Présidentielle 2024 : le droit n’est-il pas suffisant ?

La date fatidique de février 2024 s’approche «dangereusement». Les Sénégalais sont inquiets parce qu’elle est pleine d’incertitudes. Que va-t-il se passer ? Qui sera candidat ? Qui ne le sera pas ? Y aura-t-il remous ? Autant de questions que l’on se pose, à l’heure actuelle, sans aucune réponse en perspective.
Aujourd’hui, la seule personne qui détient la clef de l’énigme reste le président de la République.
Monsieur le Président, je ne formulerai pas des critiques à votre endroit – vous avez quand même à votre compte bien des réalisations ; ne soyons pas nihiliste – car je ne veux point être perçu comme un besacier, selon le mot de Jean de la Fontaine : «Dieu nous créa besacier, la poche de devant pour les défauts d’autrui, et celle de derrière pour nos propres défauts.»
Cependant, Monsieur le Président, je souhaiterais que vous soyez, compte tenu du grand espoir que vous avez suscité lors de votre élection en 2012, le premier Président du Sénégal à réaliser ce que le philosophe Alain Finkielkraut préconisait pour la France : «Un pays dont les plus hautes valeurs éthiques ou spirituelles sont proposées à l’adhésion consciente de ses membres.» Pour ce faire, Monsieur le Président, vous devez faire preuve de supplément d’âme pour paraphraser Bergson, en démontrant à tout le monde, même les plus sceptiques, que vous aimez le Sénégal plus que quiconque, comme en atteste le titre de votre ouvrage : Le Sénégal au cœur.
Mais que signifie aimer le Sénégal ?
Aimer le Sénégal veut dire, avant tout, toujours œuvrer pour que règne la paix, quelles que soient les circonstances, car comme nous l’enseigne Hervé Carrier, «c’est dans l’intériorisation de la paix que résident le véritable humanisme, la véritable civilisation». Je vous connais humain, hautement humain, car vos proches disent à qui veut l’entendre que «vous pardonnez beaucoup». Aussi quand on est épris de paix, on ne peut pas penser un seul instant à brûler son pays. Non, Monsieur le Président, vous ne le ferez pas ! Vous n’êtes pas de cet abri.
Donc Monsieur le Président, restez grand ! Les biens, les honneurs de ce bas monde n’en valent pas la peine. En son temps, créez la surprise…
Aimer les Sénégal, c’est, Monsieur le Président, ne pas s’accrocher vaille que vaille au pouvoir. Procéder ainsi serait tout simplement ignorer ce qu’est le pouvoir. «Du nguur rek». Oui le pouvoir, cela signifie la responsabilité envers tous ceux qui vous ont confié ce pouvoir et faire de son mieux pour eux. C’est une grande responsabilité. Je pense que quelqu’un qui est intelligent doit alors admettre que s’il n’a plus la légitimité ou n’est plus à la hauteur de la tâche doit se dire «je ne suis pas assez bon» et se retirer dignement. Ce n’est rien d’occuper le pouvoir. Il s’agit de le mériter.
Malheureusement, ce n’est pas ce que le pouvoir signifie pour beaucoup de ceux qui le détiennent ou aspirent à l’exercer. Pour eux, le pouvoir signifie privilège – sinécure et non sacerdoce. Mais si vous partez du principe que le pouvoir signifie responsabilité, alors le pouvoir pourrait vous attirer beaucoup moins. Vous ne vous y accrocherez pas. C’est à cela que j’invite tous ceux qui exercent un pouvoir. Seuls les gens qui manquent de maturité pensent qu’ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent dans la vie.
Aimer le Sénégal, c’est éviter à tout prix de le mettre à feu et à sang. A ce titre, il faut absolument dissoudre toute forme de milice constituée de «gros bras», de «nervis», avec des prérogatives qui surpassent même parfois celles des forces républicaines de défense et de sécurité – police et gendarmerie, notamment, voire l’armée – Il faut laisser à celles-ci la mission régalienne qui est la leur, d’assurer la sécurité des personnes et des biens avec toute la mesure qui sied. Autrement, si le camp d’en face procède de la même manière en recrutant lui aussi ses «forces», cela peut constituer un précédent dangereux dans la mesure où l’affrontement pourrait être fatal.
Aimer le Sénégal, c’est, Monsieur le Président, restaurer l’indépendance de la Magistrature qui a été bafouée. Restaurer ? Que dis-je ! Etablir, oui, car en réalité, elle n’a jamais été indépendante. Jamais dans l’histoire récente on aura vu un pouvoir installer sans gêne, à tous les postes de responsabilités, autant de magistrats dévoués à sa cause. Parmi eux, on compte même des juges ayant atteint l’âge de la retraite.
Quant à l’action publique, c’est-à-dire la faculté d’engager des poursuites judiciaires, elle a été régulièrement détournée de sa vocation pour servir d’arme dans le combat politique – cas dit-on de Khalifa Sall et de Karim Wade, notamment – Bref, la justice est aujourd’hui «colonisée», elle est vraiment sous ordre. Elle ne retrouvera son indispensable prestige qu’en recouvrant son indépendance. Les magistrats eux-mêmes le savent mieux que quiconque. La démission fracassante du juge Dème, en est une illustration parfaite. La justice ne mérite ce nom que lorsqu’elle est égale pour tous.
Et nos juges dans tout ça ? Surtout ceux du Conseil constitutionnel. Pour les échéances à venir, surtout la Présidentielle de 2024, il faudra qu’ils prennent leur courage à deux mains et dire sans ambages le droit, sinon nos textes n’auront pas servi à grand-chose. C’est cela qui signifie le choix de mon titre. Est-ce que le Président est éligible ou ne l’est pas ? C’est à eux de se prononcer clairement pour 2024.
L’actuelle Constitution, en son article 27 stipule, ceci : «Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.» Est-ce une formulation on ne peut plus claire ? Son caractère dissuasif est-il sujet à des interprétations et nuances ? Ça, c’est affaire de juges constitutionnalistes. On vous écoute.
Dans son ouvrage intitulé Le pouvoir et la vie, sous-titré «l’affrontement», Valery Giscard D’Estaing, élu très jeune président de la République française, s’exprime ainsi : «L’expérience humaine que j’ai vécue au pouvoir, celle d’un Président qui arrive à la Magistrature suprême très jeune, ayant à se hausser à la dimension de ses grands prédécesseurs, et vivant avec ses impulsions, ses croyances, ses faiblesses, ses désirs… C’est ce jeune âge qui m’a fait ressentir avec une intensité aussi violente l’aspect vécu de ma fonction : le poids réel du pouvoir. Je le rendrai intact.»
Le Président Macky Sall aurait pu être l’auteur de ces lignes.
«Sunu reewmi daal, buko kene tall»
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’enseignement élémentaire à la retraite
Ancien formateur en Législation et Déontologie
Crfpe /Thies 77 554 10 64