Presse – Classé 73e par Rsf : Le Sénégal dans l’inconfort des mal-classés

Le Sénégal a perdu 24 places au classement Rsf sur la liberté de la presse du fait des évènements de mars 2021 mais aussi des insuffisances notables dans les lois et règlements qui encadrent le fonctionnement des médias au Sénégal. Seulement, le ministre de la Culture et de la communication Abdoulaye Diop se réjouit «des grands pas franchis en matière de liberté de la presse».
Par Mame Woury THIOUBOU
– Dans le classement de Reporters sans frontières (Rsf) sur la liberté de la presse, le Sénégal pointe à la 73e place, perdant 24 places par rapport au classement de l’année dernière. Comment le Sénégal s’est-il retrouvé dans cette position plus qu’inconfortable pour un pays qui se veut un modèle de démocratie et de liberté d’expression ? La réponse est à chercher en grande partie dans les violents évènements qui ont eu lieu en mars 2021. Ces quelques jours durant lesquels des Sénégalais ont exprimé leur colère d’une façon violente et meurtrière avec un bilan de 14 morts et de centaines de blessés, ne pouvaient pas rester sans conséquence. Selon le Directeur Afrique de l’Ouest de Reporters sans frontière (Rsf) Sadibou Marone, ces évènements ont pesé lourd dans les réponses fournies pas les journalistes seniors et les sociologues qui ont répondu aux 123 questions de Rsf pour la réalisation de ce classement. Outre les violences et leur cortège de morts, Rsf pointe également les menaces et violences dont des journalistes ont été victimes. On se rappelle que les locaux du quotidien national Le Soleil avaient été vandalisés et de la Radio Futurs médias sur la corniche où plusieurs journalistes avaient vu leurs véhicules réduits en cendre. Et c’est pendant ces mêmes évènements que le Conseil de régulation de l’audiovisuel (Cnra) avait pris la décision de suspendre la diffusion de deux chaînes de télévision, SenTv et Walfadjri. Et on avait aussi assisté au spectacle désolant d’un Préfet de Dakar ordonnant aux Forces de l’ordre de charger des journalistes. Autres facteurs pointés par Rsf, le manque de pluralisme politique sur la télévision nationale ou l’absence d’une loi sur l’accès à l’information et certaines dispositions du Code de la presse jugées «liberticides».
Le tableau optimiste de Abdoulaye Diop
Ce lugubre tableau de la presse sénégalaise ne semble pourtant émouvoir que les professionnels des médias. Le ministre de la Culture et de la communication présente en effet, un tout autre tableau de la situation. Dans son message de vœux adressé à la presse sénégalaise à l’occasion du 3 mai qui marque la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse, Abdoulaye Diop assurait que «le Sénégal a franchi de grands pas en matière de liberté de la presse et de soutiens publics aux médias». Il suffit pourtant de prêter l’oreille à l’actualité du pays pour entendre les dysfonctionnements récurrents dans les maisons de presse. Excaf, Agence de presse sénégalaise (Aps), Radiotélévision du Sénégal (Rts), Le Soleil, la liste des médias en crise est longue. Entre arriérés de salaires, banqueroute et conflits latents avec les responsables, la presse vit des moments difficiles. Adopté en 2017, le nouveau Code de la presse n’est pas encore totalement en application tout comme beaucoup de patrons de presse snobent la nouvelle convention collective. Et comme le pointe Rsf, l’installation à la tête des médias d’Etat, de leaders politiques ouvertement engagés dans le parti au pouvoir, ne favorise pas le pluralisme dans ces médias. La même observation est aussi valable pour certains médias privés. «Le plus important, c’est de considérer que ça peut servir de réveil pour le Sénégal qui avait jusque-là de bons classements et qui doit essayer de réfléchir de manière approfondie et froide sur ces résultats. Ceux qui ont fait ce travail l’ont fait dans une démarche scientifique. Il y a beaucoup de problèmes mais il y a des acquis aussi», estime M. Marone en saluant notamment la mise en place du Conseil d’observation des règles d’éthique et de déontologie (Cored) ainsi que le Fonds d’appui au secteur de la presse qui vient remplacer l’aide tant décriée.
Ignorant sans doute toutes ces situations qui relèvent pourtant de sa tutelle, Abdoulaye Diop encense une politique publique qui se distingue surtout par la lenteur avec laquelle elle applique les lois adoptées par ses députés. Mais qu’à cela ne tienne, du point de vue du ministre, l’Etat du Sénégal reste sur la bonne voie. «L’Etat s’est résolument engagé pour une presse indépendante, forte et professionnelle, à la lumière du Code de la presse et de la Convention collective, textes pour lesquels toutes les dispositions sont prises pour une application rigoureuse et effective», dit-il dans son message de vœux à la presse.
Mais en définitive, en 2021 comme en 2022, les mêmes germes risquent de donner les mêmes fruits. Les menaces à peine cachées que distillent les militants des partis politiques, mettent de fait, en danger les journalistes. Les médias en général, vivent une crise aux soubassements économiques mais dont les manifestations sont à la fois éthiques et déontologiques.
mamewoury@lequotidien.sn