Présidence de l’Union africaine : Macky Sall, le Mali et la cour intérieure

Le Président sénégalais, Macky Sall, est passé par l’atelier de couture de l’Union africaine pour se faire coudre un nouveau costume : celui de nouveau président en exercice de l’Union africaine. C’est surtout cet habit qui l’a fait briller au dernier sommet Union européenne-Union africaine à Bruxelles, non sans un détour par un autre mini-sommet à Paris autour du Président français sur la crise malienne. Et pourtant même sans ce costume africain, celui de chef d’Etat du Sénégal lui suffit amplement pour être de tout débat sur le Mali, tellement les deux pays ont une longue, riche et dense histoire en partage. L’histoire, la géographie, la culture, la gastronomie, l’agriculture, etc. sont autant d’éléments qui rapprochent les deux pays. «Il est indéniable que la crise malienne impacte négativement notre économie puisque pour l’essentiel, près de 60% des importations maliennes passent par le port de Dakar. Donc vous voyez le trafic qu’il y avait ? Par jour, on avait plus de 1000 à 1500 camions. Donc, si ces trafics s’arrêtent, cela a évidemment une incidence. Justement, nous, nous l’avons dit, nous sommes solidaires des décisions de la Cedeao, mais nous sommes solidaires également des souffrances du Peuple malien», laissait-il entendre en économiste en chef de son pays, dans une interview accordée aux confrères de la radio allemande Deutche Welle, à l’issue du sommet Ue-Ua.
Entre le Mali et le Sénégal, l’on évoquera toujours l’éphémère mais inédite Fédération du Mali. La douleur de cette séparation fracassante de la nuit du 19 au 20 août 1960 se dissipe au fil des ans, de part et d’autre, mais cette belle expérience, même courte, reste l’argument principal et le plus couramment cité pour rappeler la proximité des deux pays.
Lors de la même interview susmentionnée, le chef de l’Etat sénégalais a laissé entendre une phrase qui n’est pas des plus courantes de la bouche d’un chef de l’Etat mais on a beau être un Président, on reste un humain, un concitoyen et un parent de quelqu’un : «le Mali, ce qui s’y passe me fait mal, ça me fait mal.» Sénégalais et Maliens sont frères et l’intégration de leurs économies réciproques est mise à mal par les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa prises le 9 janvier dernier sous forme d’embargo.
«Cela nous fait de la peine, mais je crois qu’il y a des derniers signaux qui sont à noter avec les autorités. J’ai bon espoir que dans les prochains mois, le dialogue sera repris et que nous pourrons sortir de ce problème», a-t-il poursuivi dans son entretien avec le confrère allemand.
Il est indéniable que le succès de la Présidence sénégalaise de l’Union africaine s’abreuvera dans les eaux douces du Djoliba avec la crise malienne, du Fouta Djallon avec le dossier guinéen et de la Volta chez nos voisins burkinabè. Ces foyers de tension dans la proximité ouest-africaine, en dépit de liens de subsidiarité entre la Cedeao et l’Union africaine, devraient empêcher le locataire du Palais de l’Avenue Roume de Dakar de trop regarder loin, même s’il sera là pour tous les Africains. La cour intérieure du Sénégal brûle de plusieurs feux, le pompier Macky doit avoir beaucoup d’eau en réserve pour éteindre les braises.
Au-delà des divergences politiques et idéologiques, de paradigmes de coopération multilatérale, l’intégration africaine tant recherchée se frotte aujourd’hui aux réalités endogènes des pays membres et de leurs régions respectives, du Mali à l’Ethiopie, du Burkina au Mozambique. S’agissant de la situation au sein de la Cedeao, cette organisation sera encore plus forte lorsque le Mali et le Sénégal donneront l’exemple d’une coopération bilatérale forte et avantageuse. Le même Macky Sall, alors Premier ministre, a effectué une visite de travail en avril 2005 au Mali. Il avait alors visité l’Office du Niger où le Mali avait octroyé à son voisin occidental, 25 000 hectares pour exploitation. En septembre de la même année, c’était au tour du Président Abdoulaye Wade d’effectuer une visite d’Etat au Mali, au cours de laquelle il assistait à Sikasso au défilé de célébration du 45ème anniversaire de l’indépendance. Sikasso l’a gratifié d’une rue à son nom et à son tour il a promis et réalisé des infrastructures pour les enfants, sur le modèle de la «case des tout-petits», proposé dans son projet de société à l’époque aux Sénégalais.
A son retour à Dakar, le Président Abdoulaye Wade avait longuement entretenu les corps constitués au salon d’honneur de l’aéroport de Dakar sur le succès de sa visite au Mali et la nécessité de réveiller le rêve de l’union africaine et de la Fédération du Mali. Cela sera réitéré quelques années après lorsque le Président malien, Att, recevait le prix Kéba Mbaye à Dakar.
Ces activités diplomatiques interétatiques au plan bilatéral ne sont plus vues entre les pays africains et surtout ouest-africains alors qu’on a beaucoup à se donner et à partager. L’intégration ne saurait dispenser nos responsables politiques d’aller à la découverte des profondeurs des pays voisins et frères. Un Président sénégalais doit découvrir Kankan en Guinée plutôt que de se limiter à Conakry dix ou quinze fois. Il doit en être de même pour un Président malien d’aller à Tambacounda ou Kaolack pour voir les réalités des populations sœurs. De simples programmes d’intégration économique au sein d’organisations encore à l’épreuve des barrières linguistiques et douanières, ne sauront suffire à effacer les besoins élémentaires de coopération et de bon voisinage entre le Mali et le Sénégal ou entre le Sénégal et la Mauritanie et bien d’autres.
L’embargo décrié par le Mali, les sociétés civiles africaines dont celle du Sénégal, ne saurait effacer nos frontières, changer les réalités culturelles et humaines des populations riveraines. Celles de Kidira et de Diboli ou de Kita et de Kéniéba et Sareya ne connaissent pas de frontières même si elles en côtoient les attributs au quotidien. Elles se sentent sœurs utérines et sont solidaires dans la souffrance, une souffrance qu’elles n’ont pas choisie parce que n’en comprenant pas les tenants et les aboutissants. On peut en dire autant des milliers d’anciens étudiants maliens et sénégalais qui se sont côtoyés dans les travées des facultés de l’université Cheick Anta Diop et dont la plupart d’entre eux travaillent aujourd’hui pour leurs pays respectifs ou les organisations communautaires.
Il est donc attendu du Président sénégalais de donner le ton d’une nouvelle diplomatie africaine, plus réaliste et plus pragmatique, moins mécanique et rigide, plus décodable et moins diffuse. Les crises dans la sous-région ouest africaine ne doivent pas être seulement une opportunité d’application de règles communautaires livresques et encore peu comprises des populations, mais une opportunité d’ajustement des règles sur les réalités endogènes des pays membres, en tirant des crises plus de leçons du maître pédagogue que de gloire de père fouettard.
Cela sera mieux compris du Président Macky par les peuples africains frères malien et sénégalais.
Alassane SOULEYMANE
Journaliste