La 18e édition du festival Image et vie s’est ouverte ce samedi à Dakar. Avant-hier, l’école Barack Obama a accueilli plusieurs projections dont «Fifiré en pays cuballo». Un documentaire qui colle bien au thème du festival, «Art et mémoire», dans le sens où la réalisatrice, Mame Woury Thioubou, s’intéresse à l’histoire des Peuples de l’eau à Matam. Un pan de sa propre histoire, étant elle-même membre de cette communauté de pêcheurs vivant au bord du fleuve Sénégal.

Mame Woury Thioubou a tenu en haleine le public du festival Image et vie avec son dernier film Fifiré en pays cuballo. La réalisatrice, en quête de l’histoire de ses ancêtres, pose sa caméra dans l’eau. Elle se filme et filme les habitants du quartier Subalo à Matam. Entraîné dans les rives du fleuve, le public découvre le quotidien des pêcheurs du Fouta, précisément ceux de Matam. Dans sa quête de ce patrimoine enfui, la réalisatrice noue le dialogue avec les anciens, les dépositaires de l’histoire. La plupart des gens s’expriment en puular et révèlent des secrets jalousement gardés par les Subalbés (les pêcheurs), notamment les incantations pour se prémunir des génies du fleuve, pour attraper le plus de poissons possible et éviter les attaques d’un crocodile.
Dans ce dialogue entre la réalisatrice et ses protagonistes, il est aussi question d’une pratique bien particulière et connue des habitants de cette partie du fleuve, le fifiré. «Le fifiré est une cérémonie que les anciens organisaient périodiquement. Quand les pêcheurs finissaient de pêcher et les autres de récolter, on faisait appel aux meilleurs pêcheurs et chasseurs de toute la contrée pour tuer les crocodiles du fleuve. Les villageois des environs y participaient. La veille, on organisait une veillée où les pêcheurs rivalisaient de talents, chacun jurant de tuer le plus grand.» Cette description que fait la réalisatrice du fifiré laisse croire qu’elle l’a vécu pleinement. Mais si l’on se fie à l’un des intervenants dans le documentaire, le dernier fifiré remonte à 1936. Pour Mame Woury Thioubou, il s’agit, à travers ce film, de revisiter non seulement ce patrimoine des pays cubalbé pour le partager avec les gens, mais aussi et surtout de sensibiliser sur la nécessité de le sauvegarder. «Cette culture est riche. Elle mérite d’être préservée et montrée aux jeunes», martèle-t-elle.
Celle qui a eu la chance de connaître le fifiré grâce à un père qui écoutait très souvent les chansons de Gelaye (le Pékane) plaide pour la transmission. «Quand je tournais le documentaire, j’étais partagée entre le bonheur de retrouver une partie de mon histoire et le regret de voir que cette culture est en train de disparaître. Les vieux meurent, les jeunes ne s’y intéressent pas vraiment», se désole-t-elle. Dans son récit, Mame Woury Thioubou sonne l’alarme et lance aussi un appel aux autorités locales pour qu’elles viennent en aide à cette communauté qui est aujourd’hui confrontée à la rareté des ressources halieutiques. «Le fleuve est complètement vide. Il n’y a plus de poissons. La pêche ne nourrit plus les pêcheurs. Je suis vraiment déçue de ce qu’il y a Matam. Malgré les grandes annonces, il n’y a toujours rien», s’indigne-t-elle. En attendant, son espoir est de voir une volonté politique plus affirmée accompagner les habitants de cette localité. Et en tant que réalisatrice, son vœu est aussi de voir les femmes mieux valorisées dans cette communauté de pêcheurs.
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