Une fois n’est pas coutume, avec l’attribution du prix à Jon Fosse, 64 ans, cette année, l’Académie suédoise n’a pas déjoué les pronostics. L’écrivain norvégien était tout en haut de la liste des «nobélisables». Lors de l’annonce du prix, le Secrétaire général de l’Académie avait souligné que Fosse «était préparé d’avoir confiance aujourd’hui» et qu’il conduisait sa voiture à la campagne quand il a reçu l’appel. «Je suis bouleversé et reconnaissant. Je considère qu’il s’agit d’une récompense pour la littérature qui vise avant tout à être de la littérature, sans autre considération», a-t-il réagi après l’annonce.
Né le 29 septembre 1959 à Hausgesund, sur la côte-ouest de la Norvège, il publie son premier texte, Raudt, svart (Rouge, noir) à l’âge de 24 ans, après ses études littéraires. Il découvre sa passion pour le théâtre bien plus tard. Sa première pièce, écrite pour des raisons alimentaires, est montée et publiée en 1994, Et jamais nous ne serons séparés. Depuis, ses textes ont été traduits en une cinquantaine de langues et mises en scène par les plus grands noms du monde théâtral, de Patrice Chéreau à Thomas Ostermeier. Ses pièces figurent parmi les plus jouées au monde. En France, c’est Claude Régy qui l’a fait connaître avec la mise en scène en 1999 de sa pièce Quelqu’un va venir (Prix international Ibsen en 2010) à Paris. Ecrite en norvégien, son œuvre innovatrice va bien au-delà du théâtre. Pour ses romans, il s’est expliqué en 2021, dans L’Autre Nom, sur ses raisons d’écrire, de ne pas décrire des personnages, mais de faire naître l’humain, de «dépeindre» des images, comme dans sa pièce intime Je suis le vent.
Il a aussi publié des recueils de poèmes, des essais, et même des livres pour enfants. Sa langue pratique la virtuosité de la simplicité et son apparence très accessible cache une ambiguïté bien entretenue par une ponctuation souvent minimaliste. Elle est le résultat d’un long processus dirigé en direction d’une écriture épurée qui tend vers l’abstraction, faisant surgir de façon inattendue des silences tendus et une tension insoutenable entre les personnages d’une histoire souvent obscure, voire morose, peuplée de solitude et d’angoisse existentielle.

Jon Fosse et la littérature mondiale
Même s’il ne l’affiche pas ouvertement dans son œuvre, Jon Fosse semble être aussi fortement intrigué par la spiritualité. Son grand-père était quaker, avec une réputation de pacifiste et gauchiste. Mais dans sa jeunesse, Jon Fosse prend ses distances avec cet univers piétiste, se déclarant longtemps athée. Néanmoins, après avoir reçu en 2009 une médaille de la main du Pape Benoît XVI dans la chapelle Sixtine, Fosse, marié trois fois et père de six enfants, s’est converti quelques années plus tard au catholicisme. Comparé à Faulkner pour son génie de dépeindre les consciences des êtres, mais aussi à Harold Pinter et à Samuel Beckett dont il est un grand admirateur et dont il partage une vision plutôt pessimiste du monde, Jon Fosse fait aujourd’hui la fierté du pays de Henrik Ibsen (1828-1906) et de la littérature mondiale. Reste à savoir comment on définit à Stockholm la littérature mondiale. Car, avec sa décision de couronner un auteur blanc, masculin, européen, catholique et très connu, l’Académie continue à avoir du mal à tenir sa promesse de s’ouvrir à d’autres littératures au-delà de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Depuis la création du prix, sur 120 lauréats, 97 écrivains sont issus de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, soit 80%. Et si on prend en compte que Abdulrazak Gurnah, le lauréat de 2021 né en Zanzibar, est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960, force est de constater que depuis 2013, il n’y avait que des lauréats européens et nord-américains… Autre chantier dans un monde culturel bouleversé par une demande d’égalité de plus en plus forte : depuis sa création, cette plus haute distinction littéraire dans le monde a été attribuée seulement à 17 femmes.
Rfi