A quel moment perdons-nous le sens des réalités, quand on a la foi et qu’on s’embarque sans se poser des questions dans une aventure aux lendemains plus qu’incertains ?

La cérémonie d’investiture du Président de la République (putatif) Ousmane Sonko, Pros pour les intimes, a quelque chose à la fois de pathétique et inquiétant. Une trentaine d’adultes, le plus sérieusement du monde, s’agrippent encore au rêve de candidature d’un monsieur actuellement en prison, détenu pour huit chefs d’accusation gravissimes, alors que son parti est dissous, nonobstant sa condamnation par contumace à deux ans ferme pour corruption de la jeunesse.

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Le premier os est que l’investiture en question intervient alors que le dossier de candidature, si on peut l’appeler comme ça, est déposé au Conseil constitutionnel : le paquet est tellement solide que le mandataire, Maître Ciré Clédor Ly, un avocat chevronné, redoutable procédurier, fait un malaise au moment d’aller assister au décompte des parrainages. Il aurait pu faire le déplacement même en fauteuil roulant, puisque la cérémonie n’aurait pas duré cinq minutes : en lieu et place de plus de cinquante mille signatures d’électeurs, ou de treize députés, il aura juste le procès-verbal d’huissier qui constate que la Direction générale des élections, la tristement célèbre Dge, s’est barricadée en apprenant qu’un certain Ayib Daffé, député, cherchait à retirer les fiches de parrainage d’un monsieur qui n’est plus sur les listes électorales…

Même scénario à la Caisse des dépôts et consignations devant laquelle des policiers harnachés et à la mine patibulaire attendaient les mandataires de Monsieur Ousmane Sonko, inconnu au bataillon des électeurs…

Il n’empêche, ce sera le premier à déposer son dossier de candidature. Dieu seul sait ce qu’il contient…

On rembobine ?
Alors que l’on sort d’une Présidentielle dont les résultats laissent pantois, remportée au premier tour par le candidat Macky Sall, la scène politique se recompose bizarrement. Son challenger, l’inusable Idrissa Seck, assis inconfortablement sur 20% de l’électorat, choisit de… transhumer. La posture de chef de l’opposition ne lui semble pas raisonnable, expliquera-t-il, le Sénégal étant au bord du gouffre, il choisit de faire don de sa personne pour se joindre au camp présidentiel pour conjurer les démons qui nous guettent. Ce sacrifice suprême lui rapporte le maroquin moelleux du Conseil économique, social et environnemental, Cese, jusque-là occupé par Madame Aminata Touré, dite «Mimi», laquelle se sent instantanément une âme d’opposante.

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Sort alors du bois un drôle de coco que personne ne voit venir jusque-là.
Un inspecteur des Impôts viré de la Fonction publique, que les Sénégalais vengent en l’envoyant à l’Assemblée nationale comme député en 2017 avec pas loin d’1% des voix. Il y casse la baraque dès son arrivée : les députés ne paieraient pas leurs impôts, dénonce-t-il d’entrée… Ça fait un de ces chahuts ! Pensez donc, un expert fiscal qui vous parle de fraude : qui oserait en douter ? Les sessions budgétaires avec le député Ousmane Sonko cessent d’être des promenades de santé gouvernementales. Il est quarantenaire et pas un cheveu blanc : les jeunes tiennent leur porte-drapeau… Son salaire de député ? Tiens, il l’offre à des groupements féminins qui en ont plus besoin que lui ; son sang, aussi, régulièrement, il va le déposer à la banque du sang, comme un épargnant consciencieux qui rêve de participer au financement patriotique de la santé publique en faisant don de sa personne. Pendant les vacances, au lieu de se prélasser dans quelques capitales mondiales au nom prestigieux, lui préfère sillonner le monde rural sous un soleil de plomb et encourager les braves paysans à retourner inlassablement la terre.

Il en fait tant et si bien qu’une lame de fond, que personne ne voit venir, lors de la Présidentielle de 2019, le porte à 15% des voix.

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Dans l’histoire de notre jeune République, ils ne sont que sept à réaliser au moins un pareil score : Léopold Sédar Senghor, Abdoulaye Wade, Abdou Diouf, Moustapha Niasse, Macky Sall, Idrissa Seck et… Ousmane Sonko.

