Priver Madiambal de parole

Depuis un mois qu’il a décidé de mettre de la distance entre le pouvoir de son pays et lui, Madiambal Diagne n’a jamais autant occupé l’actualité. En s’éloignant du pays, il est devenu encore plus présent. Depuis trois jours environ, aucun organe de presse de ce pays n’a autant parlé du fondateur du Groupe Avenir Communication, éditeur de ce journal Le Quotidien dans lequel ces lignes sont écrites.
Le moment viendra où l’opinion aura le temps d’analyser la manière et l’évolution des rapports entre Madiambal et le pouvoir de Pastef, incarné par le Premier ministre Sonko, qui se sont tendus. Dans ces lignes, nous nous risquons plutôt à mettre en avant les dangers qui pèsent sur la presse sénégalaise, du fait de sa polarisation. Depuis des années que l’on parle de la crise de la presse, on n’a jamais vraiment, à notre connaissance, pris la peine d’en étudier les conséquences. A peine quelques analystes osent à ce jour reconnaître que cette crise s’est particulièrement approfondie en février 2019, quand des organes de presse ont été menacés au cours de la soirée électorale, pour avoir osé faire leur travail, à savoir publier les résultats des élections au fur et à mesure qu’ils tombaient. Cela s’est fait avec l’assentiment tacite d’une partie des organes de presse.
La presse sénégalaise a oublié son rôle de vigie et d’information, et toléré que certains parmi nous fassent de leurs organes des instruments de leurs convictions politiques. Depuis, le fossé n’a fait que s’élargir. Des confrères ne se regardent plus qu’en adversaires politiques, ou pire, comme esclaves à la solde d’intérêts politiques ou économiques. Même au sein de certaines rédactions, la situation est visible. C’est pour cela que d’aucuns ont pu penser que Maïmouna Ndour Faye et Babacar Fall n’ont eu que ce qu’ils ont mérité. Des «analystes» ne se sont pas gênés pour rappeler la position des organes dirigés par ces journalistes au cours des évènements qui ont endeuillé le pays de 2021 à 2024, pour indiquer en quoi ces confrères n’avaient aucune légitimité à réclamer un quelconque soutien…
Leur cas serait même plus grave du fait qu’ils ont osé donner la parole à Madiambal Diagne. Y’aurait-il personnalité plus clivante dans la presse sénégalaise que cet individu ? Quand on évoque son nom, des journalistes bon teint, bien formés dans les écoles les plus prestigieuses, se plaisent d’abord à rappeler que Madiambal serait juste «un greffier défroqué, qui serait entré dans la profession par effraction». Le fait d’avoir utilisé sa fortune pour créer un groupe de presse ne lui a donné de légitimité que censitaire. Et d’autres d’ajouter, in petto, que n’eût été sa proximité avec Macky Sall, il ne serait pas ce qu’il est devenu aujourd’hui. Ignorant que ce dernier l’avait jeté en prison.
Par-delà le fait que ces considérations ne répondent pas à la question de savoir si un journaliste et un organe de presse devraient être sanctionnés pour avoir donné la parole au «fugitif Madiambal», on doit noter que les arguments contre Madiambal sont d’abord et avant tout émotionnels.
Si Madiambal n’a pas obtenu de diplôme de journalisme avant de créer ses organes de presse, on ne peut lui reprocher une quelconque entorse à la législation sur la presse dans ce pays. Ceux qui lui font grief de sa visibilité et de sa belle notoriété dans ce monde ne peuvent nier que ce sont ses mérites qui ont aidé à le porter, d’abord à la présidence du patronat de la presse sénégalaise, et fait ensuite de lui président de l’Union internationale de la presse francophone. Et cet honneur est le fruit du bon travail qu’il a accompli à la tête de ses organes de presse dont tout le monde reconnaît le niveau de rigueur et de sérieux. Si le travail et le rayonnement de ses journalistes ont pu rejaillir sur leur patron, aucun de ses employés ne peut prétendre avoir jamais eu affaire à un esclavagiste ou un capitaliste exploiteur. Très peu de propriétaires de médias au Sénégal peuvent se targuer des mêmes résultats que Madiambal.
Maintenant, s’agissant de ce qui lui vaut aujourd’hui de se retrouver sous le feu des projecteurs, personne ne peut affirmer que Madiambal est un couard. Peu de personnes ont jamais fait preuve d’autant de courage pour défendre leurs convictions. Qu’on l’aime ou pas, Madiambal ne se cache derrière personne pour proclamer la force de ce en quoi il croit. Il n’a jamais demandé à ses journalistes ou ses organes de porter ses idées et ses amitiés. En contrepartie, il n’a jamais non plus empêché ceux qui ne sont pas d’accord avec lui de s’exprimer dans ses organes. Mamadou Diop Decroix peut en témoigner, lui qui a vu son «droit de réponse» en exergue à la Une du journal avec ce titre : «Madiambal est un homme dangereux !»
Si ce titre a pu surprendre certains, en interne il n’a même pas fait lever un sourcil, ni du propriétaire ni des membres de la Rédaction. Aussi sanguin qu’il soit, Madiambal croit en la démocratie. Que ceux qui veulent le priver de parole s’apprêtent demain à accorder le même traitement à ceux qui le lynchent aujourd’hui !
mgueye@lequotidien.sn

