Il est doué ou plutôt sûr de l’être. Sarro, artiste et musicien, a réussi à imposer son style afro folk et jazz sur la scène musicale sénégalaise. Pourtant, le natif de Rufisque a eu une rencontre tardive avec la musique. Aujourd’hui avec son dernier Ep, «Feet», il part à la conquête du monde grâce à cette collaboration avec le Jamaïcain Derajah.

Dynamique, sûr de lui, passionné, Sarro l’est sans nul doute. Dans son appartement où il reçoit en cet après-midi, l’enfant de Rufisque s’exprime à grand renfort de gestes. Sur les murs du salon à la décoration ethnique et spartiate, des guitares de toute taille sont accrochées. L’histoire de Sarro, Omar Sarr de son vrai nom, avec cet instrument, remonte à très loin. La première fois que ses doigts entrèrent en contact avec ces cordes, ce fut le coup de foudre. Et des décennies après, il raconte encore avec émotion ce moment et comment par la suite il a pu acquérir l’instrument tant convoité. «J’avais un ami qui possédait une guitare. Il me l’a cédée, mais je devais le payer petit à petit. Alors je volais le ravitaillement de la maison pour pouvoir assurer les échéances. C’est lui aussi qui m’a appris mes premiers accords avant que je décide d’aller à Dakar me former pour de bon.» Le musicien en herbe, qui a arrêté les études en classe de Troisième, va alors chercher à se donner les moyens de réussir dans le domaine qu’il a choisi. En 2015, son premier album Tomorrow est très remarqué et lui vaut une sélection dans le In du Saint-Louis jazz l’année d’après. Depuis, l’artiste s’est bonifié. Son style s’est affirmé et aujourd’hui Sarro se réclame d’un afro folk mâtiné de jazz. Son dernier Ep, Feet, est une collaboration avec l’artiste jamaïcain Dera­jah, avec la participation du virtuose de la kora Noumou­counda Cissokho.

Tendre la main à la diaspora
En cette période où les conditions sanitaires ont entraîné une restriction des déplacements, la collaboration avec l’artiste jamaïcain s’est faite à distance. «Je compose, je lui envoie, il écoute et le producteur qui est au Costa Rica fait les arrangements. Ensuite, je vais chez Noumoucounda qui met sa kora. C’est comme ça qu’on a travaillé.» Cette collaboration est une parmi tant d’autres qu’ambitionnent de réaliser le musicien et son équipe. Elle s’inscrit dans un cadre plus vaste. The country project a été initié avec des artistes de 6 pays : Brésil, Jamaïque, Cap Vert, Guinée Bissau, Egypte, Etats-Unis. «Ce projet tourne autour de nos relations avec la diaspora. L’Afrique est le berceau de l’humanité. Et c’est aussi de l’Afrique qu’est parti l’esclavage. Toutes les personnes de la diaspora font partie de nous et elles doivent savoir qu’elles ont une place ici. C’est pour cela que, dans chacun des pays du projet, nous cherchons à collaborer avec un artiste local. Et là, j’ai commencé par la Jamaïque.» Feet (pieds en anglais), le fruit de cette collaboration, évoque ces liens avec la diaspora. «Feet veut dire ‘’pieds’’ en anglais. Si l’Afrique est le berceau de l’humanité, la diaspora représente les pieds.» Après la Jamaïque, l’artiste devait atterrir au Cap Vert. Mais encore une fois, le Covid-19 est venu chambouler les projets. «Au Cap Vert, un ami nous a mis en rapport avec Kira Tavarez, une artiste locale. On devait y aller ce mois d’août, mais avec le Covid-19, sûrement que ça ne sera plus possible puisque les vols vers les îles sont suspendues et l’artiste se trouve à Mindello», expli­que Sarro qui précise qu’avant cela, une résidence en Egypte avait aussi été annulée pour les mêmes raisons.

Un hommage à Gandhi
Convaincu de son talent, Sarro sait également que sa musique n’est pas la préférée du commun des Sénégalais. «Mon ambition, ce n’est vraiment pas le Sénégal parce qu’ici tu ne gagnes pas bien et il n’y a pas beaucoup de mélomanes. Les gens ne s’intéressent qu’au dernier musicien à la mode. C’est ce qui fait que l’industrie musicale ne marche pas. Cela fait des années que je n’ai pas joué au Sénégal», dit-il avec toute l’assurance de celui qui est sûr de son talent. «Je sais ce que je vaux et je ne cherche pas la célébrité à tout prix. Même si seules cinq personnes m’écoutent, c’est bien. Je ne fais pas de la musique seulement pour divertir. Il faut que ceux qui écoutent en tirent quelque chose. Je suis dans la constance et dans chacune de mes chansons, je parle d’un problème du continent.» Le mbalax que l’on aime si bien au pays de la Téranga n’est pas pour lui. «Trop brouillon dans la composition», selon l’artiste. «Le mbalax que les gens écoutent ne peut se vendre à l’extérieur. Le marimba et le sabar installent la cacophonie. Ce n’est pas une musique que l’on peut exporter. Quand les musiciens sénégalais disent qu’ils sortent une version mbalax de leur album dans le pays, et une version internationale pour l’extérieur, ça ne se tient pas. Dès qu’on sort un album sur les plateformes, il est international», assure-t-il.
Sûr de son raisonnement, Sarro, un tantinet sexiste, reste convaincu que les Sénégalais, ou plutôt les femmes sénégalaises, n’écoutent pas sa musique. Les relevés de téléchargement qu’il reçoit tendent à le conforter. En effet, selon son manager, il n’y a guère de mouvements du côté du Sénégal. «Ma musique est sélective. Les intellectuels, les gens cultivés écoutent ce que je fais. Mon style de musique cherche à éveiller les consciences, pas seulement du point de vue des textes, mais musicalement aussi. La masse cherche autre chose.» Pas de mbalax, pas de chansons d’amour dans son répertoire. Mais Sarro reste ouvert à toutes les influences. Bien lui en a pris puisqu’il vient de recevoir une lettre du ministère indien des Affaires étrangères. Pour le 150e anniversaire de Gandhi, les représentations diplomatiques indiennes ont demandé à des musiciens locaux de faire des productions sur le chantre de la non-violence. Sarro, qui s’est inspiré d’une prière que récitait Gandhi chaque matin, a vu sa chanson, Vaishnav jan to tene kahiye je, être distinguée. «La musique, ce ne sont pas que les chants et les danses. C’est aussi un pont entre les Peuples.» Depuis Rufisque où tout a commencé, Sarro s’est tracé un chemin dans le monde de la musique.