Projection du film de Mamadou Dia : Demba, le retour aux sources

Après «Baamum Nafi», Mamadou Dia vient de sortir son deuxième long métrage. Dans «Demba», le cinéaste sénégalais plonge dans le deuil et la maladie mentale, dans une société qui ne sait pas nommer cette maladie.
Votre deuxième long métrage, Demba, évoque la question du deuil, de la maladie mentale. D’où est venue l’idée de faire ce film ?
Demba parle du deuil, et c’est parti d’un questionnement très simple. C’était pendant la pandémie du Covid-19, j’étais aux Etats-Unis où j’enseigne à l’université et il y avait le confinement. Dans mon assurance médicale, on offrait l’option de parler à des psychologues, parce que tout le monde était sous le poids de la solitude à l’époque. Donc, je suis parti par curiosité. Très tôt en parlant avec le psychologue, j’ai commencé à parler de mes parents, du décès de mes parents. Le psychologue m’a demandé si je savais que la dépression était une des phases du deuil. Et ça, je ne le savais pas. Donc, je me suis posé la question de savoir comment on guérit de la dépression si on n’a pas de nom dans nos sociétés. Parce qu’en grandissant ici à Matam, je ne connaissais pas le nom pour la dépression. Et je sais que beaucoup de gens que je connaissais, avaient perdu quelqu’un de proche. Comment guérit-on d’une chose pour laquelle on n’a pas de nom ? Le film a commencé par ce questionnement tout simple. Et c’est comme ça que la trame de l’histoire est née, en se souvenant de choses, en parlant avec d’autres gens, en faisant des recherches pour savoir ce qu’est cette dépression liée au deuil et comment on la vit. Demba, c’est essayer de visualiser tous les coins, toutes les parties les plus profondes du deuil et de la dépression, de ce qu’on ne peut pas dire. Et comment essayer de montrer ça en film. L’idée, c’est d’essayer de parler d’une chose personnelle, en même temps aussi de la rendre universelle. Parler de sa propre expérience est aussi une manière de partager avec les autres. J’ai travaillé avec un acteur que je connaissais déjà ici à Matam, Ben Mahmoud Mbow, avec qui j’avais déjà des relations particulières parce que nos mamans étaient des amies. Et tous les deux, on a vécu l’expérience d’avoir perdu nos mamans et d’avoir aussi vécu cette phase de deuil. Donc, c’est vraiment l’exploration du deuil, surtout pour les hommes adultes qui ne savent pas parler de leurs émotions et qui ne savent pas dire quand ils ont besoin d’aide.
Et justement, ce film libère beaucoup d’émotions. Lors de la projection au Cinéma Pathé, il y a eu beaucoup d’émotions. Des gens ont pleuré, hommes et femmes. C’était aussi le but, de permettre aux gens de s’exprimer ?
En tout cas, nous à la compagnie de production Joyedidi, quand on pensait le film, c’était surtout pour voir comment toucher les gens. Et l’idée, ce n’est pas juste de faire un film, c’est de faire un film qui lance un débat. Donc, dans le film, c’est plutôt de poser les questions, de dire voici mon expérience, voici comment je l’ai vécue. Et maintenant, parlons de vos propres expériences. Les émotions sont sorties et à chaque fois qu’on a projeté le film, il y a toujours des gens qui parlent de leur expérience personnelle, des personnes qui souffrent, et tout le monde parle de comment ça les a touchés. Ecrire ce film a été thérapeutique pour moi. Quand on écrit une expérience personnelle, on est obligé de la revivre. Donc, je pense que quand on perd des personnes très proches, on essaie vraiment de repousser ça au plus profond, dans un coin de la mémoire, pour ne pas y penser. Mais pour l’écrire, on doit revisiter ces émotions-là. C’est quelque chose de très dur de repenser à la mort d’un parent, d’une sœur ou d’un frère. C’est comme de revisiter ces vieux démons qui nous font peur, comme faire face à sa phobie. Et dans ce sens, je pense que ça a beaucoup aidé, pas seulement moi, mais toutes les personnes.
En fait, le film va être projeté ce soir (Entretien réalisé le 30 novembre à Matam) et on est dans une société très conservatrice. Les gens n’expriment pas leurs sentiments. Est-ce que les questions du deuil sont posées ici ?
