et ses frères et sœurs. Qu’il aille les voir et qu’il soit rattrapé là-bas par une enquête policière, un évènement qui touche la communauté new-yorkaise. C’était pour moi une façon de parler des Sénégalais et particulièrement des Halpulaars de New York. Et parallèlement, comme j’ai fait une exposition photo sur les Peulhs il y a quelques années, j’étais allée dans le Ferlo, le Djolof, passer du temps dans le Fouta, que je connais. Je me suis dit, je vais essayer de lier ces deux régions et faire une histoire.
D’où vous est venu le titre du roman ?
Avant d’avoir le roman, j’avais déjà le titre. Il y a en effet à Brooklyn, une très grande rue qui s’appelle Fulton Street, qui a été envahie par les Halpulaars depuis les années 80 et les gens ont commencé à l’appeler Fouta Street. Je n’ai pas inventé ce terme. Une amie, Khady Sakho, m’a parlé de cela il y a des années. Avant d’écrire le roman j’avais déjà le titre.
Pourriez-vous revenir sur la trame de cette histoire ?
C’est l’histoire d’une jeune fille, Takko Deh, qui est mariée à Yoro Sow, son cousin plus âgé qu’elle, qui vit à New York. Takko elle, vit dans un hameau du Djolof qui s’appelle Louguéré Tiolli. C’est un mariage arrangé par sa famille. Et après le mariage, elle va rejoindre son mari à New York. Et évidemment, c’est tout nouveau pour elle. C’est loin de la savane du Djolof où elle était. Elle ne sait même pas lire et écrire. Elle n’a pas été à l’école. Il lui arrive des aventures. Elle quitte le domicile conjugal et son mari est retrouvé assassiné. Le commissaire Jules Faye, qui était en vacances à New York, va se mettre à enquêter sur ce meurtre. L’histoire se passe entre Brooklyn où il y a beaucoup de Peulhs et Harlem où il y a beaucoup de Sénégalais, mais aussi au Ferlo et au Djolof.
Qu’est-ce qui vous a poussée à choisir le genre polar ?
Quand j’étais jeune, j’aimais beaucoup les romans policiers. J’ai écrit un premier livre en 1999-2000 Marabout de Ficelle, qui était au début un scénario et un ami qui était écrivain et éditeur m’a dit, change-le en livre, je le publie. Je n’avais jamais pensé à faire des livres de fiction. Et je me suis mise à écrire des livres. Comme je rêvais d’écrire un polar qui se passe à Dakar (Boy Dakar) et que ça a bien marché, les gens ont apprécié, j’ai continué. J’aime le genre policier, parce que c’est à la fois quelque chose de distrayant, avec le suspense, on a envie de savoir ce qui se passe, c’est assez facile. Et en même temps, ça me permet de parler d’un pays, des gens, faire de la sociologie. Le polar est un prétexte, en réalité.
Vous avez séjourné chez les Peulhs du Ferlo, Djolof et un peu au Fouta. Comment avez-vous trouvé les Foutankés ?
J’ai beaucoup aimé ! D’abord, j’avais envie de parler, parce que c’est assez peu connu, la façon de vivre surtout de ces Peulhs nomades. J’ai beaucoup aimé, alors que c’est tellement loin de la ville, de moi, de ma vie, de tout ce qu’on connait. Evidemment, il y a une part d’exotisme. C’est autre chose ! C’est différent ! C’est intéressant ! Parfois, je les ai trouvés conservateurs, les femmes sont excisées (j’en parle dans le livre), je ne suis pas pour, je suis contre. En même temps, je trouve qu’il y a une espèce de simplicité dans leurs vies. Ces gens sont heureux dans leurs traditions, leurs valeurs, j’ai passé du temps avec eux. Et j’ai beaucoup aimé.
Qu’est-ce qui vous a tant fascinée chez les Peulhs pour que vous vous décidiez à écrire un livre sur eux ?
Quand je suis installée au Sénégal, j’ai rencontré beaucoup de Halpulaars et ça m’a fait penser à mes grands-parents qui étaient des juifs d’Europe centrale venus en France. J’ai trouvé chez ces Peulhs le même esprit de pouvoir s’adapter, de s’intégrer, de réussir, tout en gardant la culture : la langue, la cuisine, la musique, les valeurs, l’histoire. Et on disait que les Peulhs sont les juifs d’Afrique parce qu’ils sont errants. C’est ce qui m’a touchée.
Il y a des traditions tenaces chez ces Peulhs. Comme le mariage forcé dont votre personnage principal Takko Deh est elle-même victime. Que pensez-vous de ces pratiques qui persistent ? Quel message porte ce livre ?
Je trouve que ces pratiques ne sont pas bonnes. Je n’aime pas le mot message mais c’est évident que c’est l’histoire d’une jeune fille, qui est mariée très jeune, mais qui n’accepte pas. Cette petite fille qui n’a l’air de rien, une fois dans la grande ville, à New York, va sans grande théorie, sans grand discours, se rebeller contre son sort. Parce qu’elle rencontre un autre homme. Quelqu’un d’autre, qu’elle va choisir. C’est d’ailleurs une double transgression qu’elle fait. Non seulement elle quitte son mari, mais elle part avec un gawlo (Pathé Bambado Seck). C’est une façon de montrer que cette jeune fille se modernise et va contre ses traditions. S’il y a un message, le message est là. Sans grand discours contre les mariages arrangés, on comprend bien cette jeune fille. Son mari n’est pas méchant, il est gentil, mais elle s’en va parce qu’elle ne l’aime pas. Elle rencontre ce ménestrel dans la rue et tombe amoureuse de lui. C’est l’amour qui mène au mariage. Le message est un message d’espoir en réalité. Il dit, partout où on va, on trouve le bonheur. Mais ce qui est bien ce n’est pas de se laisser aller.
Le livre parle aussi de l’émigration des Peulhs, la forte présence de cette communauté à New York et qui a même une rue dédiée, Fulton Street ?
Je suis partie il y a quelques années à New York. J’ai fait là-bas deux mois pour enquêter. J’ai beaucoup vu. D’une part les gens de l’association des Sénégalais d’Amérique qui sont à Harlem. Et puis à Brooklyn il y a une association Pulaar Speaking, assez puissante. Donc, ce livre parle beaucoup de l’émigration, du travail de cette association avec les malades, les émigrés, les gens nouveaux. Ils accompagnent les nouveaux venus, les gens qui arrivent et qui ne parlent pas la langue, qui doivent trouver du boulot, apprendre la langue, s’occuper de leur santé. D’ailleurs, le mari de Takko, Yoro Sow, travaille dans le service social de Brooklyn. J’essaye de décrire tout cela dans le livre, la façon dont ils gardent leurs traditions. Comment vivent les Sénégalais à Harlem et à Brooklyn.
Ce livre s’inspire donc en quelque sorte de la réalité ?
L’histoire elle-même, non. Mais j’ai voulu que les descriptions de ces milieux sénégalais ou peulhs soient réelles.
Quelle est la suite ?
J’ai toujours voulu faire la trilogie. C’est fait, je vais terminer mon film. Ensuite, je vais me mettre à écrire quelque chose de plus personnel. Une sorte d’autobiographie, sinon je ferai de nouvelles aventures de mon commissaire Souleymane Faye (c’est un hommage à Souleymane Faye le chanteur) peut-être à Saint-Louis ou dans le Saloum. Pour l’instant, je vais me reposer.