Dès lors, le doute n’est plus permis, le cinquième président de la République, c’est bien lui. Il promet de venger les va-nu-pieds, les sans-culottes, les aigris, les laissés-pour-compte, les marginaux, les chômeurs, les frustrés, les mauvais coucheurs. Tous les présidents qui l’ont précédé, proclame-t-il, devraient passer devant un peloton d’exécution pour crime contre leur Patrie et haute trahison.
Idrissa Seck, à côté de lui, commence à faire un peu tiède comme opposant… Le boulevard qui mène au Palais lui est ouvert. Il prend déjà des airs de l’impétrant : garde du corps, chauffeur, chef de protocole, porte-parole. Contrairement aux présidents précédents, il affiche deux épouses au compteur.

Enfin, un homme, un vrai, au Palais !
Et puis, un beau jour, en plein Covid, début 2021, ô stupeur, alors qu’on se demande si le Palais ne pourrait pas abriter quatre femmes au lieu de deux, s’il ne faut pas envisager une petite mosquée à l’angle, tournée résolument vers l’Est, une masseuse inconnue sort du néant pour déposer une plainte contre le Pros.

Il l’aurait violée à de multiples reprises.
Bien entendu, c’est impensable ! Les témoignages se succèdent sur les plateaux de télé, les ondes des radios et les réseaux sociaux : le Pros est incapable de bassesse, jurent les oustaz, tandis que les chroniqueurs affranchis, les initiés des salons chics et les petits malins débusquent un complot d’Etat.

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Du beau monde serait derrière cette sulfureuse invention cousue de fil blanc… Du président de la République au petit soldat qui arbore outrageusement un galon de Général, ils y ont tous trempé : des petits juges, des agents secrets, des politiciens de seconde zone qui ont compris que le Pros mettrait un terme à leur bamboula et qu’ils finiraient en prison, ont juré de l’abattre.

En première ligne, Adji Sarr, la masseuse effarouchée qui s’exhibe sur les réseaux sociaux avec ses «cheveux naturels» de dernier cri et s’acoquine avec Maître El Hadj Diouf, un avocat fantasque… Franchement, Macky Sall et son gang manquent d’imagination et de génie. S’ils croient que c’est avec ça qu’ils vont éliminer le Pros pour décrocher un troisième mandat, ils se fourrent le doigt dans l’œil bien profond !

Quant au Pros, il n’en a cure : il multiplie les déclarations fracassantes sur le sujet, égratignant au passage quelques seconds couteaux du genre Mame Mbaye Niang, qui aura l’outrecuidance de le poursuivre en justice pour diffamation.

Quel culot, ce Mame Mbaye quelque chose !
Lorsqu’on le convoque au Tribunal, le Pros, bien entendu, qui est déjà au-dessus des considérations triviales, préfère jongler de la balle devant les caméras dans son quartier, entouré de bodyguards prêts à tout, sauf mourir, pour lui.

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Excédé par tant d’injustices, finalement, le Pros, qui se replie dans son fief de Ziguinchor pendant que la Justice complote contre lui et le condamne lâchement par contumace, décide de sonner l’assaut : «thioky fin», qu’il proclame, comme dans les vieux westerns ou films de karaté où le héros mal en point est face au chef des bandits fringuant.

Mais il est sûr que son arrestation embrasera le pays et qu’une élection sans lui n’en est pas une.

Hélas ! Pris sur la route de Koungheul, il sera assigné à résidence alors que personne ne bouge le petit doigt pour lever les barrières qui ceinturent son quartier. Lorsqu’il est arrêté pour «vol de portable», personne ne s’indigne vraiment, puisque c’est de la rigolade. Il ne peut rien lui arriver, c’est le futur président de la République…

Même sa grève de la faim n’émeut que ses deux épouses, son avocat et un quarteron de politiciens qui iront chercher jusqu’à Touba une boîte de dattes pour éviter l’irréparable. Un malheur ne venant jamais seul, après la dissolution de son parti, Pastef, on apprend aussi que la machine du ministère de l’Intérieur l’a retiré des listes électorales… Ses avocats ont beau traîner ces malappris devant des juges, rien n’y fait.

C’est donc en toute logique qu’une trentaine de gaillards se sont enfermés dans une grande salle pour officialiser son investiture, posant tout autour de sa chaise restée vide.

Et défense de ricaner : c’est peut-être la dernière «Sonkon-nerie» de la Présidentielle.
Par Ibou FALL