Ici, dans nos sociétés, le deuil n’a jamais été un tabou. On parle toujours de la mort. Par exemple, l’une des choses que la psychologie occidentale moderne utilise, c’est vraiment le fait de raconter son histoire, de raconter ses émotions, de raconter ce qui s’est passé. Dans nos deuils ici, on se pose toujours la même question. Quand les gens viennent présenter leurs condoléances, ils te demandent toujours comment c’est arrivé. Et la personne endeuillée, en racontant cette histoire-là des dizaines et des centaines de fois, se soulage un peu, d’une certaine manière. Mais après cela, ce qui est un peu tabou et un peu complexe, c’est qu’après ce moment-là, tu es tout seul. Et il y a toujours ceux-là qui n’arrivent pas à bien gérer. Donc, ce film parle plutôt à ces personnes-là qui n’arrivent pas à gérer et qui n’arrivent pas à en parler. Elles ne savent pas comment demander de l’aide, elles ne savent pas comment dire qu’elles souffrent. Et les autres ne savent pas comment leur venir en aide. Même si on n’a pas la dépression dans nos deuils, on la reconnaît. On sait que la personne a besoin d’aide, de soutien. Cependant, ce qui est plus difficile, c’est vraiment le moment où on te dit maintenant, retourne au travail, retourne à ta vie. Si c’est quelqu’un qui était marié, on lui dit maintenant remarie-toi. Demba est dans ce moment-là. Il a perdu sa femme, la société, la communauté l’a poussé, l’a aidé. Maintenant, on lui dit «tu es un homme adulte, vas-y». Et il a un enfant aussi avec lui, un enfant adulte qu’il doit gérer. Donc, Demba se trouve un peu dans la difficulté de pouvoir gérer son humeur, de ne pas montrer ses émotions et de faire croire au monde entier qu’il va bien, même s’il ne va pas bien.
C’est aussi une société où les hommes ne pleurent pas, ne montrent pas leur fragilité…
C’est un problème que j’ai vécu personnellement. C’est le problème de plusieurs hommes dans ce film. Et on sait qu’on ne nous a pas appris à gérer nos émotions ou à les comprendre. Donc, on fait toujours semblant que tout va bien, qu’on est très solides. Parce que la société attend de nous qu’on soit solides, qu’on ne pleure jamais, qu’on ne montre jamais nos moments de faiblesse. Et donc, ça devient un cercle vicieux dans lequel on est. Demba est aussi est dans ce cercle-là. On attend de lui qu’il continue à vivre au moment où il est vraiment au plus bas.
Justement, le suicide est un des risques majeurs avec cette maladie. Et on est une société où ces choses arrivent de plus en plus. Donc, vous avez choisi de l’évoquer en axant la diffusion autour de cette thématique-là. C’est une urgence pour la société ?
C’est une urgence d’en parler parce que le suicide, c’est la plus grande peur du dépressif. Le dépressif arrive à un point où il se dit : «Je souffre tellement que je dois arrêter ma souffrance. La manière d’arrêter ma souffrance, c’est d’arrêter d’exister.» Et ça, c’est un grand problème qu’on voit aujourd’hui. On peut prendre la dépression en charge cliniquement, aider la personne à mieux vivre. Pour parler du suicide, on a ramené cette fête du Tajaboon qui vient aussi de nos traditions anciennes où on essaie de tromper la mort. Quand l’ange de la mort vient, on s’habille différemment. Demba est arrivé à un point où il a peur de sa mort, et c’est la communauté encore qui revient pour l’aider à trouver une mort symbolique parce qu’il doit revenir, il doit renaître.
Le fait de tourner avec les mêmes acteurs, ça facilite les choses ou ça devient plus compliqué ?
Je pense que travailler avec les mêmes acteurs a un avantage, c’est qu’on se connaît assez pour voir ce qui marche et ce qui ne marche pas. On essaie, on expérimente plusieurs choses et on travaille beaucoup en amont. Donc le scénario est plus ou moins souple. C’est un scénario qui essaie le juste milieu. Les personnes qui sont dans le film, ce sont des personnes qui, d’une certaine manière, sont proches du personnage. Ou bien le personnage essaie de se rapprocher de qui ils sont. On fait beaucoup de répétitions, on parle, on discute beaucoup, et ça aide dans ce sens-là.
Est-ce compliqué de faire des longs métrages ?
Je pense que Maba Ba, le producteur, pourrait parler un peu plus de ça. Mais on essaie de trouver une manière de financer nos films par des moyens locaux. Et aussi une des raisons de tourner à Matam, c’est une ville où on arrive à tourner pas trop cher. Parce que c’est une ville que l’on connait, avec la collaboration de la population, avec aussi les personnes qu’on connait. Donc ça aide beaucoup. Et on a aussi le fonds public du Sénégal, le Fopica. Et ce qui a été quand même un bon apprentissage avec ce film, c’est qu’en post-production on a eu plus de soutien. En production, c’était très difficile, mais quand les gens ont vu les images, qu’elles étaient belles, et aussi la motivation des gens derrière, on a eu du soutien et ça nous a aidés à finir le film à temps.