Le film documentaire, Dansokho: Il chantait rouge, de Maky Madiba Sylla et Florian Bobin, en hommage à Amath Dansokho, l’ancien ministre et Secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail du Sénégal (Pit), a été projeté ce jeudi à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), dans le cadre de la 6e édition du Colloque international de Dakar. A travers des séquences captivantes et des témoignages poignants, le réalisateur de ce film a voulu transmettre à la jeune génération, le patrimoine de celui que l’on surnomme «l’homme de gauche».Par Ousmane SOW –
Dansokho: Il chantait rouge est un film documentaire qui retrace en grande partie, le parcours et les convictions du défunt Secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail du Sénégal (Pit), Amath Dansokho, figure emblématique de la Gauche sénégalaise. Dès le début du documentaire, les réalisateurs annoncent la couleur par des témoignages : Pr Abdoulaye Bathily, Elisabeth Feller-Dansokho, Samba Diouldé Thiam, Mandiaye Gaye et Fodé Sylla. Ensuite, ils offrent un voyage dans le temps et en musique, avec un titre phare, Niani Bagn Na. Il n’a suffi que de 28 minutes à Maky Madiba Sylla, alias Daddy Maky, et Florian Bobin, pour immortaliser le président du Pit, décédé le 23 août 2019, laissant dans les esprits l’image d’une figure majeure de la vie politique sénégalaise et de la lutte contre l’impérialisme en Afrique. Mais pour le réalisateur, résumer la vie de «Tonton» Amath Dansokho en 28 minutes, comme il l’a fait, c’est pratiquement impossible. «A la base, c’est un film qui devrait se faire en 90 minutes. Mais pour des questions de financement, on était un peu dans l’incapacité de fournir les 90 minutes. Quand on a été contactés par la Fondation Gabriel Péri, on a pensé à faire 13 minutes. C’est par la suite qu’on a essayé d’aller jusqu’à 28 minutes», a expliqué Maky Madiba Sylla. Amath Dansokho, militant communiste-léniniste et surtout marxiste depuis ses années d’étude, n’a pas changé. Il est demeuré sur cette voie. «Oui, il chantait rouge et je crois même pouvoir dire qu’il n’a jamais rompu avec le communisme», témoigne Fodé Sylla, ambassadeur itinérant du Sénégal. Le film documentaire rend aussi hommage à cet homme d’Etat, qui avait plusieurs vies. «C’est un personnage de roman pour moi. C’est quelqu’un que je considère comme l’un des illustres fils de ce pays, qui a beaucoup apporté afin que ma génération, la génération suivante, ait un peu plus de liberté», a dit le cinéaste, pour expliquer son intérêt pour ce film «hommage». Poursuivant ses propos, il a rappelé que dans ce pays, «on a l’habitude de tuer deux fois nos héros. Quand ils sont en vie, on leur rend très peu hommage. Mais à leur mort aussi, on les oublie. Donc là, l’idée c’était de le fixer dans le patrimoine et que les générations actuelles et futures puissent savoir quel grand homme il a été». En tant que réalisateur, il a voulu, fait-il savoir, transmettre ce patrimoine de celui que l’on surnomme «l’homme de gauche» à la jeune génération, pour qu’elle sache qui était Amath Dansokho et le combat extraordinaire qu’il a pu mener.
«Je pense que Wade avait peur de mon mari»
Parlant de la conviction et de l’engagement de cet homme politique, Elisabeth Feller-Dansokho, son épouse, n’a pas manqué de revenir sur les positions que défendait le president du Pit. «Amath Dansokho dénonçait la mal gouvernance. Il avait un langage direct. Je pense que Wade avait peur de mon mari», a témoigné Elisabeth Dansokho. Pour Fodé Sylla, ambassadeur itinérant du Sénégal, ça fait plaisir de voir une jeune génération de réalisateurs comme Maky Madiba Sylla, revisiter les grands hommes contemporains. Selon lui, ça parait également important d’évoquer «la mémoire» de Amath Dansokho, «homme de gauche», dont on parle sur le plan international. Il dira : «Amath était un homme de rassemblement. Il a vécu, milité et travaillé. Dans tout son parcours, il est resté constant pour défendre le social. Amath a, toute sa vie, combattu toute forme d’injustice et d’inégalité sociale. Amath, un homme intellectuellement et culturellement au-dessus des gens. Amath, un homme de daara. On pouvait lui faire confiance».
«Le paysage politique sénégalais est devenu extrêmement pauvre»
La projection de ce documentaire, qui a eu lieu à la salle de conférence de l’Ucad 2, a été appréciée et commentée par les spectateurs, qui n’ont pas manqué de soulever les insuffisances car selon eux, certainement, le film n’est pas encore tout à fait terminé. Il y a encore d’autres témoignages à recueillir et d’autres histoires à raconter sur Amath. Un autre aspect que les intervenants ont souligné et qui n’apparaît pas de manière très évidente sur le documentaire, c’est que «Amath aimait beaucoup la connaissance, le savoir, la lecture. De par son ouverture, il était capable de parler avec tout le monde, y compris les gens avec qui il ne partageait pas la même conviction», a souligné le Pr Maguèye Kassé. Parlant de conviction toujours, Pr Kassé a estimé que ce film est important parce qu’aujourd’hui, «ce qu’on appelle de la politique, ce n’est pas de la politique. Je préfère d’ailleurs parler de gens qui font de la politique, des politiciens, par opposition aux hommes politiques parce que ce qui leur manque, c’est une culture politique. Aujourd’hui, on fait de la politique pour s’enrichir. Il n’y a plus de conviction, plus de débat d’idées. Le paysage politique sénégalais est devenu extrêmement pauvre. Et la culture politique en souffre énormément. Donc, je pense que ce film devrait circuler, une fois achevé. Notre jeunesse a besoin de retrouver une mémoire qu’on ne lui a pas donnée, et c’est ça le mérite de ton film», s’est-il réjoui. De ce film documentaire qui rend hommage à Amath Dansokho, le public retient un «homme ouvert, empathique, avec son sourire, sa barbe sèche, son visage d’ange et d’une grande lucidité». Toutefois, le réalisateur n’a pas manqué de regretter le fait que la Rts «refuse» de donner des images d’archives pour ce film.
Amath Dansokho, un homme de vérité
Prenant part à cette projection, le ministre Samba Sy a rendu hommage à un «homme de vérité, un homme politique qui avait beaucoup d’intuition, qui savait flairer les bons coups politiques. Voilà pourquoi très souvent, le Pit a eu des positions qui, à l’entame, n’ont pas du tout été comprises. Mais Amath, intuitivement, était aussi profondément rationaliste. Il appartenait à un parti et il avait une discipline de parti».