Le Collectif pour la protection de l’enfance marchera à nouveau à Dakar ce samedi 24 mars à partir de 10h. Nous aurions espéré que cela soit pour rappeler l’Etat à l’impérieuse obligation d’assumer toutes ses responsabilités face aux ignobles rapts et crimes d’enfants. Et non pas pour exiger le retour de la loi du Talion. Cet espoir sera déçu ; le député Ousmane Sonko, qui encourage sur sa page Facebook les Sénégalais à participer à cette marche, réclame d’ores et déjà le rétablissement de la peine de mort. Répondre donc à la barbarie des individus par la barbarie d’Etat. C’est une position démagogique, réactionnaire et antirépublicaine de Sonko.
Que cela soit rappelé à ceux et celles qui, aveuglés par la haine et la douleur, réclament le retour illico de la peine de mort pour les bourreaux de bébés : comme pour le viol comme arme de guerre ou l’excision, l’apologie de la peine de mort n’est pas une opinion, et encore moins une opinion acceptable. C’est un délit, au regard de la loi suprême de ce pays qu’est la Constitution, qui l’interdit et la bannit. Les meurtriers d’enfants devraient, non pas être occis en place publique, mais incarcérés en asile psychiatrique et soignés. Et pas par un «ndeupp».
A l’approche de la prochaine élection présidentielle, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui est présumé être un sacrifice humain, la mise à mort du bébé Serigne Fallou Diop, ait éventuellement eu lieu pour s’attirer la grâce d’obtenir le pouvoir politique. Ou encore celle de devenir riche sans effort et sans travail par l’opération d’un esprit qui nous ceint, d’un dessein fait d’esprits. Le «Fal» ou le «Alal».
Mais revenons à l’élection prochaine comme cause. Dès qu’approche une joute électorale décisive, le Sénégalais de la rue est enclin à soupçonner les politiciens avides de conserver ou d’obtenir le pouvoir politique, d’être prompts à recourir aux sacrifices humains.
Un esprit dont tout le monde s’accorde à penser qu’il est plus libre que la moyenne des citoyens sénégalais, je veux nommer Highlander Abdoulaye Wade, n’a pas hésité à accuser son ex-obligé, l’ancien maire de Dakar, Pape Diop, de sacrifices d’albinos. Le même Mame Laye Wade a soutenu sans sourire, ni sourciller que «Son Excédence» qui préside le Sénégal était non pas un humain, mais un «deumm». Et récemment, ce dernier, Macky Sall, a demandé à ceux qui savent faire «autre chose que réciter la fatiha ou le Notre père», comprenez les féticheurs et animistes, qu’ils fassent donc tout ce qu’il était en leur pouvoir pour que les Lions de l’atterrant gars nous ramènent la Coupe du monde de football au Sénégal en juillet prochain. L’exemple obscurantiste vient donc d’en haut.
Là réside le problème. Qu’avons-nous fait collectivement ou mérité pour que l’on pense que le pouvoir politique ne s’obtient pas au terme d’une joute loyale, programme contre programme, charisme contre manque de charisme ? Mais plutôt du fait de la seule volonté divine, donc par origine surnaturelle ?
Surnaturel ? Puisque Dieu l’est, on a alors vite fait de lui associer d’autres esprits tout aussi surnaturels qui n’ont rien à voir avec l’être suprême des religions révélées. Djinns, «xeureums» et autres «deums».
Oui, là commence le problème. Tous les Sénégalais qui croient que l’élection d’un homme (ou d’une femme, pourquoi pas ?) n’est pas le résultat du libre arbitre individuel agrégé collectivement des citoyens, est coupable de complicité du crime du bébé Serigne Fallou. Tous les Sénégalais qui croient qu’il faut recourir aux «xondjoms» pour s’assurer la protection du ciel, protectorat auquel Dieu lui-même ne suffit pas, sont coupables de complicité du meurtre de bébé Serigne Fallou Diop. On donne l’aumône aux talibés dans la rue, non pas pour les sortir de leur misérable condition, ce qu’à Dieu ne plaise, Lui qui les y a mis, mais pour se protéger soi-même et s’attirer de bonnes fortunes. On s’enduit de forces libations avant tout examen scolaire ou avant tout entretien d’embauche. On est certain que la richesse n’est pas le résultat du travail, mais de l’entregent appuyé de débrouillardise mâtiné d’amulettes. La pensée magique a pris le pouvoir.
Quand on rêve seul d’une chose, cela reste un rêve ; et même un délire. Mais quand on rêve à plusieurs d’une chose, cela devient la réalité. Et c’est ainsi que les pratiques mystiques comme moyen d’accession à la détention du pouvoir politique sont devenues une réalité dont beaucoup sont convaincus de l’intangibilité. L’Etat sénégalais est, lui aussi, coupable de complicité du meurtre rituel de bébé Fallou : en refusant par exemple d’assumer seul la supervision régalienne et républicaine des élections, et en s’adjoignant les gris-gris Onel et autres Cena pour le faire et satisfaire la schizophrénie collective des Sénégalais, cet Etat contribue à faire accroire que les élections ne sont pas un processus rationnel, mais bien une matière évanescente et ésotérique qu’il convient de faire contrôler par d’autres, supposés n’avoir aucun intérêt partisan. On peut être partisan et républicain. Et c’est ce qu’on aurait été en droit d’attendre des politiciens qui sont aux responsabilités politiques que nous leur avons confiées. Or, ce n’est pas le cas. Et c’est bien regrettable.
Cela me conduit à revenir à la récente affaire du Professeur Songué Diouf qui a voulu nous prendre pour des poires. On a vite fait de dire que c’était «la faute à la société». Non, ce n’est pas la faute à la société. La société ne pense pas, ne parle pas, n’agit pas. Ce sont des individus qui le font. Mettre «la société» au banc des accusés, c’est poursuivre une entité qui n’existe que symboliquement. C’est encore être dans «la pensée magique». C’est exonérer les individus de leur responsabilité personnelle. Trop de délinquants encore dans ce pays, quand ils sont attrapés, attribuent à Sheytan la responsabilité de leurs crimes. Et si le juge les condamne, l’opinion publique leur accorde le bénéficie du doute, à cette invocation de Satan comme responsable de leurs actes, qui en aurait fait des marionnettes.
Là encore, la responsabilité de l’Etat qui a la gestion de nos destins en charge est convoquée. C’est par l’éducation aux valeurs universelles, l’instruction pour la connaissance des faits et non des mythes et la promotion d’une société ouverte à la culture qui ne soit pas folklore, mais créations qui suscitent cette «sortie hors de soi», qui fait de nous un individu à part parmi des milliards d’êtres humains, une personne qui vit et non qui se contente d’exister, c’est par-là donc que l’Etat aura rempli sa mission obligatoire de promotion du progrès humain.
Et pour reprendre la fameuse boutade : «L’Etat c’est nous».
Ousseynou Nar GUEYE
Directeur Général de Global Com International
Directeur de publication de www.tract.sn
Secrétaire national à la Communication, à la Coopération africaine et aux Questions éducatives du parti Sud
ogueye@gmail.com
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