En 1971, une terrible épidémie de choléra avait frappé le Sénégal. La pandémie avait commencé une année plus tôt dans son foyer en Asie. La Guinée avait été le premier pays touché en Afrique de l’Ouest. Le Sénégal sera atteint. Des milliers de personnes étaient infectées et la mort frappait dans les villages et les villes. On se rappelle ces moments terribles où nous avions perdu des camarades de jeux, des camarades de classe. Des produits désinfectants étaient distribués, notamment du grésil. Les autorités de l’Etat avaient préconisé toutes les mesures de prophylaxie. L’ampleur de la maladie était telle que les autorités religieuses s’étaient évertuées à appeler les populations à prendre garde à la maladie. La toilette mortuaire musulmane était interdite et les cérémonies de deuil étaient prohibées pour bannir tout rassemblement. Mieux, peut-on encore se rappeler que le nouveau Khalif général des Mourides, Serigne Abdoul Ahad Mbacké, qui avait succédé à Serigne Falilou Mbacké en 1968, avait pris des mesures drastiques pour demander aux fidèles de se confiner et d’éviter de voyager d’une région à une autre pour éviter de propager la maladie. Serigne Cheikh Mbacké Gaïndé Fatma avait alors annulé des déplacements prévus pour rendre visite à des disciples. La religion avait beaucoup aidé à contenir la maladie. Les religieux avaient indiqué des prières mais aussi avaient suivi les recommandations des autorités de l’Etat, notamment en matière d’hygiène et de prévention. L’épidémie de coronavirus qui frappe le monde depuis plus de quatre mois devrait être adressée de la même manière. L’Arabie saoudite, berceau de l’islam et qui abrite les sites les plus sacrés en islam, a pris les devants pour donner l’exemple. Ainsi, les manifestations religieuses susceptibles de provoquer des mouvements de populations et des rassemblements sont prohibées jusqu’à nouvel ordre. Le pays a fermé ses frontières aux millions de personnes provenant de tous les continents pour le petit pèlerinage appelé «Oumra». Le périmètre de la Kaaba et celui de la Mosquée du Prophète Mohammed (Psl) à Médine sont fermés au public. Pourtant, l’Arabie saoudite n’a recensé qu’un seul cas de malade du coronavirus qui du reste, est déjà médicalement pris en charge. En Iran, un autre grand pays musulman, lui assez touché par l’épidémie, les autorités religieuses, qui dirigent en même temps l’Etat, ont pris des mesures drastiques comme l’interdiction de rassemblements pour la prière rituelle du vendredi par exemple. En effet, l’Etat ne saurait déléguer la définition et la mise en œuvre d’une politique de santé publique. Il appartient donc à l’Etat d’indiquer la voie et d’appeler les autres citoyens à y souscrire et s’y conformer.

Mettre fin à certains archaïsmes
Le Sénégal est à peine touché par la maladie du coronavirus. Touchons du bois ! Le Sénégal n’a encore enregistré que quatre cas de coronavirus, avec des patients infectés à l’étranger. Les bulletins médicaux sont assez rassurants et on nous annonce des cas déjà guéris après traitement. C’est déjà un miracle que la maladie soit entrée au Sénégal et que la situation soit encore sous contrôle plusieurs semaines après la découverte du premier cas.
L’épidémie ne s’étend pas moins à travers le monde, avec presque une centaine de pays touchés. Les autorités publiques de tous bords multiplient des initiatives et des mesures de précaution pour endiguer la propagation de la maladie. Notre pays devrait poursuivre à renforcer son dispositif de veille. La vigilance doit donc être de rigueur. C’est le lieu d’encourager à cesser nos mauvais comportements propices à la propagation de toutes sortes de maladies. Les autorités de l’Etat s’y essaient mais ont pu mesurer leurs limites. L’Etat du Sénégal peut interdire des manifestations festives profanes mais n’a pas encore l’autorité pour empêcher les rassemblements à caractère religieux. On ne pourra rien imposer par la force, il s’agira de travailler avec tact les autorités religieuses pour les amener à mieux mesurer les enjeux et les risques de propagation de la maladie. Les prières sont certes une excellente panacée, mais on aurait à gagner en ajoutant aux prières des mesures de prophylaxie et de prévention. On relèvera que le clergé de l’Eglise catholique a déjà donné des consignes strictes pour encadrer le culte afin d’éviter des cas de contamination à partir de ses lieux de culte. Il reste à convaincre les chefs religieux musulmans pour les amener à adopter des comportements et attitudes appropriés pour faire face à la maladie. Tout chef religieux qui donnerait une consigne d’éviter les gamou, magal et autres thiant, le temps de laisser passer l’épidémie, rendrait sans doute un grand service au pays.
On ne dira jamais assez que nos pratiques sociales, nos faits et gestes de tous les jours sont potentiellement catalyseurs de toute épidémie virale. En effet, nos divers rassemblements sont des facteurs de propagation de maladie. On peut frémir devant la façon de préparer nos mets et de les servir à l’occasion des grandes cérémonies et autres manifestations sociales. Ce sont nos «sénégalaiseries» comme aime à nous le rappeler notre confrère, Ibou Fall, du journal satirique Tir’ailleurs. On peut en rire, mais à la vérité ce n’est pas drôle et le plus absurde est que toute personne qui aurait le culot ou le toupet d’attirer l’attention sur la nécessité de mettre plus d’hygiène à tout cela se verrait rabrouer, pour dire le moins. C’est un gros tabou d’attirer l’attention sur nos «archaïsmes» qui font par exemple que, même pour bénir une personne, nos religieux lui crachent dans la paume des mains et la personne sera tout heureuse de se passer cela sur son visage. C’est sans doute le meilleur moyen pour être touché par la grâce ! Des centaines de personnes se mettent à la queue leu leu pour serrer la main du guide religieux ; et personne ne voudrait accepter que ces pratiques sont contraires à l’hygiène et à la promotion d’une bonne politique de prévention sanitaire. Il peut arriver que des chefs religieux soient malades et perdent la vie, mais on ne s’imagine même pas qu’ils ont pu être infectés par des foules de disciples qui se pressent auprès d’eux tous les jours et sont systématiquement en contact direct avec eux.
Face au coronavirus, une maladie dont la propagation est rapide et le remède pas encore trouvé, il faudra trouver des terrains d’entente. L’Etat peut faire un tel plaidoyer auprès des religieux à l’image des visites d’information qu’effectue en ce moment Abdoulaye Diouf Sarr, le ministre de la Santé et de l’action sociale, auprès des différents foyers religieux. Tout chef religieux qui regarde sa montre pour déterminer l’heure de la prière ou qui voit régulièrement son médecin pour s’assurer de son propre état de santé, devrait être à même d’accepter la modernité et la place de la science dans sa vie de tous les jours. Aussi grand et pétri de sainteté que puisse être un guide religieux, qu’il ne rechigne pas à voir le médecin en cas de problèmes de santé personnels.